Il y a de cela quelques semaines, l'association Sainte-Lucie/Martinique était en visite en Guadeloupe pour des échanges culturels.
Les délégations ont été reçues par les mairies de Pointe-à-Pitre et des Abymes. La rencontre se déroulait bien. Pourtant, à la fin du séjour, à l'heure de poser pour la traditionnelle
photo-souvenir, une jeune femme craque - « Mon grand-père vit sur cette île et ne saura jamais que sa petite-fille était venue dans l'espoir de le rencontrer » - et se met à
pleurer.
Un membre de l'association Sainte-Lucie/Guadeloupe prend alors la parole et affiche un fort embarras à décrire la situation dans
laquelle se trouvent certains Sainte-Luciens qui seraient retenus en Guadeloupe contre leur gré : « Ils veulent nous rejoindre, mais ils sont comme prisonniers, on les empêche de nous contacter
» .
« Vous voulez dire qu'ils sont esclaves ? » , lui demande-t-on. Il se tait, secoue la tête, et répond : « Je n'ai pas voulu dire ça.
C'est à vous d'en juger. Je ne voudrais pas que la presse m'attribue une telle déclaration, mais... Enfin... Je ne sais pas comment on peut appeler ça... Ce sont des hommes et des femmes qui ne
sont pas libres... » , ajoute-t-il en choisissant ses mots.
« Ils ne sont pas libres »
Dès cet instant, le président de l'association Guadeloupe/Sainte-Lucie décide de ne plus se taire. Il est immédiatement soutenu par
son homologue de la Martinique, Nicolas Fannies : « Il faut parler. La presse est là, on ne peut plus continuer à nous taire. Il y a de l'esclavage en Guadeloupe. Il faut que cela se sache.
Nous pensons qu'une bonne cinquantaine de Sainte-Luciens vivent dans des familles Guadeloupéennes, dans des conditions inhumaines. Leur argent est subtilisé par ces familles sans scrupule. Nous
en avons rencontré certains. La plupart n'ont pas de passeport français. Ils n'ont aucune existence officielle sur l'île. Ils travaillent matin et soir et vivent dans des familles qui
s'approprient leurs gains. Quand, avec de grandes difficultés, nous obtenons un rendez-vous avec l'un d'entre eux pour un entretien au bureau de l'association, le jour venu il n'y a plus
personne, ou l'individu refuse de nous parler de nouveau. Ces personnes qui les hébergent diabolisent notre association. Elles leur interdisent de nous rencontrer, les menacent, exercent des
pressions. Certaines de ces familles leur disent que l'association va dénoncer leur présence aux services de l'immigration » .
L'association Sainte-Lucie/Guadeloupe entend réunir des preuves avant d'alerter les autorités. Elle a lancé un appel à la population
en ce sens.
- « Ils ont tous entre 60 et 70 ans »
Ces Sainte-Luciens qui seraient retenus dans des familles guadeloupéen- nes seraient arrivés sur l'île il y a plusieurs dizaines
d'années. Nicolas Fannies affirme en avoir rencontré plusieurs pour en avoir le coeur net : « Je me suis rendu chez l'un d'entre eux, au Lamentin. Il s'agit d'un homme. Il vit chez une
famille qui lui a attribué une petite cabane sans eau ni électricité. Il nous a reçus debout sur une chaise. La pièce était inondée à la suite d'une grosse averse. Il a une soixantaine
d'années, affirme posséder encore son passeport sainte-lucien et n'a jamais bénéficié d'une carte de séjour » .
À entendre le président de l'association, d'autres ont travaillé dans les champs de canne et bénéficient d'une retraite. Ils
n'auraient pas de comptes en banque. Leur pécule serait géré par des Guadeloupéens sans scrupule. « Il y en a qui veulent rentrer chez eux pour rencontrer leurs parents avant de mourir. Ils
ont tous entre 60 et 70 ans, selon notre enquête. D'autres refusent l'idée de prendre la nationalité française. Ils disent qu'ils ne peuvent pas vendre leur drapeau. On leur a expliqué qu'ils
pouvaient obtenir la double nationalité, mais en vain. »
Peur de représailles
L'association aurait aussi rencontré, dans le Nord de Grande-Terre, des ressortissants qui sont très peu alimentés. Ils vivraient
dans des conditions insupportables et, pourtant, travailleraient tous les jours. Un jeune Guadeloupéen qui travaille dans un restaurant d'une commune balnéaire, confirme la présence d'un
ressortissant de Sainte-Lucie dans son établissement. Par peur de représailles, il ne nous conduit pas sur les lieux.
« Je vous donne l'adresse. Si vous venez entre midi et deux, il sera plus facile de le voir. Il reste caché, au fond de la cour.
Il travaille tous les jours, à des heures impossibles. C'est une dame qui récupère l'argent. Cela me fait beaucoup de peine de voir un monsieur de cet âge travailler de la sorte. Il a le
comportement d'un esclave. Mais si je parle, je perds mon travail. »