13 Mai 2009
Lettre ouverte à René Beauchamp, par David
Dahomay.
( David Dahomay est un jeune enseignant, socialiste, et donc un plus plus à gauche que moi. Je me permet de publier sa lettre
ouverte à René Beauchamp, où il prend la défense de son père Jacquy Dahomay attaqué méchamment par Beauchamp (du LKP). Jacquy est, lui aussi, nettement plus à gauche que le Scrutateur (pour
parler le langage simplificateur et biaisé de la politique ordinaire). Mais, non seulement il est pour moi un ami de longue date, mais il est aussi un philosophe, un intellectuel, et un homme
droit, et honnête.
C'est pourquoi je publie la lettre de David, en la contresignant assez largement, malgré certaines naivetés, inévitables péchés de jeunesse . Edouard Boulogne).
Cher René,
Je viens de terminer à l’instant la lecture de ta prose (voir pièce jointe).
J’avais jusqu’à cet instant de la considération pour toi – j’ai toujours admiré ton engagement plein et entier pour la défense des personnels de l’éducation, même si tu le sais, nous ne partageons pas les mêmes convictions quant au système éducatif –, et sans exagération, oui, une certaine affection.
Et, même s’il est fort probable que cela ne te touche point, sache désormais que tu as perdu toute mon estime.
Car, après ce que je viens de lire, tu ne vaux humainement plus grand-chose à mes yeux. Non pas que nous ne souhaitons pas la critique, au contraire, certains d’entre nous souhaitent depuis longtemps en Guadeloupe l’avènement d’un vrai espace public, où les débats pourraient être engagés librement. Mais il y a un préalable à la réussite d’un tel espace : le respect de l’autre et de sa différence – ce qui suppose donc l’absence d’attaques ad hominem, d’intimidations, de violences verbales ou physiques –, et puis la rationalité et la fin de la mauvaise foi. Conditions qui en te lisant sont encore bien loin d’être réunies. Et quoi ? C’est donc cette Guadeloupe indépendante de demain que toi tu souhaites ? Un parti unique, une ligne de pensée unique, un leader charismatique qui pense et agit pour le peuple en son nom et à sa place ! Non merci René, égare-toi si tu veux dans ce chaos des hommes et des âmes, mais ce sera sans moi, sans nous, sans tous les démocrates et humanistes de Guadeloupe. Au fond, peut-être est-ce là le but recherché ? Une Guadeloupe qui serait débarrassée une fois pour toute de ses intellectuels de gauche aux pensées subversives et ennemis déclarés du peuple, et puis de ses békés, et puis de ses hommes politiques inconséquents, et puis des bourgeois trop gras, et puis de ses métros, et puis de ses étrangers, et puis de ses libanais, et puis –qui sait ? – de ses indiens, et puis de tous ceux qui ne penseraient pas comme le Parti unique, et puis… l’on sait au final où tout cela mène.
Mon dieu, comme je voudrais te faire comprendre et te faire entendre à quel point les principes démocratiques – consubstantiels à la liberté et à l’égalité en droit et en dignité – sont au cœur de toute société prétendant à la félicité. Lis, tant qu’il en est encore temps –mais je doute que pour toit il soit déjà trop tard – l’économiste indien Amartya Sen, « la démocratie chez les autres », et comment il défend cet idéal comme universel ! « En définitive, le concept fondamental d’une démocratie fondée sur la délibération est le concept du débat en soi. Lorsque les citoyens débattent, ils échangent leurs opinions et discutent de leurs propres idées sur les principales questions d’ordre public et politique. » Le leader du LKP prêt à défendre la démocratie directe – et sur ce concept il y aurait beaucoup à redire, tant ce concept est dangereux – entend-t-il d’abord appliquer ce concept au sein du LKP et de son organisation ? Car j’y vois beaucoup de dirigisme – voire même de l’autoritarisme – dans toutes ces organisations, et bien sûr, inévitablement – car c’est consubstantiel à toute organisation, que ce soit une entreprise, un syndicat, ou une société politique –, de la délégation de pouvoir, donc indubitablement de la démocratie représentative ! Comment alors ensuite prétendre refonder la démocratie chez nous en Guadeloupe – visiblement par des voix révolutionnaires –, alors même qu’au sein de ces organisations c’est le culte du leader qui prévaut ? Explique-moi René ! Quoi ? Tu vas encore me dire que vous savez comment agir et quoi penser à notre place ? Car j’espère qu’il ne t’a pas échappé qu’après ce qui s’est passé jeudi, à mon sens le LKP n’est déjà plus uniquement qu’un mouvement de la société civile, mais bien aussi un mouvement politique, d’autant qu’en son sein y figurent des partis politiques.
