24 Janvier 2014
Je n'ai point de goût pour le malheur d'autrui. Et si je considère les péripéties de la chute de la maison Trieweiller, c'est moins par un acharnement que je n'ai pas de raison personnelle de poursuivre, telles les Erynnies du théâtre antique, que par une curiosité d'entomologiste. Et il en est de même également pour François Hollande, en tant que personne. J'en veux à ces gens là, moins à titre personnel qu'en raison de leur abandon à un amoralisme sans frein, qui est celui, des milieux qu'ils fréquentent, où l'amour n'a d'autre sens que celui du nihilisme de nos élites décadentes, dont le cher François, et l'illustre DSK sont les héraults éponymes en ce temps crépusculaire.
Certes, la trahison, l'abandon de ceux dont on se croyait aimé, ne sont pas choses nouvelles. Tous les milieux sociaux, de toutes les époques ont connu ces avatars, et ont réagi conformément à leur éducation, leur personnalité.
La péripétie hollando-Trierweillaise est du niveau du vaudeville, et ne mérite qu'on en parle que dans la mesure ou elle concerne non les relations d'un petit gandin et d'une grisette de boulevard, mais un chef de l'Etat, et une personne, que rien ne destinait à régner, simple concubine d'un moment, comme elle n'a pas eu la sagesse de le comprendre.
Mis à part ce « détail » important, un chef de l'Etat qui n'est qu'un homme avec ses travers individuels, n'est cependant pas, par fonction et situation, n'importe qui.
De Charles de Gaulle, André Frossard, dit un jour : « il n'y a pas de Charles ». Il voulait dire qu'un chef de l'Etat ne s'appartient pas, que les petits émois de l'individu, ses petits calculs individuels et ses spasmes charnels, doivent céder le pas au rôle, au don de soi qu'implique, dès qu'on y réfléchit, toute vocation. En ce qui concerne de Gaulle, il n'y avait pas ( autant qu'il put ) de Charles. Et la facon impersonnelle dont il se désignait « le général de Gaulle le dit en 1940 », qu'on attribuait à un fabuleux orgueil, n'était que l'ascèse astreignante à laquelle il se soumit durant tant d'années, pour l'accomplissement de sa vocation. Dans le même ordre d'idées, une simple chanson d'Edith Piaf, dans les années 40 de l'autre siècle, clamait : « si l'on tirait le signal d'alarme pour des chagrins particuliers, jamais les trains ne pourraient rouler ».
Autrement dit, dans certaines positions, situations, de responsabilité, les émotions de petits « mois » doivent céder la place au devoir, froisser les petits désirs et les passions ordinaires ( comme on froisse un papier sale ) au profit de la tâche à accomplir. Ou alors on renonce, on se désiste, on laisse la place à plus digne que soi.
Les plus hautes marches sociales et politiques ne doivent pas appartenir aux jouisseurs, aux aventuriers des pulsions intimes.
Tel est le sens, dans les grandes époques, de la sacralisation du pouvoir. Dans une monarchie héréditaire, l'éducation ( qui ne supprime pas les passions, mais tente de les subordonner aux tâches nobles, de les sublimer ), cahin-caha vise le meilleur par l'ascèse. Comme dit le Créon de Jean Anouilh, dans son Antigone: « la loi est d'abord faite pour les filles des rois ».
Dans nos régimes démocratiques, où chacun est censé pouvoir atteindre le pouvoir suprême, la fonction la plus éminente est souvent considérée par ses aspirants ( tous égaux, en principe ) comme la possibilité d'assouvir, à l'abri de toute sanction, ses passions les plus quelconques, les plus individualistes, voire les plus basses.
Le discrédit de la politique vient peut-être de cette prise de conscience par les peuples.
Quand on cesse d'estimer, on cesse d'obéir.
Si donc, je m'intéresse aux mésaventures de François et Valérie, ce n'est pas en tant que lecteur du journal Closer dont j'avoue, à ma grande honte ( ? ) avoir ignoré l'existence jusqu'à ces derniers jours.
C'est plutôt en tant qu'observateur des moeurs et de leur évolution.
La solitude de Mme Trierweiller, son humiliation, alors qu'elle se projetait en avant, à tout propos avec l'impudeur d'un M. Jourdain, est d'avoir été livrée, d'un coup, à l'avidité des mouches, et de se découvrir comme ce qu'elle est, si loin de son rêve de midinette.
A d'autres cela est arrivé. Femmes, ( ou hommes ) elles ont connu la détresse.
Ainsi, en fut-il de cette vicomtesse de Beauséant dont parle Honoré de Balzac, dans Le Père Goriot.
