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Vincent Humbert : le témoignage pathétique de son kiné. (I).
8 Décembre 2007
Rédigé par Edouard Boulogne et publié depuis
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La tragédie de Vincent Humbert : Le pathétique témoignage de son kiné.
(Ce livre où le présumé auteur n' a eu aucune part). ( Tout le monde a en tête la pathétique histoire de Vincent Humbert que rappelle dans la première partie du témoignage qui suit, son kiné Hervé Messager. J’ai
décidé, bien que le texte soit un peu long, de le reproduire à l’intention des lecteurs du Scrutateur, hommes et femmes, qui veulent analyser et comprendre leur époque pour éviter d’en être les
victimes. Le témoignage de Messager nous montre l’utilisation perverse, de sentiments humains, en soi honorables, tel que la pitié, pour, par un retournement diabolique, le faire servir à
l’enrichissement d’une certaine presse, et des groupes de pression qui s’en servent pour aboutir paradoxalement à l’asservissement de l’humanité, en faisant sauter les digues (telle la
religion catholique) qui la séparent d’une barbarie très réelle, bien que soft, comme l’avait montré Aldous Huxley dans son extraordinaire roman Le meilleur des mondes.
E.Boulogne).
Hervé Messager Kinésithérapeute à Berck-sur-Mer Le Kiné de Vincent parle …
Depuis la mort de Vincent, il ne s’est pas déroulé une journée où, ne serait-ce que pendant une seconde, je n’ai pensé à lui. Je n’y peux rien. Il en est ainsi. Cet écrit n’a aucune
prétention ; il ne se veut ni littéraire, ni politique pour un quelconque combat, ni jugement pour servir un éventuel procès. Ce n’est qu’un témoignage… Je ne suis rattaché à aucun mouvement
politique, à aucune religion ni à aucun groupe de pensée. Ceci n’est que le simple reflet de ma mémoire, avec ses éventuelles erreurs et zones d’ombre qui me hantent de temps en temps et que
j’aurais aimées ne jamais connaître. Je ne l’ai pas écrit à la demande ou pour faire plaisir à qui que ce soit ; mais j’ai eu besoin, comme on peut se livrer à un psy, de me rappeler l’histoire
de Vincent, puis de l’émettre et de la transmettre à celui ou celle qui pourra peut-être comprendre mon ressentiment. Je n’en attends rien en retour... mais je ne pouvais laisser sous silence ce
mensonge qui a bouleversé l’opinion publique, sans qu’elle ne connaisse la vérité.
L'accident
Vincent fêta ses 19 ans le 3 février 2000 . L'avenir semblait sans nuage et cette vingtième année s'annonçait sous les meilleurs auspices. Mais 7 mois plus tard, le 24 septembre, il fut
victime d'un accident de la voie publique ; pour des raisons strictement inconnues, sa voiture escalada un talus pour aller s'écraser un peu plus loin sur le bitume dur et froid de la chaussée
qui le conduisait vers ses êtres chers. Les secours ne découvrirent qu'un corps apparemment sans vie, celui de Vincent. Vincent présentait un traumatisme crânien, responsable d'une perte totale
de connaissance. il était, en fait, dans le coma et sa vie ne tenait plus qu'à un cheveu. Ce que les urgentistes classent en « traumatisme crânien sévère » avec un score de Glasgow à 3, le
minimum sur une échelle graduée de 3 à 15 : pas de réponse visuelle, pas de réponse verbale, pas de réponse motrice. Après désincarcération, il fut conduit par les secours routiers au CHU de
Rouen dans un service de réanimation où le principal objet fut en priorité de protéger son cerveau en souffrance qui s'œdémaciait et gonflait dans sa boite crânienne inextensible. La souffrance
