Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.
27 Mai 2009
27 mai 2009: Pour commémorer sainement.
( Guadeloupe : Vue aérienne
du Fort Delgrès).
Il y a quelques semaines, j'ai eu le plaisir de dîner avec une journaliste, envoyée spéciale en Guadeloupe d'un grand magazine parisien.
« J'ai, me disait-elle, suivi de très près les évènements qui viennent de se dérouler en Guadeloupe. J'étais sur les « barricades » aux alentours de Pointe-à-Pitre. Je peux vous dire que les forces de l'ordre ont été exemplaires. Elles ont su garder un calme, un sang-froid étonnant, alors qu'elles étaient harcelées, insultées, et qu'elles ont même subi des tirs à balles réelles. Outre les militants officiels du LKP, il y avait certes des voyous. Je les reconnais au premier coup d'oeil car j'ai l'habitude de les côtoyer dans les conflits, dits de « quartiers » en métropole. Mais il n'étaient pas les plus nombreux. Ce qui m'a frappé, c'était la présence de nombreux gamins, qui étaient là surtout pour s'éclater. Ils étaient envoyés par le LKP dans l'espoir d'une bavure. Oui, j'en ai la conviction, ce que voulaient les dirigeants du LKP c'était des morts. Vous comprenez, des gamins de 14 à 16 ans sont particulièrement exposés dans une charge des forces de police. Heureusement, il n'en a rien été, et la seule victime a été le pauvre Binot victime du tir d'un voyou qui croyait se faire un « flic ».
De fait, les forces chargées du maintien de l'ordre, ont été remarquables de sang-froid, et c'est l'un des seuls satisfecits que l'on a pu accorder à la gestion, par ailleurs calamiteuse de la « crise » par l'Etat.
Il n'en fut malheureusement pas de même en mai 1967, quand les grands pères, des agitateurs actuels, et leurs troupes de choc, s'en prirent autour de l'ancienne chambre de commerce de Pointe-à-Pitre, à des CRS, peu nombreux, et moins bien formés que les membres actuels des forces de l'ordre, les contraignant à des réactions mal coordonnées, qui aboutirent aux excès que l'on sait qui firent plusieurs dizaines de morts.
Il paraît que cet après-midi (27 mai 2009), une reconstitution de cette tragédie sera réalisée, sur les lieux du drame à Pointe-à-Pitre.
Espérons qu'elle sera plus conforme à la vérité des évènements de 1967. Il est permis d'en douter.
En effet, dans l'émission de Benoit Duquesne, diffusée sur les antennes de RFO, il y a un mois, une bonne vingtaine de minutes furent consacrées aux échaufourrées de 1967. Et j'avais été frappé par les gesticulations d'un « témoin » âgé à l'époque d'une douzaine d'années (mais que faisait-il dans la rue de jour là, à cet âge, en pleine émeute?).
Notre « témoin » expliquait le massacre d'un homme, sous ses yeux, survenu près de tel bâtiment du Crédit Agricole, sur l'assainissement, à Pointe-à-Pitre, près de l'ancien immeuble de la Banque de la Guadeloupe. Et de mimer, le comportement de la victime s'accrochant « à ce mur là, vous voyez, carrelé de blanc, avec les lettres vertes CA ».
Le dommage pour ce genre de témoignage, c'est l'existence de « vieux », et de vieux qui ont de la mémoire.
Et le vieux pointois que je suis savait bien que ladite agence du Crédit Agricole, et le petit mur carrelé de blanc, avec les lettres vertes, n'était pas encore construit en 1967.
Je restai songeur, en pensant qu'il y avait là un bon exemple pour discriminer l'acte de mémoire commémorative (même pieux!!!), et le fait historique, lui-même bien difficile déjà à définir.
C'est que l'historien véritable a le souci de l'objectivité, tandis que le commémorateur (même pieux!) même s'il est sincère (cela existe) poursuit d'autres objectifs. (Il ne manque pas encore aujourd'hui d'actes commémoratifs d'anciens soldats de la Wehrmacht, à Stalingrad, dont les témoignages ne coincident pas nécessairement avec ceux de leurs adversaires soviétiques à la même bataille!).
Il faut donc regarder avec esprit critique, la reconstitution de ce soir, de même que toutes les commémorations de cette période dont nous abrutit RFO-Guadeloupe, sans relâche depuis des mois.
