30 Octobre 2013
Un livre, dont le titre, en rapport, modeste avec La critique de la raison pure, ( un des sommets himalayens de la culture mondiale ) d'Emmanuel Kant, vient de paraître, sous la signature d'Achille Mbenbe, aux éditions La Découverte, et révèle toute l'ambition ( grande ) de l'auteur.
Je publie l'interview accordée au journal Le Point, en insérant dans le texte mais souligné,en gras et en rouge les observations, parfois « irrespectueuses » qui m'ont été suggérées par une raison, dont l'auteur ne parviendra pas à me persuader qu'elle a, pour une raison ou une autre, perdu son cap.
Le Scrutateur.
( M. Achille Mbembe ).
Le Point.fr - Publié le 27/10/2013 à 09:42 - Modifié le 27/10/2013 à 10:01
Par Valérie Marin La Meslée
Né au Cameroun, Achille Mbembe enseigne l'histoire et les sciences politiques à l'université de Witwatersrand à Johannesburg en Afrique du Sud et à Harvard aux États-Unis. De passage en France, où il a fait ses études, à l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage Critique de la raison nègre(La découverte), il réagit à l'actualité des flux migratoires en Europe. Son essai lumineux décode en effet magistralement ces forces obscures qui, entre crise et repli, traversent aujourd'hui nos sociétés mouvantes.
Le Point.fr : Dans votre dernier livre, vous insistez sur le fait que l'Europe n'est plus au centre du monde, et pourtant elle attire encore une immigration qui fait l'actualité...
Achille Mbembe : L'Europe entre dans une phase où il sera de plus en plus clair qu'elle ne formera plus jamais une société homogène et qu'elle devra conjuguer son identité sur le mode de la multiplicité. ( L'Europe est-elle déjà tombée si bas qu'elle doivent céder aux oukazes de M. Mbembe, et disparaître en tant qu'homogénéité culturelle pour se perdre, chez elle, dans la multiculturalité? Une société peut-être homogène en étant riches d'apports idéologiques multiples – Athènes/Rome/ Jérusalem – tout en étant plus ou métissée sur le plan biologique. C'est ainsi que l'entendent aujourd'hui, les Français, blancs ou noirs – antillais – qui ont gardé le sens de ce que de Gaulle appelait métaphoriquement « la France éternelle ». LS ). Elle doit faire face à cette mosaïque alors même qu'elle n'est plus le centre de gravité du monde. La combinaison de ce déclassement historique et de l'émergence, ou résurgence, de forces de clôture n'est pas accidentelle. Elle aggrave la prolifération de fantasmes. L'écart entre le déclassement effectif de l'Europe et la prise de conscience mondiale de ce dernier (y compris chez ceux qui pensent encore y trouver leur salut), cet écart, ce décalage, explique la collision des temps si caractéristique de ce que nous vivons actuellement. Les grands laboratoires de demain sont en Afrique, en Amérique latine, en Asie, en Chine, en Inde, au Brésil, ( On ne sait jamais. Mais le « dire » de M. Mbembe est-il de l'ordre du factuel, ou de...l'optatif? LS ) ce qui ne veut pas dire que l'Europe n'a rien à dire. Il faut seulement qu'elle accepte que le monde l'aide à réanimer ce que fut son idée. ( c'est gentil. LS. PSC ).
Vous parlez d'un "devenir nègre" du monde, pensez-vous aux migrants d'origines diverses, Syrie, Somalie, qui affluent sur ses rivages ?
Oui, car ils font l'expérience d'un arrachement à leur lieu natal et d'une plongée dans l'inconnu, hier l'Atlantique, aujourd'hui la Méditerranée, en prenant un risque mortel. Le voyage est aléatoire, la destination pas du tout garantie. Mais la différence avec le nègre du premier capitalisme (du XVe au XIXe siècle), c'est qu'hier les nègres, objets de vente, étaient achetés pour une aventure qui se soldait souvent par le désastre, l'Atlantique devenant un énorme cimetière au temps de la traite de l'esclavage. Alors qu'aujourd'hui ces migrants payent des passeurs. ( En d'autres termes le commerce actuel n'est plus triangulaire au sens géographique. Les pays exportateurs ne sont plus seulement, comme jadis, vendeurs, mais aussi convoyeurs – la traite, au mains des « passeurs », tandis que les destinataires ne sont pas tous, il s'en faut, des acheteurs )- S'agissant de ceux qui fuient la misère, ce déplacement nous dit quelque chose de fondamental de la structure actuelle du capitalisme : il y a toute une humanité subalterne dont le capitalisme n'a pas besoin. Le drame d'aujourd'hui, c'est de ne même plus pouvoir être exploité, alors qu'hier le drame était d'être exploité. ( " Le drame d'aujourd'hui c'est de même plus pouvoir être exploité". Cà il fallait oser le dire ! Alors, avant c'était mieux? C'était l'bon temps? En tout cas, fin des théories sur le progrès nécessaire dans la marche du monde? LS ) Là réside le basculement que mon livre s'efforce de pointer.