d'une partie du corps traumatisée se traduit par une augmentation de volume malheureusement fatale pour un cerveau. Ainsi, notre boite crânienne qui nous protège par sa robustesse peut s'avérer
nuisible en cas d'œdème cérébral. Notre cerveau n'ayant pas la place pour gonfler se heurte aux parois osseuses du crâne, se déforme et s'engage vers le bas, où la voie paraît libre, en touchant
le tronc cérébral, siège des lésions primitives des « locked in syndrome ». Mais la lésion cérébrale de Vincent ne s'arrêtait pas là. Outre son œdème cérébral avec engagement, il présentait des
lésions axonales diffuses se traduisant sur l'imagerie médicale par des « pétéchies », synonymes de multiples lésions interrompant ou pouvant perturber la « communication entre les neurones ». Ce
cerveau ne pouvant plus assumer ses fonctions, Vincent allait vivre sous assistance respiratoire tant que son jeune cœur allait continuer à battre. A l'époque, Marie, alertée, m'a dit avoir
demandé que son fils ne soit pas la proie d'un acharnement thérapeutique. Pensait-elle déjà qu'il ne recouvrerait pas ses facultés antérieures ? Les médecins réanimateurs, après rapide réflexion,
prirent la décision, malgré tout, de prolonger leurs soins et, quand ce choix fut fait, ils mirent tout en œuvre pour aboutir.
Vincent sortit de la phase dangereuse pour sa vie. Après une période où le fléau de la balance pencha tantôt pour la vie, tantôt pour la mort, c'est la vie qui prit le dessus. Certes,
Vincent survivait grâce à une ventilation assistée avec intubation pour insuffler l'air dans les poumons. Cette intubation fut remplacée au delà d'un délai de 9 jours par une trachéotomie,
toujours avec assistance respiratoire.
Le transfert à Berck
Une fois l'état de réanimation de Vincent partiellement stabilisé, bien qu'il fût toujours dans le coma, son transfert fut décidé. Garches ne pouvait l'accueillir et ce fut le service de
réanimation polyvalente de Berck qui le reçut le 27 octobre 2000. Pendant un mois, l'état de Vincent, grâce au personnel du service de réanimation, s'améliora, lentement, jusqu'au sevrage de
l'assistance respiratoire, moment tant attendu de tout son entourage. Il ne faut pas oublier que les médecins anesthésistes-réanimateurs ont le choix, au cours de leur formation très pointue,
entre l'anesthésie et la réanimation. Moins nombreux sont ceux qui ont choisi de réanimer celui dont le corps, le cœur, le rein, le poumon mais surtout le cerveau sont au bord de la rupture.
C'est à la fois un grand courage mais aussi une gageure que de se battre contre une inconnue féroce et imprévisible qui ne cesse de détruire la vie parce que son nom est « la mort ». Le corps
médical a malheureusement appris à la connaître, à la combattre, mais trop souvent, ses ruses sont plus fortes et la mort triomphe. On ne peut alors qu'abdiquer, impuissant. Ce ne fut pas le cas
de Vincent. Une fois sevré de sa « machine » vitale, il sortit de son coma. Il passa au stade « végétatif », c'est à dire qu'il ouvrait spontanément les yeux, avait un cycle veille / sommeil,
même décalé, et ne dépendait plus de cette machine qui, stoppée, lui aurait ôté la vie quelques jours plus tôt. Mais, si cette différence entre le coma et l'état végétatif est connue par le
personnel qui fréquente les cérébro-lésés, elle est loin d'être évidente pour l'entourage du patient. La famille est rassurée du sevrage ventilatoire, de la sortie du service de réanimation de
l'être cher, pleine d'espoir face à la rééducation qui peut enfin être entreprise, mais elle est aussi inquiète...
