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16 Mai 2009
Violence juvénile et société.
( Depuis quelques semaines les actes de violence se multiplient en milieu scolaire, en Guadeloupe mais aussi sur le territoire
européen de notre pays. Hier - 15 mai - un enfant de 13 ans d'une classe de cinquième a poignardé son enseignante qui lui avait administré une punition pour travail non fait. Cela se passe
en métrople au collège François Mitterrand, ce président de la République qui avait un jour parlé, en Nouvelle Calédonie de "la force injuste de la loi". On récolte ce qu'on a semé! Cette semaine
en Guadeloupe un jeune, étranger au Lycée de Baimbridge (Guadeloupe) y a pénétré et frappé en la blessant grièvement, à coups de parpaings une jeune fille. On me signale encore cette semaine, de
nombreuses bagarres entre garçons, adolescants de cet établissement. Les cas ne se comptent plus, en Guadeloupe, en Martinique, et ailleurs de parents d'élèves qui viennent tabasser des
professeurs pour des motifs futiles. C'est pour réfléchir à quelques-unes des causes de ce phénomène grave de la violence juvénile, que je publie sur le Scrutateur, le texte de cette
conférence que j'avais rédigé, déjà, en 2003, dans des circonstances rappelées ci-dessous. EB).
Ce texte est celui de mon intervention lors du colloque organisé en janvier 2003, par les municipalités des villes de Pointe-à-Pitre, Abymes, Gosier, Baie-Mahault sur la violence juvénile. Le sujet que j’avais été invité à traiter était « La violence des mineurs est-elle une réponse à la violence de la société » ?
La violence des mineurs est-elle une réponse à la violence de la société
Mesdames, messieurs,
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais, en un bref préambule philosophique, tenter de situer le problème sur lequel il nous est demandé de réfléchir : La violence juvénile est-elle une réponse à la violence de la société ?
Préambule philosophique :
Il me semble d’abord qu’une réponse positive à la question impliquerait une nature violente de la société en tant que telle.
L’enfant, l’adolescent, par ses actes délictueux ou criminels, serait dans une position défensive, contre une entité agressive. Ces actes seraient presque des actes sains et positifs, réactions individuelles de santé, contre l’agressivité d’un corps malade.
En réformant, ou mieux, peut-être, en révolutionnant la société, en lui ôtant ses caractères oppressifs, aliénants, on supprimerait la raison d’être des réactions individuelles violentes, notamment juvéniles.
J-J Rousseau.
Cette façon de poser le problème est célèbre et souvent revendiquée par les politiques et les réformateurs sociaux. On y a reconnu le schéma de pensée rousseauiste. A l’origine, l’homme aurait vécu seul et heureux dans la meilleure possible des natures Un accident, indéterminé ayant changé la donne, il aurait fallu pour survivre unir les forces. Les individus auraient conclu un Pacte social, où chacun obéissant à tous, n’obéirait cependant à personne, et sauvant la liberté, s’assurerait en même temps la sécurité et les moyens de vivre.
La situation se serait détériorée le jour où l’un des membres, ayant instauré, sans susciter de protestation, la propriété privée à son profit, introduisit ainsi l’inégalité parmi les hommes, et les rapports de domination et la violence.
On connaît la phrase du début de l’Emile, où Rousseau résume son point de vue de façon lapidaire : « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme ».
St-Augustin et Hobbes.
Une autre perspective est tracée par des penseurs comme St-Augustin ou Hobbes.
St-Augustin, dans la thématique religieuse de la chute originelle ne croit pas à la bonté native d’un homme « naturel ». Dans les Confessions il écrit : « L’innocence de l’enfant, c’est donc dans la faiblesse de ses membres qu’il faut la chercher, mais non dans l’inclination naturelle de son cœur(…). On tolère ses défauts avec indulgence, non pas parce qu’ils sont nuls ou de minime importance, mais parce qu’on sait que l’âge les éliminera. Qu’ils aient toutefois de l’importance, le fait qu’on ne saurait les tolérer dans un âge plus avancé le prouve ».
Dans une optique plus laïque Hobbes, parlera de la violence naturelle de l’homme dans cet « état de nature », qu’il postule, comme Rousseau sur ce point. A l’état naturel l’homme est un loup pour l’homme. C’est le pacte social qui rend la vie sociale et la survie de l’homme possible, autrement que dans un enfer. « Ce n’est donc pas la nature, mais la discipline qui rend l’homme apte à la société », écrit-il (De Cive). C’est à l’Etat qu’il appartient de régler par une force légitime la vie sociale. « Il est manifeste, dit-il, que tant que les hommes vivent sans une puissance commune qui les maintienne tous en crainte, ils sont dans cette condition qu’on appelle guerre, et qui est la guerre de chacun contre chacun ».
