Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.
1 Avril 2009
Domota sera-t-il d'accord?
(Je ne suis pas, il s'en faut de beaucoup, un fan de l'écrivain Raphael Confiant, du moins sur le plan politique, car je m'abstiendrai
aujourd'hui, délibérément, de toute considération sur son oeuvre littéraire. Mais je viens de recevoir un texte de ce monsieur concernant la crise que traversent en ce moment nos
communautés d'outre mer.
La thèse de monsieur Confiant est que la cause de tous nos maux est à chercher dans la surrémunération de 40 % du salaire des fonctionnaires. Je ne suis pas économiste, mais, abstraction
faite de la phraséologie habituelle de l'auteur du Nègre et l'amiral, ("Pouvoir colonial", "exploitation du nègre par les gros
békés", etc), certains de ses arguments, à défaut d'être entièrement exacts, méritent mieux que le rejet en bloc? Ils méritent d'être examinés.
Evidemment il ne pourrait être question de supprimer immédiatement la "prime de vie chère". L'on pourrait envisager une diminution progressive du sursalaire. Et même l'affectation des sommes
libérées au développement d'une agriculture plus autocentrée, voire à l'aide au patronat pour payer les lourdes augmentations de salaire engendrées par les accords dit Binot, ou du 5 février.
Pourquoi pas!
Que l'on se rassure, le Scrutateur n'est pas devenu un sectateur des idées indépendantistes, et anti békés de M. Confiant. Mais en homme de bonne volonté, et sans préjugés, il s'efforce de
considérer les idées d'où qu'elles viennent, pourvu qu'elle contribuent à l'amélioration de notre vie quotidienne.
D'autant plus que l'égalité des droits et des devoirs (surtout des "droits") avec la métropole, si ardemment réclamée (que dis-je "exigée"!) serait ainsi mieux assurée, les fonctionnaires,
sur le territoire européen de la France, ne bénéficiant pas des 40%.
Questions qui se posent toutefois : le texte de Raphael Confiant est-il destiné à une réflexion collective lors des prochains "états généraux"? En ce cas je lui souhaite bien du plaisir!
D'autre part, M.Elie Domota, cadre supérieur dans l'administration "coloniale" (pour employer sa terminologie habituelle) serait-il d'accord avec Raphael?
Je crois, comme on dit, que nous ne sommes pas sortis de l'auberge!
E.Boulogne.
DE L'URGENTE NÉCESSITÉ DE SUPPRIMER LES 40 % DES FONCTIONNAIRES...
par Raphaël CONFIANT
Depuis 1946, c'est-à-dire depuis que la colonie de la Martinique a
été transformée en département d'Outre-Mer, tout et le contraire
de tout a été tenté pour « développer l'économie locale ». Il y a
d'abord eu le soutien, ruineux, à l'économie sucrière, remplacé
assez vite par le soutien, tout aussi ruineux, à l'économie
bananière. Soutien aussi bien de la part des collectivités
locales, de l'Etat français, puis, plus tard de la Communauté
Européenne. Une triple source de subventions en pure perte qui a
englouti un nombre faramineux de milliards de francs, puis
d'euros, en un demi-siècle. La langue créole possède une
expression imagée pour caractériser ce phénomène : chayé dlo nan
panyen, ce qui signifie transporter de l'eau à l'aide d'un panier.
Chaque année, en effet, nos gros planteurs békés et nos
agriculteurs, nos patrons du bâtiment, nos petites et moyennes
entreprises, nos marins-pêcheurs, nos transporteurs routiers etc.
crient à la disparition totale de leur activité, à leur ruine, si
une autorité quelconque ne leur vient pas en aide sans délai.
Chaque année ! Alors, de guerre lasse, en plus des subventions à
tout-va, on inventa la défiscalisation censée « attirer des
investissements dans les DOM » selon la formule consacrée,
défiscalisation qui en réalité n'a servi qu'à permettre à des
richards français de ne pas payer d'impôts en achetant bateaux ou
résidences au soleil et qui a provoqué une spéculation foncière
irréversible et mortifère dans un pays grand comme un mouchoir de
poche.
Il n'y a guère que les patrons de supermarché, de magasins de
bricolage et les concessionnaires automobiles à ne pas crier
famine. Et pour cause !
