Poésie : Sécheresse, de Raymond Joyeux, par Edouard Boulogne.
Sécheresse,
de Raymond Joyeux.
(Editions : Les ateliers de la lucarne).
Il est, parait-il deux Sahel.
Le plus connu est ce désert de feu, où planent la mort et la désolation, où chaque pierre, et les sables, en millions d’escarboucles semblent s’être donnés pour tâche d’absorber, d’épuiser le soleil lui-même.
Il est un autre Sahel, où l’eau profonde et cachée permet, quand les paysans véritables la câlinent, cajolent et doucinent, l’épanouissement de vastes prairies, certes fragiles, où paissent encore de vastes troupeaux.
Il est aussi, de par le monde, plus ou moins vastes des rejetons de ce Sahel là, d’autant plus aimés qu’est perçue leur précarité.
Telle est cette « Haute Terre », dont est issue le poète Raymond Joyeux, fils de Terre de Haut, ce grain d’un archipel de rêve, les Saintes, au sud ouest de la Guadeloupe.
Raymond Joyeux nous livre ces jours ci un nouveau recueil de cette œuvre poétique qu’il développe depuis de longues années, où mûrit et s’approfondit une pensée, une vision belle et profonde.
« Sécheresse » en est le titre lapidaire.
Nulle dureté, nulle insensibilité pourtant dans cette succession de 30 poèmes, autant de pierres infiniment précieuses, exhumées d’une terre qui ne livre ses trésors qu’à ceux qui l’aiment, dans sa pudeur, et dans son vouloir vivre deviné derrière son voile de pudeur un peu sèche.
« Point de source
sur cette terre
calcinée
mais le sel
qui nargue
la soif
aux fontaines bréhaignes ».
Le désert n’est pas qu’un lieu de mort et de mélancolie. Il est aussi le lieu du ressourcement d’âmes d’élites, fuyant la réplétion des outres gonflées d’emphase et de fausses richesses. De Foucauld, les pères du désert.
Cela, Joyeux ne le dit pas. Nulle prédication, nul prêchi-prêcha dans son dire. Mais une suggestion non dite, parmi tant d’autres possibles, toujours en altitude.
On sent que sa Terre de Haut est moins le débarcadère aux touristes en quête de verroterie que les hautes terres où vont en file indienne les chercheurs de sources pures :
« Les porteuses
d’eau
en file indienne
transpirent
à petites gouttes
sous le paillis
saumâtre
de leur
seau ».
Ou bien encore :
« A force d’anhéler
l’iguane
au miroir
sans tain
de la mare
ne reconnaît plus
le peigne édenté
de sa crête ».
Qui donc oserait désormais évoquer la prétendue aridité des Saintes qui engendrent de telles pépites, un tel sourcier.
Il n’y a pas seulement plusieurs variétés de déserts.
Il y a aussi pluralité de paternité.
Celle d’abord qui engendre selon la chair, estimable, précieuse, mais commune, et somme toute facile.
Celle ensuite, et surtout, qui engendre selon l’esprit.
Raymond qui "genuit" Alain.
Alain, fils de Raymond, diplômé des Beaux Arts de Lyon, et en art thérapie est partout présent dans « Sécheresse ».
D’abord parce qu’il l’enchâsse d’une préface, et d’une postface dense et brillante, aussi parce que chaque poème du père est accompagné d’une photographie, par le fils, de la terre maternelle saintoise.
Les uns et les autres, les poèmes et les photographies, furent pensés, conçus, séparément, sans concertation.
D’où vient qu’elles consonnent si bien, sinon parce que la transmission « tradere » (transmettre → tradition !!) s’est faite dans la joie, le respect des idiosyncrasies personnelles, et… la réussite. Dans le commentaire du fils, derrière l’objectivité voulue, on n’a point de peine à entrevoir le respect, et l’affection. Toujours cette pudeur discrète dont se voilent la Haute Terre et ses rejetons qui en ont reçu l’âme.
Photographie d’abord prises en couleurs, mais dont le choix du noir et blanc pour la publication me paraît tout à fait congruent à ce que j’ai cru entrevoir de cette oeuvre si attachante.
Edouard Boulogne.
PS : Les lecteurs qui voudraient lire ce beau recueil, peuvent le commander, pour douze euros, à
Raymond Joyeux. Adresse internet :raymondjoyeux@orange.fr