Aristote.
Une troisième problématique que j’évoque rapidement pour terminer ce préambule, est celle d’Aristote.
Pour ce dernier, il n’y a pas de pacte social originaire. « L’homme est un animal politique ». Pour vivre seul il n’y a que les bêtes, ou un Dieu. Les observations faites sur les « enfants sauvages », où sur les enfants sourds de naissance, les dégradations mentales et morales observées sur les hommes longtemps laissés dans un état de total isolement, montrent qu’il ne s’agit nullement, pour le philosophe d’un postulat gratuit, mais d’une observation profonde, pleine d’enseignements pour le sujet qui nous intéresse. La violence, juvénile ou autre, ne saurait alors trouver son explication dans les seules imperfections de LA société. La tâche des politiques, des philosophes, des réformateurs sociaux est de trouver, en réfléchissant sur la nature de l’homme, la pédagogie, la politique la plus adéquate pour conduire l’être humain, social et politique par nature à sa fin qui est le bonheur, dont la forme suprême est la contemplation.
La violence au quotidien.
Je serai assez bref sur le chapitre que j’intitulerai La violence au quotidien, parce que tout le monde en a mille exemples en tête et que durant tout ce colloque, des hommes et des femmes de terrain en ont parlé avec compétence.
Evoquons seulement, et rapidement, pour la métropole le cas de cette jeune élève d’un collège de la région parisienne qui a frappé d’un couteau l’un de ses professeurs, et qui pourtant était autorisée au bout de quelques jours à faire sa rentrée au Collège, ce qui a entraîné une longue grève de protestation du personnel enseignant.
La liste des vols perpétrés par des jeunes et des mineurs, vols, viols, agressions, luttes quasi tribales pour la possession de territoires, (des quartiers entiers de certaines villes françaises sont devenues hors la loi, échappent à toute investigation policière, et même à l’action des pompiers) la pratique du viol collectif appelée « tournante » devenue banale, est impressionnante.
En Guadeloupe aussi la situation se dégrade. Dans les dernières semaines seulement il a fallu déplorer des vols et rapines dont les jeunes sont les acteurs majoritaires ; des meurtres de copains, à coups de couteau ou de tournevis, perpétrés pour des motifs futiles sous le coup d’impulsions irréfléchies, comme si le respect de la vie humaine était devenu une exigence vide de sens ; des professeurs menacés, parfois frappés (même il faut le dire par des parents d’élèves) ; des viols collectifs, appelés tournantes parfois filmés, et proposés à la vente sous forme de CD-ROM, comme récemment à Pointe-à-Pitre. La plus récente de ces « tournantes » s’est opérée en plein jour, dans l’enceinte du Collège du Raizet, les garçons, quatre ou cinq, avaient quinze ans. Le principal du collège s’est borné à un renvoi symbolique de quelques jours. Le juge de tutelle, plainte ayant été portée par les parents de la jeune fille, les a remis en liberté « sous contrôle judiciaire ». Les garçons se retrouveront aux côtés de leur victime au lycée. Ce comportement laxiste des autorités ne fait-il pas problème ? On ne peut s’empêcher de penser au cas analogue survenu il y a un an, en métropole. La jeune victime traumatisée ne veut plus sortir de chez elle. Il est vrai que les violeurs, en liberté, suivent à la trace la famille, qui a changé plusieurs fois de domicile, projettent des pierres sur les fenêtres de l’appartement, rodent aux alentours, se répandent en inscriptions menaçantes.
Comment expliquer le développement d’une telle situation dramatique ?
L’étiologie.
Les causes sont d’ordres multiples.
Les causes sociales et économiques.
Il paraît évident à beaucoup que la situation économique de notre pays, tant au plan national que régional, est un facteur important du développement de cette délinquance et de cette criminalité.
Le monde tout entier est en pleine mutation. Ce que l’on appelle « mondialisation » entraîne des reconversions économiques profondes et douloureuses. Le chômage atteint des pourcentages importants. Comment des jeunes gens en plein remaniement de leur personnalité, en pleine recherche de leurs « marques » d’adultes, ne souffriraient-ils pas du vide supplémentaire que leur impose une inactivité subie, et de longue durée.