Ou plutôt quelle est la cause, la véritable cause, de ce mal
récurrent ?
Qu'est-ce qui plombe irrémédiablement tout effort de mise en place
d'une économie un tant soi peu viable et dynamique dans notre pays ?
Ma réponse va en faire hurler plus d'un, mais je suis sincèrement
persuadé que cela tient à l'existence de ce fameux sursalaire de
40% arraché de haute lutte, en 1946, par nos parents
fonctionnaires.
Seuls deux personnes ont eu le courage de le dire : d'abord, dans
les années 80, Max Elysée, patron de la chaîne de cinémas du même
nom, homme de Droite mais ouvert, intelligent, longtemps
conseiller général de Fort-de-France et candidat à la mairie de
cette dernière. Aussitôt, il fut incendié, descendu en flèche, par
la quasi-totalité du corps politique local, les gens de Gauche les
premiers. Principal argument de ses détracteurs : Elysée est un
capitaliste qui fait d'énormes profits et qui évidemment n'a pas
besoin de sursalaire pour vivre ; ensuite, le second contempteur
des 40%, dans les années 90, fut l'activiste nationaliste Guy
Cabort-Masson, qui, à travers de multiples textes et articles
pointa du doigt ce qu'il appelait joliment « une prime coloniale ».
Cabort fut, à son tour, voué aux gémonies. Motif : ce gauchiste
indépendantiste n'était pas crédible et cherchait à instaurer un
régime castriste à la Martinique, lui qui s'était déjà rebellé
lors de la guerre d'Algérie en désertant l'armée française dans
laquelle il était officier pour rejoindre le FLN.
Mais l'argument-massue de tous ceux qui rejetaient violemment la
proposition de Max Elysée et de Guy Cabort-Masson tenait au fait
qu'aucun de ces deux hommes n'était fonctionnaire. Sous-entendu :
ils n'avaient rien à perdre dans la suppression des 40%. Or, moi,
en tant qu'universitaire, je le suis. Quand donc je réclame la
suppression des 40%, personne ne saurait m'opposer le fait que je
n'aurai rien à y perdre. Oui, j'aurai à y perdre une somme
équivalente à près de la moitié de mon salaire, ce qui n'est tout
de même pas rien, et pourtant je l'accepte !
Et pourquoi ?
Parce que les 40% sont le cancer qui ronge l'économie
martiniquaise (ou ce qui en tient lieu) depuis un demi-siècle.
Comme tout cancer, le mal s'est d'abord fait silencieux,
insidieux. Au début, les fonctionnaires créoles ont vu leurs
revenus quasiment doubler du jour au lendemain. Ils se sont
achetés des voitures neuves, des terrains afin d'y bâtir la villa
de leurs rêves, villas qu'ils ont meublées avec ostentation, ils
ont même, pour certain, acquis un pied-à-terre à Paris ou à
Bordeaux où leurs enfants habitaient le temps de leurs études, ils
ont pu voyager un peu partout à travers la Caraïbe et dans le
monde. Pendant ce temps-là, leur sursalaire irriguait le tissu
économique martiniquais.
Irriguait de ses métastases, devrais-je dire...
En effet, l'armature même du système repose sur les 40%, créant ce
qu'Edouard Glissant a appelé une « économie-prétexte ». Un
faux-semblant d'économie ou une économie du faux-semblant, comme
l'on voudra. En effet, comment parler sérieusement d'économie dans
un pays où le taux de couverture des importations par les
exportations est passé de 54% en 1935 à...3% en 2009. Oui, trois
pour cent ! Pour parler à Ti Sonson : le produit de la vente de
notre rhum et de notre banane ainsi que les recettes du tourisme
ne couvrent que 3% des achats que nous effectuons à l'extérieur,
3% des marchandises que nous importons. Tout le reste, les 97%
donc nous sont fournis par des transferts financiers venus de
France et d'Europe, notamment les 40% (mais aussi les subventions
aux planteurs et les allocations aux « malheureux »).
Soyons clairs : la départementalisation a mis la Martinique en
faillite.
