23 Novembre 2013
( Que ces messieurs prennent garde à la colère des Français ) !
Quand on entend Bernard Cazeneuve, on en viendrait presque à regretter Jérôme Cahuzac… Certes, l'ancien ministre du Budget cachait de l'argent en Suisse, certes il mentait comme un arracheur de dents, mais il épargnait au moins aux contribuables le prêchi-prêcha socialiste sur les «vertus citoyennes et républicaines» de l'impôt. De fait, lorsqu'on dissimule de l'argent de l'autre côté de la frontière (comportement hautement condamnable, surtout lorsqu'on est ministre du Budget), c'est bien qu'on a des doutes sur lesdites vertus. Cela explique sans doute pourquoi Jérôme Cahuzac présentait les hausses d'impôts comme un mauvais moment à passer tandis que son successeur en parlerait presque comme d'une salutaire thérapie.
Les lecteurs du Figaro sont très remontés contre le ministre du Budget qui, non content d'augmenter les prélèvements, fustige ceux qui s'en plaignent. La semaine dernière, Bernard Cazeneuve s'est offert une grande tirade sur «le poujadisme fiscal» et «une certaine haine qui est à l'œuvre en France et qui prospère». Tsunami de protestations chez les lecteurs - et pas seulement eux, si l'on en croit les sondages sur la popularité de l'exécutif. «M. Cazeneuve est formidable. Il donne de grands coups sur la tête des gens, puis les engueule parce qu'ils protestent», écrit un lecteur parisien. Sébastien Flosse, de Bordeaux, «qui ne se sent pas du tout poujadiste», invite le ministre «à s'intéresser à la cause de la haine dont il parle - le niveau des impôts - plutôt qu'aux conséquences - la destruction des barrières écotaxe, les sifflets du 11 Novembre, etc. Ces manifestations sont sans doute répréhensibles, mais le gouvernement devrait y répondre par une baisse d'impôts, plutôt que par la fuite en avant fiscale, sinon la France comptera bientôt 65 millions de poujadistes…».
Depuis les fortes déclarations de Bernard Cazeneuve, il s'est produit un événement qui a quelque peu désarçonné le ministre.À la surprise générale, Jean-Marc Ayrault a annoncé «une remise à plat de notre fiscalité», reconnaissant au passage que les Français «ne sont pas convaincus que ce qu'ils paient est juste». Si même le premier ministre le dit… Un internaute observe avec ironie qu'«une fois tous les trois mois, le gouvernement fait preuve de lucidité. En août, Moscovici convient d'un ras-le-bol fiscal, en novembre, Ayrault admet que le consentement à l'impôt s'effrite. Ils sont assez brillants pour commenter leurs propres erreurs».
Il reste que cette réforme fiscale annoncée est accueillie avec le plus grand scepticisme par les lecteurs du Figaro. Ils ont retenu une expression dans l'interview du premier ministre: «à prélèvements constants». Les prélèvements obligatoires devraient atteindre 46,5 % en 2014. Après la réforme, prévue en 2015, dixit Ayrault, ils resteront donc à 46,5 %. On passera donc de l'exorbitant à l'exorbitant…
Voire pire. «Attention! Chez les énarques, réforme veut dire augmentation!», s'exclame un internaute. Certains lecteurs se sont lancés dans des calculs effroyablement compliqués pour tenter de mesurer le coût d'une CSG qui, de proportionnelle, deviendrait progressive. Ils en ont froid dans le dos… Bref, chacun a compris que l'expression «à prélèvements constants» est trompeuse. «Les classes moyennes paieront la note, comme d'habitude», prédit René Lassalle, un lecteur des Bouches-du-Rhône. «À prélèvements constants, mais ça dépend pour qui…»
Déjà, le président UMP de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Gilles Carrez, met en garde contre la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, qui, selon lui, «provoquerait un choc fiscal absolument colossal pour les classes moyennes et moyennes supérieures». Il compte demander dans les jours qui viennent à Bercy une simulation sur la fusion CSG-impôt sur le revenu afin de savoir «qui paiera plus et combien. Vous verrez les ardeurs réformistes qui tomberont d'elles-mêmes».
Gilles Carrez a probablement raison, ce qui explique l'enthousiasme assez modéré des socialistes à l'égard de la réforme souhaitée par le premier ministre. Même François Hollande, qui connaît par cœur la machinerie fiscale, semble vouloir calmer les ambitions de Jean-Marc Ayrault. Le chef de l'État a précisé que la réforme «prendra le temps du quinquennat», alors que son premier ministre évoque 2015. Commentaire amusé et résigné d'un internaute: «Comment les Français peuvent-ils y comprendre quelque chose quand l'un dit 2015 et l'autre 2017, et cela en moins de 48 heures? Cela alimente le flou. Et surtout, c'est d'un pénible…»
Paul-Henri du Limbert
( Dans Le Figaro ).