La tentation sera d’autant plus forte de combler ce vide par des activités, quelles qu’elles soient, dont certaines d’ailleurs plus lucratives qu’un travail normalement rémunéré, tel le trafic de la drogue et ce qui gravite autour.
Les causes morales.
A l’aspect économique du problème s’ajoutent des facteurs dus à une incontestable crise morale de notre société. Je pense notamment à la crise de la famille.
N’importe quel enseignant, un peu attentif à ses élèves, note le lien qui existe entre la dégradation du comportement des jeunes, tous milieux sociaux confondus, et la baisse des résultats scolaires, d’une part, et, d’autre part les problèmes à l’intérieur de la famille, le divorce en particulier.
Les travaux du sociologue François Dubet, mais aussi l’enquête très fouillée du journaliste Christian Jelen (cf.La guerre des rues, éditions Plon), ont insisté sur l’ampleur de la crise de la famille, et ses répercussions sur le développement de la violence juvénile, en particulier sur les jeunes issus de l’immigration.
Ceux-ci, en provenance du Maghreb, ou de l’Afrique noire ont les plus grandes difficultés à s’intégrer en France. Ils sont livrés à eux-mêmes la famille ayant souvent perdu toute emprise sur ses rejetons. Dans ces familles souvent de traditions polygames, les pères sont absents. Quand ils sont présents, ils sont dévalorisés aux yeux de leurs fils, soit parce qu’ils sont au chômage, soit parce que, de toute façon, leurs salaires sont inférieurs aux nombreux « revenus » illicites, produits de divers trafics et « business » des jeunes. Et de plus ils sont coupés de tout l’environnement coutumier qui garantissait leur autorité dans le milieu d’origine. Ces milieux de jeunes issus de l’immigration sont en proie à une véritable anomie. La violence qu’ils portent en eux ne trouve pas d’institutions, syndicales par exemple, ou de sentiment d’appartenance structurée, comme jadis, pour les jeunes ouvriers français celui d’appartenir à la « classe ouvrière » qui puissent la canaliser et la transformer en dynamisme positif. D’où le développement d’une révolte sans objet, cette violence que les jeunes appellent la « rage », ou la « haine ». Il me parait que cette anomie et ses conséquences, tendent à se développer aussi en Guadeloupe, même si les immigrés, ici, essentiellement Haïtiens, et Dominicais, n’ont pas le même éloignement par rapport à la culture locale que les Africains ou Maghrébins par rapport aux Français de souche métropolitaine.
Enfin, il faut signaler ce qu’allèguent, à tort ou à raison, à l’encontre des jeunes issus de l’immigration, certaines associations comme la Ligue des droits de l’homme, le MRAP, ou SOS-Racisme, à savoir un « racisme » croissant des Français de souche !
Causes culturelles et médiatiques.
Enfin, il est impossible de ne pas prendre en compte un certain nombre de causes, imputables à ce qu’on pourrait appeler « la crise de la culture », et à ses répercussions sur les médias.
Je me référerai, sur ce point, au document récent, et tout à fait officiel : le rapport fait au ministre de la culture et de la communication, monsieur Jean-Jacques Aillagon, par une commission, sous la direction et la présidence du philosophe, madame Blandine Kriegel, intitulé : La violence à la télévision. Il est impossible, ici, d’entrer dans le détail de ce document de 75 pages. Mais il est accablant pour les médias audio visuels, et il pose, douloureusement, surtout pour des hommes et des femmes qui furent souvent des acteurs de la « révolution » de 1968, le problème suivant : comment concilier la liberté, dont s’enorgueillit notre société « démocratique » et le respect du droit de chacun à sa sécurité, et son intégrité, quand on voit la première, exacerbée, servir à une exacerbation d’une violence, « mortelle pour la république démocratique ».
Si les médias vont souvent, au devant des goûts d’un certain public, friand de scabreux, il ne faut pas négliger la part d’intoxication volontaire émanant d’intellectuels « révolutionnaires », désireux de subvertir une société « capitaliste » à leurs yeux porteuse de tous les péchés d’Israël, et utilisant les médias, parfois l’école elle-même, pour parvenir à leurs fins.
Quand on déplore aujourd’hui les excès et déviances sexuelles diverses, qui font les choux gras d’une certaine presse, est-il permis d’oublier ce Manifeste de juin 1978 où MM Michel Foucault, David Cooper, et quelques autres déclaraient : « Nous faisons le pari de croire qu’une femme, qu’un homme, qui peut modifier son comportement sur cet aspect essentiel de sa vie (la sexualité) pourra dans d’autres domaines (la politique, l’économie) contester des comportements et des situations traditionnels ».
