de l’opinion en métropole. Les extrémistes guadeloupéens viennent peut-être d’ouvrir la boîte de
Pandore.
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La vague de violence qui a secoué la Guadeloupe pendant six semaines s’est
achevée sur une capitulation du gouvernement, prouvant une fois de plus que l’adage « Force reste à la loi » n’avait plus cours sous l’ère d’un Sarkozy pourtant élu
grâce à des postures sécuritaires et de défenseur de l’ordre. Le 3 mars, le Premier ministre François Fillon a cédé à la majorité des exigences d’Elie Domota, le chef du
groupuscule LKP (Liyannaj kont pwofitasyon, ou Alliance contre l’exploitation). Outre une hausse de 200 euros net pour les salaires atteignant jusqu'à 1,4 fois le SMIC,
l’agitateur a exigé et obtenu un accord portant sur une liste de cent produits pouvant bénéficier d'une baisse des prix sur l’île. Seule résistance : les militants du LKP
passant d'entreprise en entreprise pour faire accepter un accord salarial se sont heurtés au refus de certains patrons de signer « sous la pression » et « les
menaces ». Mais d’une manière générale, comme certain le disent fièrement dans ce département français d’outre-mer, « les noirs ont gagné ». Contre les prétendus «
exploiteurs », c’est-à-dire les blancs. Il est temps d’examiner la situation sans tabou.
On notera que les violences ont commencé le 20 janvier, jour de l’investiture du président Obama. Tout un symbole, car si les origines du conflit sont sociales, elles ont vite
pris une dimension raciale, ou « identitaire », comme l’a pudiquement dit Christiane Taubira, député de Guyane, dans le Journal du dimanche du 14 février.
Selon les agitateurs du LKP, les disparités sociales seraient directement liées à la période de l'esclavage, d’où l’animosité d’un camp à l’égard de l’autre.
Posture victimaire peu sérieuse : on a peine à croire que 160 ans après l’abolition de l’esclavage par la France, et en dépit des centaines de milliards de francs puis d’euros
de subventions et d’aides sociales concédés par la métropole, des noirs n’aient toujours pas réussi à bousculer les hiérarchies anciennes pour commencer, eux aussi, à produire
des richesses en outre-mer.
Mais de toute façon, ces revendications « mémorielles » ne sont pas recevables, puisqu’elles supposeraient, dans l’hypothèse où elles seraient fondées, une
responsabilité collective imprescriptible des peuples ayant pratiqué l’esclavage et dont la dette incomberait à notre génération. A cette nuance près que les prétendus
descendants d’esclaves feraient une impasse commode sur la responsabilité des peuples « frères » – ou non solvables – ayant asservis et vendus leurs congénères, comme
les peuplades de la côte ouest de l’Afrique commerçant avec les Européens du XVIe au XIXe siècle. Il importe d’ailleurs de noter que si tous les peuples ont connu l’esclavage –
comme victimes ou exploiteurs –, seuls les Européens l’ont aboli.
Enfin, soulignons que l’immense majorité des Français métropolitains, y compris ceux implantés aujourd’hui aux Antilles, n’ont jamais eu d’ancêtres maîtres ou négociants
d’esclaves. En revanche, ainsi que le constatait récemment une étude de la fondation Polémia, « l’immense majorité des Antillais qui sont des métis ont souvent pour souche
originelle l’union d’un maître blanc et d’une esclave noire. “Le Monde” [du 12 février] souligne à l’envi que le chef agitateur guadeloupéen Elie Domota est un
“chabin” – affectueux terme créole pour désigner un Afro-Caribéen de carnation… claire. Elie Domota a donc, selon toutes probabilités, des ancêtres maîtres d’esclaves… ; ce
qui n’est pas le cas de l’immense majorité des métropolitains qui subventionnent les Antilles avec leurs impôts. »
Car la réalité, c’est que les DOM-TOM sont dans une logique d’assistanat et vivent sous perfusion économique de la métropole. Logique impitoyablement confirmée, pour la
Guadeloupe, par les chiffres de l’Institution d’émission de l’outre-mer, l’IEDOM, équivalent local de la Banque de France. En 2007, sur une population de 450.622 habitants, il y
avait 167.306 actifs dont 39.786 chômeurs ; et 32.052 allocataires du RMI. Loin d’exploiter ces départements, l’Etat les fait bénéficier de nombreux privilèges sociaux et
fiscaux. La « vie chère » brandie par les émeutiers n’est donc pas la conséquence des impôts d’Etat, mais en fait de la fiscalité des collectivités territoriales qui
prélèvent leurs propres taxes… Prélèvements sur le consommateur d’ailleurs redistribués localement sous forme de salaires et de prestations sociales ! Mais peu importe la
réalité ! Dans la même logique raciste, parmi les 132 revendications du LKP figurait l’exigence d’une discrimination raciale, car trop de fonctionnaires, de patrons et de
dirigeants seraient blancs et « ne [feraient] pas toute leur place aux noirs » ! Revendication illégale, car la France ne pratique pas la discrimination sur critère
ethnique, au grand dam de certains membres de l’UMP. La mesure a donc été reformulée en « priorité d’embauche pour les Guadeloupéens » et « embauche obligatoire de
Guadeloupéens dans les entreprises bénéficiant d’aides publiques »… Nul n’a tiqué sur ces revendications directement apparentées, à l’échelle d’un département, à la
préférence nationale prônée par Jean- Marie Le Pen pour tous les Français et unanimement diabolisée ! Peut-être parce que les militants du FN ne tirent pas sur la police à
balles réelles ?
