Vous êtes l'une des plus anciennes militantes politiques de la Martinique. Qu'est-ce qui a fait votre longévité
?
Il y a plusieurs raisons. D'abord les causes pour lesquelles je me suis engagée, depuis plus de 70 ans, résument l'histoire sociale
de mon pays. Au niveau de mes relations avec les autres, j'ai toujours tenu un discours franc et sincère. Je ne tourne pas autour du pot, si une personne ne m'intéresse pas, je le dis
ouvertement. Mais je n'ai jamais eu une attitude méprisante. Enfin, je n'aime pas qu'on me commande. Je n'aime pas non plus qu'on me contrarie. J'ai toujours pris mes décisions en toute
indépendance et en toute liberté. Ces traits de caractères sont de famille. Mais avec le temps, nous changeons : aujourd'hui j'ai un âge où il faut être agréable avec tout le
monde.
Quels sont vos meilleurs souvenirs d'enfance ?
Ce sont les jeux d'enfants, rue Ernest-Renan (devenue rue Moreau-de-Jonnes à Fort-de-France, ndlr), où habitaient mes parents. Avec
les copines de ma rue, nous allions à la rencontre des enfants de la rue François-Arago. Nous chantions et dansions. Un jour, nous nous sommes retrouvés au Select Tango, le célèbre dancing où
jouait le grand Stellio. J'avais 8 ou 10 ans, je ne vais jamais oublier ce jour-là.
Je me rappelle aussi de la célébration du tricentenaire du rattachement de la Martinique à la France, en 1935. J'ai dansé ce
jour-là. J'étais gaie. Tout cela remonte à très loin. Moi, j'ai eu une enfance heureuse parce que je n'ai subi aucune privation de la part de mes parents. C'est la raison pour laquelle je dis
toujours aux parents de faire confiance à leurs enfants. Il faut tout simplement les surveiller.
Vous aviez été infirmière.
Ce métier a-t-il influencé votre personnalité ?
C'est un métier qui m'a fait du bien dès le début de ma carrière, en 1936. D'une part, il a changé mon comportement, car dans mon
enfance j'étais insolente, désagréable et têtue. D'autre part, le contact avec les malades m'a aidée à comprendre la souffrance et la misère. Lorsque je débutais ma vie professionnelle, la
tuberculose sévissait en Martinique. J'ai travaillé dans le service des soins aux tuberculeux durant cinq ans, dont deux à Clarac qui était à l'époque un hôpital militaire. Ensuite,
l'assistance publique m'a envoyée au Morne-Rouge où je suis restée 18 mois. J'en garde de très bons souvenirs, car jusqu'à présent les enfants que j'ai soignés me rappellent cette
période.
Puis, je suis allée à Saint-Pierre où, durant 10 ans, j'intervenais dans les écoles, en faisant des vaccins et des soins préventifs.
Les enfants m'appelaient « Mère Poule » . Toutes ces expériences ont fait de moi une personne sociable.
Vous aviez aussi travaillé aux côtés du chirurgien Pierre Aliker. Quel regard posez-vous sur l'homme ?
Je n'étais pas rattachée à son service, mais j'allais donner régulièrement des « coups de main » à son équipe. C'est un ami. Nous
parlions de politique et échangions sur différents sujets, même si nous n'étions pas du même bord. Je l'aime pour sa franchise. C'est un homme d'un très grand professionnalisme et d'une grande
rigueur.
J'ai connu également le docteur Montestruc, le fondateur du service de léproserie à Clarac. Nous travaillions dans une ambiance
familiale autour des lépreux et de leurs familles. Nous fêtions ensemble les premières communions des enfants atteints de la lèpre. Personne n'était rejeté.
Vous aviez également connu la résistante Manon Tardon...
Je l'avais connue à Saint-Pierre où j'étais en poste pendant la guerre. Manon Tardon était l'une des femmes parties en dissidence.
Elle était forte de caractère et ne reculait devant rien. Elle a fini dans l'armée au grade de lieutenant- colonel. Oui, c'était une femme à poigne.
Qu'elle a été votre rôle à Saint-Pierre pendant la guerre ?
Je me suis chargée de faciliter la traversée à ceux qui prenaient des embarcations à destination des pays de la Caraïbe pour se
rendre sur les champs de guerre. Les candidats au départ me confiaient l'argent que je reversais au propriétaire du bateau. J'avais un système pour tromper les gendarmes qui nous surveillaient
: la nuit nous nous couchions au bord de la mer. Nous faisions semblant de jouer, jusqu'au moment où le candidat au départ embarquait dans le bateau. Nous retournions à nos occupations, comme
si de rien n'était. Jusqu'au jour où la gendarmerie s'est rendu compte que j'ai facilité le départ d'une dizaine de personnes.
Je ne peux pas dire que j'ai subi la misère, durant la guerre à cause des réseaux de solidarité, qui existaient à Saint- Pierre. Par
exemple les Békés partageaient la viande avec la population et leurs employés ne manquaient de rien. Ce n'était pas le cas à Fort-de-France où il y avait le rationnement.