Ces Français, pauvres, qui appartiennent à cette "humanité subalterne" et qu'on nomme "petits Blancs" sont -ils donc les nouveaux nègres ?
Tout à fait. Mais les "petits Blancs", au début du capitalisme de la plantation aux États-Unis, vivaient en convivialité avec les nègres jusqu'à ce que le capitalisme commence à produire le sujet de race : la figure du Blanc et la figure du nègre sont des constructions historiques. Celle du nègre s'établit à travers une série de mesures qui le dépossèdent de tous droits, et donc de la possibilité de s'imaginer un futur. Il se crée alors, à côté de ce nègre en survie, un ensemble de privilèges qui découlent de la "blanchitude". Ce faisant, on instaure une séparation entre deux classes dominées, faites de ces Blancs et de ces Noirs qui cohabitaient en bonne sociabilité jusque-là. Elle s'est instaurée parce que la grande peur des classes possédantes d'alors était celle d'une insurrection menée par une coalition multiraciale réunissant petits Blancs et nègres.
Aujourd'hui, en France, le Blanc se découvre tel face au Noir dans une société multiraciale. ( Rappelons que ce n'est pas tant la multiracialité qui fait question pour la civilisation européenne, que la multiculturalité, qui la déconstruit, et ne peut déboucher à terme que sur : soit une batardise généralisée des gens, nègres ou blancs réduits au rang de consommateurs passifs de n'importe quoi, soit sur des guerres raciales et culturelles d'une férocité inouïe, où personne ne sait qui gagnerait, ni dans quel état. LS ) Comment s'explique ce recours-retour à la couleur de peau comme marqueur de différence ?
En effet, on assiste de la part de communautés noires aujourd'hui en France à un moment culturel assez particulier qui vient répondre à la façon dont ces communautés ont été historiquement enfermées dans une problématique de la différence. On a vu dans l'histoire des États-Unis ce moment où l'on dit aux Noirs "vous êtes différents". Leur réponse en forme de "oui nous sommes différents" est une étape de revendication, pour faire communauté, pour faire masse, afin d'être traités comme les autres. Cette revendication n'est jamais le moment terminal. Mais, bien sûr, le risque est gros que cette étape ne soit pas franchie et que se développe alors ce type de repli. Dans la lutte pour créer un monde libéré du fardeau de la race, il nous faut arriver à cette destination finale, arriver à ce que nous soyons traités comme tous les autres humains. En dépit de toutes les formes de racialisation, d'ethnicisation, ( M. Mbenbe semble ici se démarquer de l'idéologie césairienne du « nègre fondamental ». LS ) de différenciations sur la base du sexe, de la religion, de la culture, nous sommes tous des êtres humains appelés un jour à passer le relais à d'autres.