Mais, là encore, Mme Taubira se veut rassurante : « Les leaders du LKP ne sont pas des racistes anti-blancs. Ils exposent une réalité sans prendre de précautions oratoires :
une caste détient le pouvoir économique et en abuse. » C’est oublier un peu vite les discours sans équivoque des militants du LKP : « Ce pays est nous, pas à vous [les
blancs] »… Ou leur tendance à distinguer les Guadeloupéens des « Français » – métropolitains, assimilés au « pouvoir colonial », ou « Békés »,
blancs natifs de Guadeloupe ! Laissons d’ailleurs Elie Domota, au cou duquel se pendait Taubira, évoquer les patrons blancs refusant son diktat : « Soit ils appliqueront
l'accord, soit ils quitteront la Guadeloupe (...) Nous ne laisserons pas une bande de Békés rétablir l'esclavage (...) Si les Békés veulent la guerre, ils l’auront. (…) Et il y
aura des morts. » Une base de négociation soutenue en métropole par Ségolène Royal et Olivier Besancenot. Et entérinée par l’équipe de Nicolas Sarkozy, qui a donné là un
grand signe de faiblesse que ne manqueront pas d’exploiter sous peu les agitateurs.
Car la manne supplémentaire accordée aux Guadeloupéens – puis, dans la foulée, aux Réunionnais et sans doute bientôt aux Martiniquais soulevés eux aussi – ne contribuera pas
plus que les aides précédentes au développement des départements concernés. Dans « La Danseuse des Caraïbes aime trop son père » (1998), le haut fonctionnaire
démocratechrétien Nicolas Delahaye écrivait : « Le conflit-séduction trouve son origine dans l’acte fondateur de la société antillaise : la colonisation. Elle a installé
chacun des partenaires dans un rôle dont il ne parvient plus à sortir. L’un s’autoflagelle pour une défaite dont il n’est pas responsable, mais qu’il revendique en victime.
L’autre, par mauvaise conscience, cherche le pardon dans une attitude de laissez-faire qui irrite les frustrations (…) Les relations Antilles françaises/métropole sont typiques
d’un rapport parent/enfant. Tous les aspects de la vie sociale et politique ramènent à cette analyse. » L’idéologie de la culpabilisation, véritable fonds de commerce de la
classe politique et syndicale antillaise comme des associations noires en France, s’est renforcée ces dernières années. Selon Polémia, « l’agitation des années 1960 et des
années 1980 se faisait sur fond d’indépendance.L’agitation d’aujourd’hui s’adosse à un fond de repentance et de demande de “réparation”. C’est moins risqué et plus rentable
». Un sondage ISAMA publié le 5 mars révélait toutefois l’exaspération des Français : ils seraient désormais 40 % à souhaiter l’indépendance de la Guadeloupe, un chiffre
inconcevable il y a quelques mois. A droite, ils seraient 51 % ; et les sondés se réclamant du Front national, 68 % ! On peut autant l’analyser comme un refus du gouffre
économique que constitue l’outre-mer que comme une prise de conscience des nouveaux enjeux identitaires.
Frédéric Petit
LE CHIFFRE DU MOIS
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C’est, en milliards d’euros d’aides au développement, ce que le gouvernement va dépenser en faveur de l’outre-mer,
où l’on trouve quatre fois plus de RMistes qu’en métropole (8 % de la population) et presque trois fois plus de chômeurs (22 %). Preuve que Paris, loin d’abandonner
l’outre-mer ou, comme le prétend Christiane Taubira, député de Guyane, de le considérer « comme une danseuse », n’a jamais cessé d’accroître son aide en tentant de remplir ce
tonneau des Danaïdes : 16,7 milliards d’euros en 2009, soit 900 millions de plus qu’en 2008 – à quoi s’ajoutent les 580 millions que le gouvernement a débloqués à la suite de
la crise pour complaire à ceux qui crachaient sur les Français de métropole assimilés à des blancs colonialistes. L’Europe en rajoute, avec près de 4 milliards d’euros prévus
entre 2007 et 2013. Et Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, dans la présentation de la loi pour le développement économique de l’outre-mer, annonce que le gouvernement
– avec l’argent du contribuable – mobilisera 10 milliards d’euros en cinq ans. Que l’on songe à tous les problèmes que l’on pourrait régler en métropole, avec cet
argent…
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