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13 Septembre 2009
( Restes du Palais de Justice de Pointe-à-Pitre,
septembre 1928).
18 septembre 1928.
Le lendemain, mes parents reçurent la visite de quelques voisins et amis qui répétaient tous à peu près la même chose : « Soyez courageux, c'est un petit ange, il va prier pour vous ».
J'avais l'impression que ces démonstrations de sympathie agaçaient mon père et faisaient sangloter ma mère.
Nous assistions à toutes ces visites qui nous plongeaient dans une grande tristesse. Il fallait chaque fois raconter les circonstances du drame avec les mêmes mots, les mêmes phrases.
Il avait été question d'une ou deux sorties avec Louise, la bonne de ma tante, mais les conditions atmosphériques étaient très mauvaises.
Des orages violents éclataient sans arrêt, les coups de tonnerre se succédaient comme des explosions successives. Les rues étaient inondées , l'eau passait sur les trottoirs, transportant des détritus de tous genres.
Le ravitaillement était devenu très difficile, malgré le dévouement de la brave bonne de tante C qui faisait des prouesses pour rapporter à la maison un poisson ou quelques biscuits Américains. Le pain ne fut distribué que lorsque les îles voisines telles la Martinique, Porto Rico et St Domingue nous envoyèrent un peu de farine.
Combien de jours sommes nous restés à Pointe-à-Pitre ? Je ne peux m'en souvenir. Je ne peux également me rappeler ce à quoi nous occupions nos journées dans une maison qui n'étaient pas très vaste.
Lorsque le mauvais temps s'atténua et que la maladie de mon père commença à s'améliorer, nous fîmes une sortie en ville.
Les autorités avaient dégagé le milieu des rues pour laisser juste un passage pour les piétons : les voitures ne pouvaient pas encore circuler.
Notre première visite fut pour notre église. Le bâtiment avait beaucoup souffert. La toiture avait été emportée, les staffs du plafond étaient descendus sur les bancs disloqués, les statues étaient presque toutes brisées, les vitraux avaient disparu et la grande croix principale à laquelle était toujours cloué le Christ, gisait sur le parvis.
Ma mère s'agenouilla, pria et pleura beaucoup.
Mes parents décidèrent d'aller visiter quelques familles amies qui avaient été très éprouvées.
Nous nous dirigeâmes vers la Place de la Victoire, lieu de rencontre et de promenade des Pointois...
Les allées encadrant la savane centrale étaient jonchées de tôles et d'ardoises brisées, de verdure et de branches énormes recouvrant les bancs cassés...les bancs où « les mabos » endimanchées s'asseyaient tout l'après-midi pour veiller aux ébats d'enfants joyeux et insouciants. Le long de l'allée des « amoureux » où se promenait le soir la jeunesse de la ville, les cafés démolis étaient méconnaissables sous leurs vérandas écroulées. Les maisons tout autour étaient très endommagées -en particulier- le presbytère, la Banque, la caserne, toutes ces maisons créoles aux balcons ouvragés...certaines effondrées en travers des rues, comme arrachées à leur socle... Les grands arbres- « les sabliers » qui avaient été plantés par Victor Hugues vers le début du 19ème siècle, étaient déracinés De gros voiliers qui avaient été transportés par le terrible raz de marée et la tornade, gisaient sur le flanc autour du kiosque à musique, distant de près de quatre cents mètres de la Darse. Quelques poissons éparpillés dans l'herbe finissaient de pourrir en attirant de grosses mouches bleues...
Plus tard, j'ai appris que, bien avant le 12 septembre ll/28, un coup de canon devait être tiré le 15 juillet de chaque année pour annoncer aux navires !e début de la période d'hivernage. Le 15 octobre suivant, un autre coup de canon tiré, annonçait la fin de cette période dangereuse. Durant ces trois mois, les bateaux devaient quitter la rade de Basse-Terre pour s'abriter dans celle de Pointe à Pitre, jugée plus sûre...
Ironie du sort !
Notre première visite aux amis fut pour la famille D... qui habitait la Grand-Rue (aujourd'hui rue Achille René Boisneuf).
Mon père tenait a témoigner sa sympathie à Mr. Camille D... qui avait été le parrain de mon grand-père Fernand Léger, lors de la remise de sa croix au titre de la Légion d'honneur. Il avait reçu cette distinction honorifique pour les nombreux services rendus au pays pendant trente ans, notamment en tant que chimiste expert des Tribunaux et conservateur dévoué et bénévole du Musée P.Herminier.