Balzac en parle en des pages superbes, que j'ai disposées dans cette rubrique du Scrutateur intitulée La Chrestomathie du Scrutateur.
Non! Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
A la disgrâce de l'héroïne ne manque rien de ce qu'on peut attendre sur le théâtre social : la curiosité malsaine, l'avidité cruelle, l'espoir de voir craquer « la dernière fille de la quasi royale Maison de Bourgogne ». Le même bourdonnement de mouches bleues.
Ce qui retient toute cette tourbe, du Paris des années de la restauration ( 1820 ) de sombrer dans le mauvais goût et la vulgarité qui lui ont désormais succédé sans vergogne, c'est peut-être ce que nous appelions, jadis la Classe, un mot dont la signification est quasi oubliée, sinon en son sens marxiste de lutte des classes.
Le Scrutateur.
Ci-dessous le texte de Balzac, et sa présentation dans la Chrestomathie.
(Le texte précédent de La Bruyère a évoqué pour moi un passage célèbre du Comte de
Monte Christo, de notre grand Alexandre Dumas, exactement cette scène de l'exécution publique de deux bandits, durant le carnaval romain, où le public avide de sensations se presse ondoyant, et
frénétiquement obscène, attentif aux moindres expressions mimiques des condamnés. Qu'on relise ce passage si instructif sur l'âme humaine.
Autre réminiscence, que je transcris immédiatement, celle d'un admirable passage du grand roman de Balzac
"Le père Goriot".
Tout à la fin, une grande dame de la haute société parisienne, la vicomtesse de Beauséant, s'apprête à donner, en son hôtel
particulier, une grande soirée.
Survient, comme un coup de tonnerre, la nouvelle de la disgrâce
amoureuse qui l'atteint, et la contraindra à quitter Paris et à s'enfuir "au désert" comme on disait alors.
Madame de Beauséant, cependant, n'annulera pas les festivités, et saura faire face avec une constance et une grandeur admirable à la curée de ses faux amis, venus jouir de son
malheur.
Lisez plutôt :
(1962) : "Les lanternes de cinq cents voitures éclairaient les abords de l'hôtel de Beauséant. De chaque côté de la porte
illuminée piaffait un gendarme. Le grand monde affluait si abondamment, et chacun mettait tant d'empressement à voir cette grande femme au moment de sa chute, que les appartements, situés au
rez-de-chaussée de l'hôtel, étaient déjà pleins quand madame de Nucingen et Rastignac s'y présentèrent. Depuis le moment où toute la cour se rua chez la grande Mademoiselle à qui Louis XIV
arrachait son amant, nul désastre de coeur ne fut plus éclatant que ne l'était celui de madame de Beauséant. En cette circonstance, la dernière fille de la quasi royale maison de Bourgogne se
montra supérieure à son mal, et domina jusqu'à son dernier moment le monde dont elle n'avait accepté les vanités que pour les faire servir au triomphe de sa passion.
Les plus belles femmes de Paris animaient les salons de leurs toilettes et de leurs sourires. Les hommes les plus distingués
de la cour, les ambassadeurs, les ministres, les gens illustrés en tout genre, chamarrés de croix, de plaques, de cordons multicolores se pressaient autour de la vicomtesse. L'orchestre faisait
résonner les motifs de sa musique sous les lambris dorés de ce palais, désert pour sa reine.
Madame
de Beauséant se tenait debout devant le premier salon pour recevoir ses prétendus amis. Vêtue de blanc, sans aucun ornement dans ses cheveux simplement nattés, elle semblait calme, et n'affichait
ni douleur, ni fierté, ni fausse joie. Personne ne pouvait lire dans son âme. Vous eussiez dit d'une Niobé de marbre. Son sourire à ses intimes amis fut parfois railleur; mais elle parut à tous
semblable à elle-même, et se montra si bien ce qu'elle était quand le bonheur la parait de ses rayons que les plus insensibles l'admirèrent, comme les jeunes romaines applaudissaient le
gladiateur qui savait sourire en expirant.
Le monde semblait s'être paré pour faire ses adieux à
l'une de ses souveraines".
Honoré de Balzac.
( Valérie Trierweiller au temps de sa "splendeur". Dégustant les regards du "grand monde" qu'elle connaissait. Quelle superbe au moment de se saisir
de la main de ségolène Royal, dont le sourire blanc, et la main sans chaleur, dénote la cruauté de la femme blessée, dans un monde sans qualités. Mais la roche Tarpéeïenne est tout près du
Capitole ).