Je partage l'avis du philosophe Paul Ricoeur dans son livre La mémoire, l'histoire, l'oubli (Seuil) : « Il est certes utile – c'est le mot juste – de rappeler que tout le monde a commis des crimes, de mettre une limite à la revanche des vainqueurs et d'éviter d'ajouter les excès de la justice à ceux du combat. Plus que tout, il est utile, comme au temps des Grecs et des Romains, de réaffirmer l'unité nationale par une cérémonie de langage, prolongée par par le cérémonial des hymnes et des célébrations publiques. Mais le défaut de cette unité imaginaire n'est-il pas d'effacer de la mémoire officielle les exemples de crimes susceptibles de protéger l'avenir des erreurs du passé et, en privant l'opinion publique des bienfaits du dissensus , de condamner les mémoires concurrentes à une vie souterraine malsaine? ».
Il est donc clair que ce n'est pas contre le principe de commémorer, chez nous, l'abolition de l'esclavage (il y a plus d'un siècle et demi!), que j'incite à la méfiance, mais contre l'esprit qui anime nos actuels commémorateurs.
L'histoire de tous les peuples est tissée d'actes horribles, souvent criminels, mélangés, heureusement à des hauts faits plus héroiques et humains. La France n'échappe pas à la règle (pensons seulement, mais il y en a tant d'autres, aux guerres de religions, si criminelles et fanatiques en leur temps).
Aux Antilles, pendant deux siècles de leur histoire, nous avons vécu sous le régime de l'esclavage. Personne, ne peut en être fier, même s'il faut situer ce phénomène en son temps. Et les anciens esclaves et hommes de couleur, sitôt qu'ils le pouvaient achetaient des esclaves. Delgrès et Ignace, eux aussi.
La commémoration intelligente serait, toutes composantes ethniques antillaises confondues, de s'incliner devant la tragédie, de méditer sur sa signification, sur la fragilité de l'homme qu'elle révèle.
Ceux dont les pères des arrières grands pères ont été des esclaves pourraient se dire « ce qui ne tue pas rend plus fort . Et descendants d'anciennes victimes, n'oublions pas, pour ne pas subir des formes nouvelles de l'esclavage, pour ne pas les faire subir à d'autres, comme aujourd'hui encore, pour les Haitiens de la part du peuple de Saint Domingue, et si souvent ailleurs dans ce monde de 2009, notamment en Afrique.
Hélas! Nos commémorateurs n'ont pas cet esprit là. Certains ne sont habités que par la haine (sentiment négatif et destructeur, y compris de soi), entretenue par d'autres dont l'esclavage n'est qu'un outil de propagande destiné à permettre leur accession à des postes de pouvoir, et rémunérateurs.
Je tenais à exprimer, en ce 27 mai, mon sentiment sur cette actualité ambigü, sentiment partagé par un grand nombre de nos compatriotes, qui, malheureusement n'osent pas toujours le dire à haute voix, dans l'ambiance délétère que nous subissons du fait des médias, et en particulier de RFO-Guadeloupe, institution qui vit complètement en marge de sa fonction de service public.
Il y a pourtant des gens qui s'expriment, telle cette dame, que je ne connaissais pas (une antillaise de couleur; et que la précision s'impose, est révélateur de la mainmise terrorisante que subissent présentement Guadeloupe et Martinique! ), et qui m'a remercié hier, dans le magasin où nous nous sommes rencontrés, pour l'action du Scrutateur, pendant les deux mois de blocage que la Guadeloupe a connu, en janvier-février.
A la suite de cet article, je publie en souhaitant qu'ils soient lus, quelques textes permettant de réfléchir sur les thèmes de l'histoire, et de la mémoire.
Ce seront les pensées du jour, abstraites, pour cette fois, du lieu où ce genre de réflexion figure d'ordinaire sur ce blog (Cf, à droite, la rubrique de La pensée du jour).
Edouard Boulogne.
(I) Histoire savante et histoire scolaire.
*« Il convient de distinguer entre l'histoire savante, celle des historiens soumis aux disciplines de la rationalité et de l'érudition, et l'histoire des enseignants et maîtres d'école, subordonnée aux programmes scolaires et aux intentions des docteurs en pédagogie. La science historique exposée dans les thèses de doctorat et dans les grands ouvrages de référence ne doit obéissance qu'à l'exigence de rigueur, elle expose d'une manière abstraite certaines dimensions d'intelligibilité qu'elle perçoit dans la confusion des données du passé ; elle fait la lumière sur certains enchaînements d'événements, sur le rôle de certains personnages ou sur le fonctionnement de certaines institutions, de certains mécanismes à l'œuvre dans l'épaisseur du réel.