Un an auparavant, en 1977, à propos de trois intellectuels incarcérés pour une affaire de pédophilie, on pouvait lire, dans le journal Le Monde (26/01/1977), une pétition des intellectuels parisiens les plus branchés : « Nous considérons qu’il y a une disproportion manifeste, d’une part, entre la qualification de « crime » qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits reprochés ; d’autre part, entre le caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d’une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l’existence d’une vie sexuelle (si une fille de 13 ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ?). Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier (1977), Dejager, Gallien, et Buckardt ne retrouvent pas la liberté ». (Parmi les illustres signataires on pouvait relever un certain nombre de très belles consciences : Aragon, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Fanny et Gilles Deleuze, Jack Lang, Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers).
D’autre part si nous déplorons des cas de plus en plus nombreux d’inceste, peut-on légitimement oublier le climat culturel qui présida, en 1969, au film de Truffaut Le souffle au cœur, où un garçon de 14 ans fait l’amour à sa mère, non pas dans la promiscuité tout à fait regrettable d’une arrière cour de bidonville, produit détestable d’une société capitaliste broyeuse d’hommes, mais dans une ambiance bourgeoise, tout à fait « cool ». Ou encore ces lignes extraites d’un livre à grande diffusion d’un auteur à succès, agrégé de philosophie, et rien moins qu’épouse d’une éminence républicaine, j’ai cité Elizabeth Badinter dans son ouvrage L’un est l’autre. ( Livre de poche). Madame Badinter commentant une émission de septembre 1984 de RFO écrit en effet : « Pour la première fois, certains osent revendiquer à visage découvert le droit à l’inceste, et d’autres s ‘emploient à le dédramatiser. Ainsi Warrell Pomeroy, co-auteur du célèbre Rapport Kinsey, affirme tranquillement « qu’il est temps de reconnaître que l’inceste n’est pas nécessairement une perversion ou une forme de maladie mentale, mais qu’il peut être bénéfique ».
Parenthèse, est-il juste de ne poursuivre que le père incestueux d’une jeune fille de Chalon-sur-Marne ou de Morne-à-l’eau (Guadeloupe), plutôt que madame Badinter, épouse de Robert ?
Cette intellectuelle n’a sans doute cassé nulle vitrine, ni dégainé le moindre colt dans un lieu public. Mais la violence peut revêtir des modalités plus softs.
Thérapeutique.
Lutter contre la violence en général, celle des mineurs en particulier, implique donc, du fait de son extension inquiétante, une mobilisation de toutes nos forces, et de toute notre intelligence.
La lutte pour un assainissement de la situation économique, une diminution du chômage, est capitale. Il est clair cependant qu’il est plus facile de formuler des diagnostics, et des vœux pieux, que de trouver des solutions.
Le chômage serait-il réduit à zéro, que de la violence n’en subsisterait pas moins.
Des travaux de psycho sociologie, (études longitudinales, portant sur plus de 16000 jeunes), menés au Canada, par Richard Tremblay (L’origine de la violence chez les jeunes, Cahiers de l’ISUMA, Volume 1, N° 2, Automne 2000) vont bien plutôt dans le sens des intuitions de St-Augustin, ou de Hobbes, ou encore du grand humaniste de la Renaissance Erasme, que dans celui de Jean-Jacques Rousseau : il y a dans l’homme un fond de violence native. Il ne m’est pas possible de m’étendre davantage sur le détail de ces travaux. Mais Richard Tremblay y insiste : c’est entre le 12è et le 30è mois après la naissance, que la violence humaine atteint son maximum. Quand elle diminue après, c’est du fait de la socialisation.
Dans cette étude, R. Tremblay écrit notamment, ce qui concerne directement le sujet dont nous débattons : « La possession d’objets est souvent à l’origine de ces conflits, au cours desquels les enfants apprennent qu’ils peuvent blesser et être blessés. La majorité des enfants apprendront rapidement qu’une attaque physique sur un de leurs pairs résultera en une réponse physique violente, et que les adultes ne toléreront pas de tels comportements. La plupart des enfants apprendront à attendre que le jouet soit libre et découvriront qu’une bonne façon d’éviter les interactions négatives consiste à demander un jouet plutôt que de le prendre à quelqu’un. Apprendre à être patient pour obtenir ce qu’on désire (délai de satisfaction), et apprendre à utiliser le langage pour convaincre les autres afin de satisfaire ses besoins sont peut-être les deux facteurs les plus importants à retenir lorsqu’il s’agit de contrer l’agressivité physique chronique ».
