Lettre au
Scrutateur.

Cher Scrutateur,
Ayant lu sur votre site le préavis de grève générale déposé par les mêmes qui ont, il y a quelques mois, paralysé l'île pendant
44 jours (et non pas 46, le Scrutateur a bien expliqué pourquoi), la perspective de voir le LKP reprendre du poil de la bête avec la silencieuse complicité des pouvoirs publics (il est vrai que
Jégo, cette fois, n'est plus là et que cela change beaucoup de choses) est d'autant plus préoccupante que la Guadeloupe profonde se démarque de plus en plus de ces flibustiers qui
entendent prendre leur pied (le pied était, chez les corsaires, la part de butin de l'équipage, celle-ci représentant un tas d'un pied de hauteur... par tête) sur la Guadeloupe. Une réponse
claire de l'État serait d'autant plus nécessaire qu'il y a un grand risque d'escalade. Les indépendantistes étant défaits idéologiquement, ils voudront se venger de la population guadeloupéenne
qui ne les suit plus tellement. Et, dans la mesure où ils savent qu'ils ne pourront indéfiniment subvertir la démocratie, ils savent aussi qu'ils n'ont plus rien à perdre (leurs retraites de
fonctionnaires étant assurées ad vitam, comme leurs salaires l'ont été pendant les 44 jours). Ainsi chercheront-ils forcément à déclencher le pire. Il ne faut pas se tromper, ces
gens-là veulent prendre la Guadeloupe à l'abordage pour y faire prise et emprise, sachant que jusqu'à présent, aucune autorité de l'État ne s'est vraiment mise en travers de leurs visées. Et, en
44 jours (unité de mesure de ces gens-là qui ne sont grévistes, officiellement, qu'un seul jour), on peut en faire, des dégâts.
Il ne faut pas négliger les détails : ceux-ci montrent jusqu'où les troupes de la subversion sont prêtes à aller. Par exemple, la
revendication relative à "la vérité sur la mort de Jacques Bino". Elle est non seulement, par son côté burlesque, une offense à la mémoire du regretté Jacques Bino, mais elle montre également
jusqu'où la mauvaise foi du LKP peut aller, et donc le degré de... "motivation" de ses meneurs.
Cher Scrutateur, je voudrais vous faire part de mon inquiétude à propos de l'attitude de l'État, celui-ci étant en ce moment très
occupé à chasser le CO2, à en évaluer le prix, et à asseoir une taxe dessus, comme si la surréalité devait prendre le pas sur la réalité. Ce sont là des méthodes à la Louis II de Bavière, à
savoir la conjugaison de délires et de passions, qui ne laissent place qu'à un intérêt très secondaire pour la marche des choses, si lointaines - en termes de préoccupations - que sont les
exactions révolutionnaires projetées par le LKP et ses nervis.
Cette double perspective, de mettre de l'ordre dans la stratosphère et de laisser le désordre s'installer au niveau du sol m'inquiète,
cher Scrutateur. C'est ce qui me fait "l'ouvrir", comme on dit. Le besoin de parler pour conjurer le sort, sans doute. Car il n'y a pas que la Guadeloupe, qui soit menacée de désordre et de
sauvagerie. La France entière, c'est-à-dire toute la France, y est exposée, et le bla-bla-bla officiel, en dehors de son intérêt incantatoire, n'est une garantie de rien. Certes, nos excellences
excellent à exceller, mais à exceller seulement. Un peu comme Monsieur Jourdain fit de la prose, Tartuffe des tartufferies, et la famille Diafoirus des diagnostics... Dans le vide pour M.
Jourdain, dans le vice pour Tartuffe et dans l'orgueil, mais aussi dans le lucre, pour Messieurs Diafoirus père et fils qui n'ont jamais oublié de se servir au passage.
Certes, on aurait parfois envie que l'État - ses représentants du moins - ne fassent rien, ou le moins possible, tant la pensée
qui gouverne l'action publique est faussée par des considérations que l'on dit politiciennes, mais qu'il serait plus juste de qualifier de démagogiques. La pensée en question est de surcroît plus
souvent que rarement faussée par des considérations idéologiques ou stratégiques (voire quelquefois très sottes) qui aboutissent rarement à l'effet escompté, en raison de trous dans la
couche de raisonnement.
Prenons l'exemple de cette fameuse "prime à la casse " de 1000 euros, dont tout le monde - en haut lieu - s'accorde à dire qu'elle a
soutenu une activité automobile malmenée par "la crise" et qui aurait été moribonde sans cet artifice. Mais il a été décidé d'y mettre fin. Et c'est là qu'est le côté délicieux de
l'affaire.