Ainsi donc, le LKP est incritiquable. Celui qui parmi nous le critique, se voit d’office affubler de l’injure suprême : « Tu es un mauvais guadeloupéen ! » Ou si les révolutionnaires préfèrent : « Tu es un ennemie du peuple ! ». Dieu comme je voudrais te dire à quel point les injustices sociales me hantent, comment la détresse de ces jeunes exclus me touchent – et je ne vois guère des gens comme toi intervenir souvent pour eux, obnubilés que vous êtes par vos convictions indépendantistes !. D’une certaine façon j’ai décidé de m’engager politiquement pour que cette question soit au cœur des préoccupations politiques. Si nous sauvons cette jeunesse, ce sera déjà quelque part la Guadeloupe qui sera sauvée. Et j’ai même proposé que cette question soit prise en compte – avec force de proposition – lors du prochain Congrès. Mais tu dis quoi toi sur cette jeunesse qui souffre ? Indépendance, indépendance, vous verrez, vous ne souffrirez plus ? Allons bon, et quand nous l’aurons cette indépendance tant souhaitée, ce sera quoi ton programme politique ? Communisme sous fond de maoïsme – car il faudra bien faire taire les récalcitrants – ? J’aspire à plus d’autonomie pour notre pays, mais pas à n’importe quel prix René ! Une Guadeloupe autonome totalement entre vos mains et votre merci serait je le crains la pire des Guadeloupe souhaitées. Car pris dans votre dogmatisme mortifère, vous n’avez pas pris le temps de penser la Guadeloupe de demain, en termes de quelle démocratie ? Quel système politique ? Quel système économique ? Quelles conditions pour une Guadeloupe apaisée et fière de la richesse de sa diversité ? Tout cela à tes yeux ne sont que de belles paroles, et pourtant, la pensée libre et complexe est au cœur de tout destin d’homme, et de toute société.
Mais plus grave, car plus personnel, en te lisant, je pleure René, oui, je pleure. Je pleure de tristesse pour mon pays, et je pleure aussi de rage quand je vois tout ce que tu peux oser écrire comme ignominie, mensonges, injustices et violences contre mon père ! C’est une honte René d’oser tomber aussi bas ! Et tu parles ensuite de sale besogne ! Mais la sale besogne, c’est toi qui la fait, et le plus grave, c’est que tu sais que tu ne penses pas ce que tu écris, mais tu l’écris quand même ! Es-tu conscient que désormais tu n’es plus que l’ombre de toi-même ? Quand la Guadeloupe sera débarrassée de ceux qui ne pensent pas comme toi, oseras-tu encore te regarder dans une glace ? Il est probable que la schizophrénie alors te gagne René ! Mais nous ne serons certainement plus là alors. Car si la Guadeloupe doit inévitablement sombrer dans le totalitarisme, personnellement, je m’en irai. A moins qu’on ne me lynche avant. Bon débarras crierons en cœur qui l’on sait. Mais dans trente ans, dans cinquante, dans cent ans, vous aurez des comptes à rendre à l’Histoire René !
Alors sur le fond des attaques ad hominem formulées à l’encontre de mon père, je lui laisse le soin, s’il le souhaite, de te répondre.
Enfin, tu parles d’intellectuels s’auto-désignant comme représentatifs de tous les intellectuels de Guadeloupe. Mais où as-tu vu écrit cela ? Tu en as rêvé hier soir ou quoi ?
René, René, faut-il donc t’apprendre à penser : Nous ne représentons personne excepté nous-mêmes, c’est-à-dire les signataires ! Point trait. Nous n’avons la prétention de parler au nom de quiconque, exceptés nous-mêmes ! Mais il n’est pas certain que vous puissiez en dire autant. Mais tu devrais par contre t’interroger sur les causes d’un tel émoi suscité par la pétition : la majorité silencieuse René. Oui, tout le monde ne pense pas comme toi, c’est la douloureuse expérience de la liberté concédée à l’autre en tant qu’il est singulièrement différent de toi, et qui est au cœur de toute expérience profondément démocratique.
Je ne te salue pas René.
David Dahomay.