Quelles leçons tirez-vous de cette période ?
La discipline régnait partout. Personne ne disait de gros mots dans les rues. Il n'y avait pas de personnes désoeuvrées non plus.
Par ailleurs, la guerre a donné le goût du partage.
Comment êtes-vous devenue une gaulliste de la première heure ?
Dès l'appel lancé par De Gaulle, le 18 juin 1940, des voix s'étaient élevées ici pour dire qu'il avait trahi. Cela m'a vite révoltée
et j'ai même voulu aller sur le front. Mais je ne pouvais pas. Ma première prise de position venait de cet appel, sans même savoir à quoi ressemblait le général. Et quand j'ai vu sa photo,
après la guerre, j'ai été encore plus convaincue de mon choix. Pour moi, il n'y aura pas deux De Gaulle dans l'Histoire. Lors de sa visite en Martinique, j'ai traversé la grande foule et je
suis allé directement devant lui. J'ai dit : « Mon Général, me voilà » . Man bay li dè bo épi man pati.
Vous êtes connue comme étant la figure emblématique de la droite...
A la fin de la guerre, j'ai rencontré trois hommes qui m'ont influencée : Léontel Calvert, Louis Morin et M. Calvy. Ce dernier était
trésorier-payeur général. Tous trois étaient de grands gaullistes qui m'ont proposé de les rejoindre dans une association. C'est ainsi que je suis devenue la première femme à m'inscrire au RPF
(Rassemblement du peuple français). Depuis ce jour, je me suis engagée dans des campagnes politiques très dures. J'ai commencé avec Maxence Elizé et André Forestal. J'ai toujours voté et milité
à droite. Elle a ses défauts, mais elle reste plus franche que la gauche.
Mais vous reconnaissez-vous dans la droite d'aujourd'hui ?
Oui! Je pense qu'elle reste convenable. Mais je trouve qu'en France la droite ne dénonce pas assez les errements de la gauche. Par
exemple, les grèves se multipliaient en France parce que c'est la droite qui était aux affaires. Je rappelle que personne ne manifestait durant les 10 ans que François Mitterrand a passés au
pouvoir. Le gouvernement actuel fait ce qu'il peut et je suis fière du chef de l'Etat. J'ai connu Nicolas Sarkozy il y a quelques années, lorsqu'il est venu nous voir. Il a tenu une conférence
au Vauclin et j'ai dit ce jour-là qu'il aura un avenir politique. J'avais même demandé à l'embrasser tellement il avait bien parlé...
Au plan local, nous avions subi trop de désagréments avec le PPM et les communistes. Mais nous avions serré les rangs autour des
trois inséparables : Lucien, Valère et Ursulet. Nous menions des campagnes très dures pour imposer nos idées.
Pourtant on compte dans votre famille des communistes et des gens de gauche...
Oui! Mais ce sont des jeunes qui étaient partis faire des études. Ils y avaient rencontré le communisme, alors que leurs familles
étaient de droite. Ce qui montre que nos parents étaient ouverts d'esprit et assez tolérants. D'ailleurs, je ne parlais pas politique avec les cousins communistes ou de gauche. Et on s'évitait
durant les campagnes électorales.
Et comment jugez-vous la droite en Martinique ?
Il y a des gens qui ne viennent à droite que pour prendre des places, alors qu'ils ne savent même pas travailler. Pire, ce sont des
gens qui se croient supérieurs aux autres. Dans leur grande majorité, ils ont été rejetés à gauche et c'est nous qui les repêchons. Je refuse de travailler avec eux. Non! Ce serait ne rien
comprendre à mon parcours politique parce que j'ai été aux côtés des gens qui aimaient leur pays, la Martinique.
Mais vous n'avez jamais occupé un mandat électif ?
Mon engagement a été consacré au social, au monde associatif et puis au combat politique. Cependant, je crois que pour faire la
politique, il faut deux choses : avoir de l'argent et savoir tenir ses promesses. Et moi, je n'aime pas l'argent. Ma grand-mère disait que pour éviter les sept péchés capitaux, il faut
s'éloigner de l'argent. Et puis, je ne suis pas quelqu'un qui fait des promesses que je ne suivrai pas. Non, il faut être sincère. Par exemple, je pense qu'on ne dit pas la vérité à la
population au sujet du débat sur l'évolution institutionnelle. Moi, je pense que ceux qui revendiquent l'article 74, c'est pour la soif du pouvoir. Ils veulent tout simplement diriger la
Martinique.
Que regrettez-vous de ne pas avoir fait dans votre vie ?
Rien! J'ai toujours fait ce que je voulais faire. Moi, on ne m'a jamais obligée à faire le contraire de ce que je voulais faire.
J'ai eu la grande chance d'avoir fait confiance à des gens qui ne m'ont pas déçue. C'est le cas de Pierre Petit que j'ai connu alors qu'il n'avait que 10 ans. Il avait réussi à battre les
communistes et à faire du Morne-Rouge, l'une des plus belles communes de la Martinique. Quoi de plus ? Je prépare mes 100 ans et peut-être je serai comme le docteur Aliker. Non, je n'ai rien à
cacher, car ma vie est un livre ouvert : tout le monde peut chercher et voir ce que j'ai fait.