Nos excellences nous disent - sans rire - qu'il est temps de mettre fin à la prime à la casse de 1000 euros, qui coûte très cher au
budget de l'État. C'est là, comme dirait Saint-Jean, qu'il faut de la finesse. Car nos excellences sont tellement excellentes, qu'elles ne comprennent même pas la ventilation des recettes et des
dépenses à l'intérieur des caisses de l'État dont elles ont la charge : elles (nos excellences), qui sont toujours si promptes à tout savoir et à tout expliquer, ignorent - en tout cas elles
oublient d'en tenir compte - qu'il existe une recette fiscale directement liée à l'activité industrielle et marchande, c'est la TVA. Celle-ci est de 19,6 % en France, sur les voitures neuves :
imaginons donc un prix moyen de 10.000 euros par voiture neuve vendue dans le cadre de cette politique d'encouragement, c'est un excédent de recette de 960 euros qu'encaisse l'État après le
versement de la prime de 1000 euros (et même avant, car la TVA est plus vite encaissée par l'État que la prime n'est... décaissée). Même sur une Logan à 7600 euros TTC en France métropolitaine,
la TVA sur ce modèle est de 1245 euros, et l'État reste gagnant de 245 euros dans l'opération "prime à la casse" après avoir déboursé ces fameux 1000 euros. Comment se fait-il que n'importe quel
imbécile soit capable de s'en rendre compte, mais seulement n'importe quel imbécile ?
L'évidence passe-t-elle au-dessus de la tête de nos excellences, ou nos excellences sont-elles bien trop au-dessus de la vulgaire
évidence ? That is THE question. Un peu comme la barbe du capitaine Haddock dans "Coke en stock".
Ne parlons même pas des autres recettes fiscales possibles lorsqu'une activité est soutenue. Car, et M. de La Palice ne nous
contredira pas, plus de chiffre d'affaire aide à tendre vers de meilleurs résultats pour les entreprises, et donc, pour l'État, à plus de rentrées en provenance de l'impôts sur les sociétés ;
sans compter le maintien de l'emploi (précisons-le pour les excellences qui nous liraient : et donc plus de cotisations sociales, et moins d'indemnisation de défaut d'emploi), sans compter
d'éventuels travaux, l'achat de matériels et d'outillage, etc. etc. etc. avec, chaque fois, tout au long de la chaîne, de l'emploi, du chiffre d'affaire et des recettes fiscales à la clé (TVA
plus impôts sur les sociétés ou BIC chez les entrepreneurs individuels, comme nous devons encore le préciser pour la raison évoquée un tout petit peu plus haut).
Une certaine méfiance des excellences à l'égard des évidences nous conduit donc à aimer les "rois fainéants". Cependant, en pensant
aux désordres à venir - en tout cas, aux désordres promis -, on aimerait bien voir la République, si prompte à se déclarer état de droit, si prompte à poursuivre, châtier, et pourfendre les
racistes et autres terroristes, se réveiller au nom des principes républicains dont elle se fait si volontiers le fer de lance (l'affaire de lance, si l'on veut féminiser).
Cependant encore, les considérants qui président aux décisions de gouvernance (grand mot à la mode, sur lequel nous reviendrons) sont
tellement surprenants, que, alors que même France-Antilles semble avoir pris ses distances avec Domota, le LKP pourrait recommencer ses opérations de nuisitude (auxquelles s'est pleinement
associée Ségolène Royal, ne l'oublions pas), le LKP se sentant fondé dans sa certitude d'une attitude inappropriée de l'État (ou à tout le moins de ses représentants), car c'est plus souvent que
rarement le cas. Je voulais, cher Scrutateur que nous en prenions acte. Et que nous nous réservions la joie d'être agréablement étonnés.
Et puisque ceci est un billet d'humeur, permettez-moi, cher Scrutateur de tordre le cou à ce mot de "gouvernance" lancé par Raffarin,
et repris à l'envi par les perroquets de Panurge, traduisant là, soit leur ignorance, soit leur volonté de participer à une mystification relative à la dynamique organique. En effet, on comprend
bien que ce mot met en avant une relation quelconque avec l'administration et plus précisément avec la manière d'administrer, mais s'il fallait traduire exactement ce qu'il veut dire aujourd'hui,
cela donnerait : bricolage gouvernemental. Pas davantage. La définition que lui donne le dictionnaire de l'Académie* est très claire, et met en lumière quelque chose qui ressemble assez à une
preuve d'imposture chez ceux qui emploient le mot "gouvernance" à tire-larigot, car le mot tel qu'il est répertorié par l'Académie n'a rien à voir avec ce que voulait dire Raffarin, grand
gisement de raffarinades il est vrai. La gouvernance, c'est... une juridiction sous l'autorité d'un gouverneur.
* GOUVERNANCE n. f. XIIIe siècle. Dérivé de gouverner.
1. Anciennt.
Juridiction établie dans certaines villes des Flandres. La gouvernance d'Arras, de Lille.
2. Au
Sénégal, siège du gouverneur d'une région et des services administratifs placés immédiatement sous son autorité ; ces services eux-mêmes.
La gouvernance sauce Raffarin de donne-t-elle pas, une fois de plus, l'impression que la salade est servie ?
En résumé, prenons acte que nos excellences tiennent à supprimer progressivement la "prime à la casse" pour l'activité automobile
(au mépris des recettes que cette prime favorise mécaniquement). Mais espérons que ces mêmes excellences n'auront pas, prochainement, par leur manière de faire avec Domota et le LKP, une
attitude que l'on pourrait qualifier de... "prime à la casse".
Jojo Allé-Dimoitou