Il semble qu'il y ait encore du chemin à faire, quand on voit Christiane Taubira renvoyée à la condition animale. Ce type de réaction appartient-elle spécifiquement à cette figure du nègre et à ce "puits aux fantasmes" que vous analysez dans Critique de la raison nègre? ( Notons que la journaliste du Point, en bonne journaliste française, formatée par le politiquement correct, passe des propos d'une militante du Front National, concernant Christiane Taubira, à une généralisation à toutes la population française, d'une telle sottise individuelle et ultra minoritaire? Nul doute que cette dame ne soit très bientôt promue, et décorée, à l'Elysée LS. )
Face au nègre, la raison perd la raison. On peut parler de la raison chinoise, ou autres, mais la différence avec le nègre est que, de tous les êtres humains, il est le symbole du corps dont il fut fait marchandise, ( tel est, du moins, ce que l'on veut faire croire aux « nègres » en question, à des fins manipulatrices, et pour en faire les instruments dociles de ceux, de leur race ou non, qui ont besoin d'instruments bien dociles pour la réalisation de leurs ambitions. LS ) et du fait que le projet final du capitalisme, dans un système économique d'exploitation des richesses, est d'abolir la distinction entre êtres humains, choses et marchandises. Dans l'histoire, seul le nègre a été l'exemple vivant de cette tentative d'abolition. Concernant les propos sur madame Taubira, on est très justement à ce stade où l'apparition du nègre sur la scène publique provoque des troubles de la raison caractéristiques d'une logique du racisme dont une part relève d'une forme élémentaire de la maladie mentale. La figure du nègre met la raison ( celle des autres, évidemment pour M. Mbenbe. Mais qu'il prenne garde à son propre équilibre. LS ) en déroute. Il n'est pas le seul dont l'apparition sur la scène provoque des troubles mentaux, il partage ce malheur avec le juif. Mais, contrairement au juif, il est le seul à être renvoyé constamment à l'état de nature et à l'état d'animal dont on pense qu'il peut être domestiqué, ce fut l'idéologie de la colonisation ( C'est le credo de la nouvelle religion qu'on voudrait voir devenir aussi celui des blancs. La « colonisation » bèt a man Hibè, de ces intellectuels africains, que les africains d'Afrique n'aiment pas tellement. Cette colonisation qui cependant a permis qu'il y ait des Mbembe philosophes, valables ou non LS ). Cet animal qui provoque également la terreur ( ????? LS ) parce qu'on le soupçonne d'être incontrôlable... Je n'ai pas de mots assez durs pour condamner ce que madame Taubira a subi, mais malheureusement, cela participe de l'air du temps. ( et peut-être aussi de l'exaspération que peut créer chez les « petits blancs », dont parlait humblement notre « grand philosophe », le discours arrogant appris, hélas, chez les « blancs » et du fait des blancs, par les Mbembe de tout acabit? Rappelons que Pol-Pot, le chefs des Khmers rouges qui massacra près de trois millions de ses compatriotes en quatre ans, avait fait ses études à la Sorbonne, et y était devenu communiste, sous l'influence des fossoyeurs, communistes « blancs », de l'Europe et de l'humanité. LS ).
"Critique de la raison nègre" d'Achille Mbembé, éditions La Découverte, collection Cahiers Libres, 272 pages, 21 euros
Appendice :
Un "réactionnaire" n'est pas nécessairement quelqu'un qui nie le temps, et voudrait revenir en arrière. C'est aussi, et c'est le sens que je donne à ce mot, ici, un homme qui devant les affirmations indécentes, et pleines d'elles-même de sophistes avérés, et subversifs subventionnés, relève la tête et dit NON. Avec des arguments, amis lecteurs, que l'on n'obtient pas sans travail, courage, obstination, et don de soi-même. "Penser, c'est dire non" disait Alain, homme de gauche, mais vrai philosophe.
Pourquoi mentir, en lisant et critiquant le discours ci-dessus, je n'ai pu m'empêcher d'évoquer cet extrait d'une conférence donnée à Fort de France, il a une vingtaine d'années, par un autre philosophe, Georges Gusdorf.
Voici cet extrait :
"Aujourd'hui encore débarquent sur les bords de Seine ou de l'Hudson (et en Guadeloupe ou Martinique, ajouterons-nous), des Persans ( au sens d'observateurs très critiques, comme dans Les lettres persanes" de Montesquieu ) de tout acabit en complet veston qui se livrent dans les organisations internationales à une critique radicale de la civilisation occidentale, dénonçant ses excès et ses abus, les injustices en tout genre dont elle accable le tiers monde au nom des droits de l'homme. Rentrés chez eux, les mêmes individus, ayant dépouillé leur déguisement à l'Européenne, revêtent le costume local et reprennent la mentalité et la rhétorique en vigueur dans leurs espaces mentaux respectifs, où la valeur de la vie n'est pas la même, et où l'on n'a jamais accordé beaucoup d'importance aux droits de l'homme, ni à ceux de la femme, même si les représentants diplomatiques de ces pays ont contresigné de belles déclarations universelles garantissant les droits en question dans un langage occidental, intraduisible dans les idiomes locaux"