J'ai eu une enfance heureuse, je n'ai subi aucune privation de la part de mes parents (Fernand Bibas)
Image - Fidélité absolue
Sur cette photo, Jacques Chirac, alors candidat à l'élection présidentielle, est en visite à la Martinique. Camille Coffre (à
sa gauche) apporte son énième soutien à son camp politique pour lequel elle a toujours milité. Entrée timidement en politique dès la fin de la Seconde guerre mondiale, elle n'a cessé de
militer à droite. Encore aujourd'hui, elle est l'une des personnalités marquantes de l'UMP.
Roro est née un 4 juillet. Comme la déclaration d'indépendance des États-Unis. Et, « indépendante » , elle l'est. « Ma vie est un
livre ouvert! Pourquoi m'interroger ? » , feint-elle de s'étonner, à notre première rencontre. Mais la similitude avec l'oncle Sam s'arrête là. Car, Roro - Camille Coffre pour l'état civil -
est avant tout Française. À presque 97 ans, elle n'a rien perdu de sa vivacité d'esprit, ni de son franc-parler. À propos de Garcin Malsa, le maire écolo-indépendantiste de Sainte-Anne, elle
dit : « Je respecte son machin, mais j'espère que son rêve ne se réalisera pas et que la Martinique restera dans la mère patrie » ! Indépendante. Pas indépendandiste. Son ami Maurice Taïlamé,
ancien délégué national de l'UMP, la considère même comme « une acharnée de la départementalisation » . Une passionnée, entrée tôt en politique. « Mes parents étaient de droite et dès
l'après-guerre je me suis inscrite au RPF » . Mais dans l'ombre libératrice de l'action plutôt que la lumière oppressante du pouvoir. « C'est une militante de base menm » , résume Maurice
Taïlamé. Pendant plus de 30 ans, elle a ainsi participé au contrôle des listes électorales à la préfecture. Mais l'ombre n'empêche pas la grandeur. Deux fois distinguées - chevalier (1973),
puis officier (1989), de l'ordre national du Mérite -, ses idées sont respectées, ses conseils appréciés. Celles et ceux qui n'ont pas sa faveur, n'ont de cesse de la rechercher. « Je vois
les défauts de la droite » , concède-t-elle, « mais elle est beaucoup plus sincère que la gauche » . Avant d'ajouter, la dent plus dure, à l'adresse des jeunes loups (et louves ?) : « Avant
d'avoir une place, il faut débuter. Il faut savoir s'entendre, ne pas être méprisant, ne pas se croire supérieur. Or, vous ne savez pas comment travailler » ! Camille Coffre, que certains
nomment affectueusement « la doyenne de la droite » , voue une admiration indéfectible au « général » . « À l'appel du général, j'ai eu envie de partir moi aussi! Sitôt la guerre finie, je me
suis procuré une photo de lui. Elle est toujours dans mon salon. J'en ai aussi une dans ma chambre » !
En dehors du militantisme politique, sa vie s'est articulée autour de l'humain. Dans son métier comme dans ses choix associatifs.
Roro a grandi à Fort-de-France et garde en mémoire l'époque heureuse où « de la rue Ernest Renan à la rue Victor-Hugo, tous les enfants se connaissaient et jouaient ensemble » . Et, en sa
qualité d'infirmière, c'est aux enfants finalement qu'elle aura réservé sa bienveillance. Ceux du Morne-Rouge se souviennent d'elle et la surnomment encore « mère poule » . Elle les a
pourtant soignés, pendant un an et demi, à coup de purges (dont elle connaît encore la recette)! Roro a entamé sa carrière l'année du Front populaire, à l'hôpital Clarac. C'est aussi là
qu'elle la termine en 1972, après plus de vingt ans passés auprès des tuberculeux et lépreux. De son aveu même, son métier l'a transformée. « J'étais une enfant têtue. Mais, était-ce la
souffrance des autres, mon métier m'a fait beaucoup de bien » . Apaisée, Roro ? « J'appelle un chat, un chat. Je ne veux pas qu'on me commande, ni qu'on me contrarie » ! À bon
entendeur...
- BIO-EXPRESS
Née 4 juillet 1912, mais déclarée le 10 août, au Lamentin Camille Coffre, dite Roro, a obtenu son diplôme d'infirmière en 1936.
Jusqu'à sa retraite, en 1972, elle a travaillé successivement à l'hôpital Clarac, au dispensaire du Morne-Rouge, à Saint-Pierre et à Fort-de-France. Elle s'est engagée à la Mutuelle
Saint-Louis, a été membre actif de la Mutuelle Prévoyance et membre fondatrice de la Ligue contre le cancer.
Elle a été membre actif du RPF, puis de l'UMR, du RPR et aujourd'hui de l'UMP. De 1972 à 2005, elle a été déléguée titulaire
désignée par la préfecture pour la révision des listes électorales de Fort-de-France. En 1973, elle a été faite chevalier, puis officier, de l'ordre national du Mérite.