La première conséquence des métastases provoquées par les 40% est
l'existence d'une inflation généralisée. Pour que Ti Sonson
comprenne : c'est parce que le concessionnaire béké sait qu'il
pourra vendre des 4/4 à 30 ou 40.000 euros qu'il en importe ;
c'est parce que l'avocat nègre ou mulâtre sait que son client
pourra payer, que pour simplement commencer à s'occuper de son
affaire, il lui réclame d'entrée de jeu entre 1.000 et 1.500 euros
d'arrhes ; c'est parce que la marchande de légumes sait qu'elle
trouva acquéreur qu'elle revend son kilo d'igname à 4 ou 5 euros
etc...Chacun sait qu'il y a une énorme masse financière en
circulation dans le pays, masse financière sans aucune
contrepartie dans l'économie réelle, mais qui est grandement utile
à la mise en place de ce théâtre d'ombres, de cette
économie-prétexte déjà évoquée. Chacun sait que cet argent vient
d'ailleurs, de France et d'Europe, mais on préfère ne pas trop
réfléchir à cela. On l'utilise sans sourciller, le gaspille,
l'emploie à des choses délirantes. S'empoisonnant du même coup à
petit feu.
La Martinique était une colonie de plantation. Elle est devenue, à
compter de 1946, une colonie de consommation.
Et là on reste sidéré devant l'aveuglement de nos syndicats et de
nos partis politiques qui n'ont jamais réfléchi sérieusement à
cette étrange transformation et n'ont jamais recherché les voies
et moyens d'en sortir. Bien au contraire, syndicalistes et
politiques n'ont eu que deux slogans à la bouche : « maintien des
avantages acquis » et « rattrapage avec la Métropole ». Et sur la
question précise des 40%, ils se sont battus pour que les
fonctionnaires territoriaux de catégorie C qui ne bénéficiaient
pas de cette prime coloniale puissent l'obtenir. Pire : certains
trotskystes, qui ne sont pas, il est vrai, à une action
opportuniste près, ont réclamé rien moins que la généralisation de
cette prime à tous les travailleurs Martiniquais. Certes, la
création de ladite prime a tout de suite généré, et cela dès 1946,
une sorte de fracture sociale entre ceux qui la recevaient et ceux
qui ne la recevaient pas. Mais il ne faut pas exagérer non plus :
ceux qui ne la reçoivent pas (Béké, avocat, marchande de légumes)
ont vite trouvé le moyen de pomper dans ce sursalaire. On peut
même aller jusqu'à dire que ces catégories de gens ne vivent que
grâce aux 40% des fonctionnaires. Supprimez les 40% et leurs 4/4 à
30.000 euros leurs resteront sur les bras, leurs 1.000 ou 1.500
euros d'arrhes pour vous défendre au tribunal ou leur kilo
d'igname à 4 euros ne trouveront plus preneurs !
Il faut donc avoir le courage politique de demander la suppression
de ces 40% qui empêchent d'envisager la moindre politique
économique un tant soi peu viable dans notre pays. Qui entraînent
une surconsommation hallucinante dont le bénéfice va tout droit
dans la poche des Békés et des grands patrons de couleur. Qui
détruit notre minuscule Martinique par miette de 500 m2 pour que
chacun puisse y construire sa villa à lui. Qui empêche l'érection
d'un transport public fiable et rentable dans la mesure où
n'importe qui, y compris le Rmiste, peut s'acheter son véhicule
personnel. Qui fait surtout que tout produit fabriqué chez nous
est automatiquement deux ou trois fois plus cher qu'à l'extérieur
et donc quasiment invendable (ou inexportable). Et qui enfin
favorise le « génocide par substitution » puisque sans cette prime
coloniale, peu de fonctionnaires hexagonaux demanderaient leur
mutation aux Antilles.
Les 40% sont un poison. Un cancer économique. Il faut, pour lutter
contre cela, une thérapie de choc.
Une ablation pure et simple...
Attention ! Je ne dis pas que le malade sera guéri c'est-à-dire
que tous les problèmes économiques de la Martinique seront
automatiquement résolus. Je dis que la moitié au moins de ces
problèmes seront résolus, ce qui n'est déjà pas si mal.
Quel homme politique martiniquais, quel syndicaliste, quel
militant associatif, quel artiste, quel intellectuel aura le
courage de le dire ?
Pour moi, toute personne qui lutte pour le maintien des 40% est
objectivement favorable au maintien du joug colonial français en
Martinique.
Raphaël CONFIANT