Cette famille D... en vacances sur l'un des ilets qui parsèment la rade de Pointe-à-Pitre avait subi le cyclone sur l'une de ces minuscules parcelles de terre, au niveau de la mer et sans aucune protection. Des vagues énormes, hautes de trois à quatre mètres avaient tout balayé, les humains comme les choses. Il y eut environ cent cinquante victimes. Mr. D..., bien qu'ayant quitté son îlot avec les siens et quelques voisins sur deux gabares miraculeusement arrivées en pleine tourmente, avait perdu deux de ses fils broyés entre les deux embarcations. Un troisième avait été affreusement blessé
Nous avons pu voir cette famille rassemblée dans le grand salon transformé en infirmerie.
Le blessé avait été soigné. Sa tête et la moitié de son corps étaient enveloppés dans des bandelettes et des serviettes ensanglantées.
Les autres personnes étaient dans une douleur indescriptible tandis que la mère et le père gardaient une attitude stoïque pleine de dignité, laissant toutefois apparaître une grande souffrance dans le regard.
Ils furent très touchés par notre marque de sympathie surtout quand ils apprirent que nous aussi avions été frappés par le malheur.
Nous avons également visité la famille B. de F. qui avait perdu sur l'un de ces îlots trois de leurs enfants, malgré les prouesses réalisées par le père qui n'avait pas hésité à affronter à la nage, mais hélas sans résultat, des vagues monstrueuses.
Après quelques jours passés à Pointre-à-Pitre, mes parents décidèrent de retourner à « La Retraite».
Mon père en effet responsable de l'usine devait fournir le plus vite possible un rapport détaillé aux actionnaires de la Société exploitante, sur les dommages subis par la sucrerie.
La route ayant été en partie dégagée, nous avons pu utiliser la voiture automobile.
Le voyage de retour n'eut rien de comparable avec celui de l'aller.
Nous avons donc repris possession de notre maison de fortune avec son peu de confort où rien n'avait changé depuis notre départ précipité du 16 septembre 1928. Les meubles délabrés, les matelas restés humides, les objets divers étaient à leurs places, la même odeur de pourriture flottait toujours dans l'air. Mais nous ressentions dans nos coeurs, la profondeur d'un vide crée par l'absence de notre petit frère.
Il n'était plus là. Mais la présence du sac de sucre sirupeux et troué nous rappelait les derniers moments de plaisir qu'il avait vécus sur cette terre
En observant bien, nous remarquions que la nature réclamait ses droits par la présence d'une abeille sans doute rescapée, qui venait de temps à autres butiner les gouttes de sirop qui perlaient par la trame du tissu.
Que représentait pour nous cette abeille ?
Et nous voilà partis dans des réflexions philosophiques. Etait-ce l'âme d'Adrien qui venait nous dire un dernier adieu sur les lieux mêmes de son sacrifice ? Mais non ! Un petit enfant innocent mort si jeune ne revient jamais dans cette vallée de larmes, puisqu'il devient, nous avait-on dit un petit ange, un petit chérubin qui chantera éternellement dans les cieux, tes louanges du Seigneur.
L'abeille en butinant sous nos yeux nous rappelait simplement que tout devait recommencer et que même après les plus grandes catastrophes, la vie devait reprendre son cours normal.
Il nous fallait donc nous ressaisir et faire face. Ma mère elle, restait triste et pessimiste, tout en faisant le maximum pour nous aider à vivre correctement.
Elle pensait déjà à la rentrée des classes qui était prévue pour le 1er octobre.
Mon père, renfermé sur lui-même, parlait peu en rentrant le soir à la maison. Il était très fatigué par les séquelles de sa maladie et par l'immense travail de déblaiement de l'usine, nécessaire à la préparation de son rapport.
Il était de plus, soucieux et inquiet, car il savait bien qu'en présence de tant de dégâts, l'usine ne pourrait fonctionner.
Compte tenu de la crise économique de l'époque et l'état ancien des machines, cette usine avait déjà été mise sous séquestre et vraisemblablement changerait de propriétaires.
Mon père n'était donc pas certain de conserver son emploi et il se faisait du mauvais sang. II était néanmoins très courageux, mais il était souvent de mauvaise humeur. Rien ne lui plaisait, la nourriture préparée avec beaucoup de soin par maman était toujours critiquée et souvent refusée.
Quelle explication donner à ce caractère en dehors de la conjoncture ? ( J'arrête ici ce récit, la conclusion ayant un caractère d'ordre privé. E.Boulogne).