Je résume : il y a une violence native. La violence ne découle pas originairement de LA société. Mais des états de société peuvent soit la canaliser, l’apprivoiser, la transformer en force utile, par la médiation du langage et de l’éducation, soit au contraire l’exacerber.
Parmi les nombreuses causes qui contribuent à cette exacerbation, outre les facteurs socio-économiques conjoncturels, j’ai cru pouvoir dénoncer, certaines dérives idéologiques.
Par exemple un matérialisme pratique de bas étage qui propose comme idéal de vie un consumérisme vulgaire. C’est Jean-Jacques Servan-Shreiber qui dans l’Express du 3 octobre 1963, écrivait : « Consommer, c’est former mieux un plus grand nombre d’hommes et les rendre plus heureux. C’est la grande aventure de notre époque. Et au bout, il y a la liberté ». Je ne peux relire ces lignes consignées sur un carnet de notes, à l’époque de mes 20 ans, sans évoquer le mot célèbre de l’humoriste Pierre Dac : « Parler pour ne rien dire, et rien dire en parlant sont les principes majeurs de ceux qui feraient mieux de la boucler avant de l’ouvrir ».
Vraiment le Shreiberisme est le fléchage signalétique de toutes les permanences d’Al Quaida.
Autre dérive, l’éducation libertaire, le laxisme éducatif. Son alternative n’est nullement la répression éducative. Mais comme le souligne Tremblay, et comme l’expérimentent tous les parents et éducateurs, l’enfant selon un mot célèbre de Kant a besoin d’un maître au noble sens de ce terme.
Le professeur que je suis ne peut conclure cet exposé à la fois trop long pour votre patience, et trop court pour embrasser son vaste et complexe objet, sans dire l’importance qui devrait être celle de l’école dans la lutte contre la violence juvénile, et à plus long terme contre la violence en général.
Une école qui, soucieuse de former de façon concrète et utile, de préparer à l’exercice d’un métier, serait plus qu’elle ne l’est aujourd’hui, me semble-t-il soucieuse de cette formation humaniste, de cette culture générale qui ne se dispense pas seulement dans les classes terminales, mais dès l’école primaire, et d’un bout à l’autre du parcours scolaire.
Une école réaliste, et soucieuse de penser l’éducation dans la rigueur et un grand esprit de liberté à l’égard des modes, notamment idéologiques et pédagogiques. Il y a à cet égard une grande nécessité de rébellion à l’égard d’un certain pédagogisme bien en cours.
Une école où le premier des responsables de l’éducation ne proclamerait pas à la face de la nation qu’on s’ennuie à l’école, et que lui-même a conservé de ses « années lycées » un regrettable souvenir. Façon de justifier par avance la confusion de l’enseignement avec l’animation socio-culturelle, et le refus de l’effort. A quoi de beau et de difficile peut-on parvenir « sans trembler et suer longuement en sa chambre » comme disait jadis du Bellay dans sa Défense et illustration de la langue française.
Il y a quelques années dans un cahier du CNDP, un vieux philosophe, Jacques Muglioni écrivait : Longtemps l’école a voulu « être le lieu où l’on apprenait à être lucide et libre par rapport à la société, à ses préjugés, à ses injustices, le lieu où l’on pouvait librement s’exercer à la juger pour la changer quand il fallait. Cette idée républicaine a été complètement renversée. La séparation a été transgressée. Mai 68 joue, sous la forme allégorique d’un viol, cette transgression : c’est la société extérieure qui prend d’assaut l’école pour lui imposer ses passions et ses modes ».
Loin de moi l’idée de faire de l’école un bastion coupé de la société, elle manquerait à sa vocation. Mais je préfère cette conception là de l’éducation scolaire, dont je voulais dire en terminant, la place éminente qu ‘elle devrait jouer pour rééquilibrer notre jeunesse et notre société.
Pour approfondir.
Marx et Engels : Le manifeste communiste.
Hegel : Phénoménologie de l’Esprit, et La raison dans l’histoire.
Kostas Papaïoanou : Marx et les marxistes (Riches anthologies de textes marxistes, très bien présentés et commentés).
Jules Monnerot : Sociologie de la révolution.
Force et Violence (Actes du congrès de Lausanne organisé par l'Office Internationnal des oeuvres de formation civique et d'action culturelle selon le droit naturel et chrétien).
Christian Jelen : La guerre des rues (Plon).
Blandine Kriegel : La violence à la télévision(Rapport fait au ministre de la culture et de la communication, 2002).