Ces résultats satisfont une curiosité théorique attachée à la marche de l'épistémologie. Ils n'ont aucune utilité en dehors du plaisir que l'intelligence éprouve à jouir d'elle-même et à percer à jour tel ou tel aspect secret du réel. Quant aux « leçons de l'histoire », ceux qui les invoquent font dire à l'histoire n'importe quoi et le contraire de n'importe quoi. Si l'histoire donnait des leçons, les hommes d'aujourd'hui seraient plus sages, plus avertis que ceux d'autrefois. L'expérience prouve que ce n'est pas le cas. Il y a sans doute, entre les situations historiques, des similitudes, mais l'histoire ne se répète jamais ; l'homme politique s'égarerait s'il prétendait considérer comme identiques des situations qui ne peuvent pas l'être. Des spéculations de cet ordre relèvent d'une imagination gratuite et non de la science historique proprement dite ». (Georges Gusdorf : Les révolutions de France et d'Amérique, légendes et histoire, pp 11 et 12. Édition Perrin).
*« Au cours d'un récent débat télévisé, Michel Vovelle ayant évoqué la prise de la Bastille par « le peuple de Paris », il lui fut demandé ce qu'il entendait par cette formule. En fait, la forteresse céda devant l'assaut donné par quelques centaines d'individus, inconnus pour la plupart, sous les yeux d'un certain nombre de badauds. En tout, peut-être un Parisien sur mille, dont le mode de recrutement demeure à peu près inconnu. Cette petite foule, dans son entreprise hautement symbolique, devait faire violence à l'histoire, mais rien ne permet de dire qu'elle fût représentative de la population parisienne. Pareillement les journées insurrectionnelles des 5 et 6 octobre 1789 ou du 10 août 1792 ne mobilisaient qu'un petit nombre de militants activistes, obéissant à quelques meneurs. Le mot « peuple » déguise la réalité plus qu'il ne la représente. L'historien communiste, devant l'objection, demeura interloqué ; pour lui, « le peuple de Paris » représentait une entité sacrée, agissant par délégation des forces de progrès unanimes, dans le sens d'une histoire sacralisée par la lutte des classes. Dans la suite de la discussion, n'osant plus employer le mot contesté, le malheureux Vovelle trébuchait dans son discours ; l'influx de sa mythologie personnelle se refusait à garantir son assurance, idéologique ». ( Georges Gusdorf, ouvrage cité, p 22).
(II) Mémoire
"La mémoire est politiquement correcte ou non selon ce qu'on se rappelle.
L'expression « devoir de mémoire » est politiquement correcte, mais il faut l'entendre sélectivement. Il s'applique, par exemple, à Guernica, à Oradour et à la répression de la Commune de Paris, mais pas aux excès de cette même Commune ni aux Lucs-sur-Boulogne ni au martyre des chrétiens russes sous Lénine.
Pour lesquels il existe heureusement un devoir d'oubli". ( Vladimir Volkoff).
(III) Instruction du roi Henri IV après les guerres de religion.
A la fin du XVI è siècle en France, il y eut les guerres de religion. Comme presque toujours, ce fut la politique qui se servit des religions , tant du côtés des princes catholiques que de leurs homologues protestants, pour assouvir des ambitions fort peu évangéliques. Ces guerres fratricides furent atroces, causèrent des centaines de milliers de morts. Elles peuvent être comparées, toutes choses égales, aux massacres entre Tutsies et Hutus dans la Wuanda contemporain, en Afrique. Pour en sortir il fallut beaucoup d'efforts, l'intelligence, le sens de l'Etat, et la générosité d'un grand roi : Henri IV, dont nous reproduisons deux paragraphes capitaux de l'Edit de Nantes auquel son nom est désormais lié. La mentalité qui en ressort est un modèle dont pourraient s'inspirer beaucoup, et en Guadeloupe même, s'ils atteignaient à la cheville du roi Henri.
« 1)
Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d'une part et d'autre, depuis le commencement du mois de mars 1585 jusqu'à notre avènement à la couronne et durant les autres troubles
précédents et à leur occasion, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue. Et ne sera loisible ni permis à nos procureurs généraux, ni autres personnes quelconques, publiques ni
privées, en quelque temps, ni pour quelque occasion que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucunes cours ou juridictions que ce soit.
2)
Défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu'ils soient, d'en renouveler la mémoire, s'attaquer, ressentir, injurier, ni provoquer l'un l'autre par reproche de ce qui s'est passé,
pour quelque cause et prétexte que ce soit, en disputer, contester, quereller ni s'outrager ou s'offenser de fait ou de parole, mais se contenir et vivre paisiblement ensemble comme frères, amis
et concitoyens, sur peine aux contrevenants d'être punis comme infracteurs de paix et perturbateurs du repos public ».