Vincent, sauvé de la mort qui aurait bien aimé l'emporter, inquiétait aussi son entourage. A l'époque, sa mère et son amie furent les seules à faire preuve d'un intérêt constant pour
l'avenir de Vincent. Peut être que d'autres s'en inquiétèrent mais cela fut si discret !!! Vincent inquiétait parce qu'il ne communiquait pas. Il paraissait aréactif aux mots et aux touchers de
sa mère et de son amie. Il semblait loin, si loin... Le 29 novembre 2000, Vincent fut admis dans le service d'éveil dirigé par le Dr Rigaux. Vincent y eut une prise en charge traditionnelle par
un kinésithérapeute, Manu, qui se chargea de son état respiratoire, de son installation tant au lit qu'au fauteuil roulant et de son état orthopédique, c'est à dire la mobilité de toutes ses
articulations que Vincent ne pouvait effectuer seul. Mise à part la rééducation et les soins quotidiens dont Vincent avait besoin, il fut accueilli par une équipe transdisciplinaire où
infirmier(e), aide soignant(e), ergothérapeute et kinésithérapeute travaillent ensemble pour essayer de trouver un code de communication avec celui qui n'est plus capable de s'exprimer
spontanément, suite à sa lésion cérébrale.
Les premiers espoirs
Vincent ne présentait pas de signe d'éveil évident. Cependant, il commençait à sursauter au bruit à manifester des retraits au toucher mais tout cela ne semblait pas cortiqué, autrement
dit réfléchi. Un patient ne passe pas du stade végétatif à l'éveil du jour au lendemain. Aux travers de toutes les modalités sensorielles, il « franchit » progressivement différentes étapes :
rien, réflexe, retrait, retrait avec habituation, localisation puis discrimination. Parfois, dans certaines modalités, il est aréactif par cécité corticale, surdité verbale ou aphasie, paralysie
motrice ou autre... ARTE, chaîne de télévision, fut admise dans nos locaux pour effectuer un reportage sur nos prises en charge afin d'améliorer la compréhension du large public qui avait
découvert depuis quelques temps le « Scaphandre et le papillon » de Dominique Bauby. Bien que ARTE fût discret et respectueux de notre travail, nous sentions tous la présence de la caméra. Quand
je dis tous, j'y associe Vincent qui, pour la première fois, fut différent ; sa réactivité à l'entourage fut surprenante. Il présenta, ce jour-là, des preuves de conscience de son environnement,
non spectaculaires certes, mais probantes de son éveil en court. Il releva la tête, ses yeux se fixèrent sur une caméra, puis il retomba dans un état où le monde extérieur lui semblait
indifférent. Malheureusement, les jours qui suivirent ne vinrent pas confirmer l'état de vigilance éventuelle de Vincent. Ainsi, Vincent ne présentait pas un état d'éveil franc bien que chacun
d'entre nous ressentait quelque chose de positif, impossible à nommer avec certitude.
Après quelques semaines sans modification comportementale de Vincent, notre équipe décida d'arrêter les sollicitations multisensorielles dont il bénéficiait et d'en faire profiter
d'autres patients végétatifs. L'arrêt de ce mode de prise en charge n'est jamais définitif ; mais l'absence de communication visuelle, auditive, tactile, motrice ne nous permettait pas, à cette
époque, de persévérer dans notre recherche communicative. Vincent rejoignit les autres patients pour y recevoir les soins classiques de tous les cérébro-lésés, dans l'espoir que nous avions tous
de le voir un jour prochain communiquer. Marie était très présente au chevet de Vincent. Sa petite amie n'avait, elle, plus l'espoir de retrouver le garçon qui l'avait séduite. Elle exprima
d'ailleurs nettement qu'elle ne viendrait plus si Vincent ne recouvrait pas son état antérieur. Ses visites furent de plus en plus rares et on ne la vit plus pendant de longs mois. Cependant,
bien que ce ne fût pas apparent, Vincent sortait discrètement de son état végétatif et c'est sa mère qui en fut le premier témoin. Beaucoup de familles, et c'est humain, sont si avides d'espoir
qu'elles interprètent certains événements comme des signes d'éveil. Ainsi, une famille qui fut frappée par le malheur de voir leurs deux filles plongées dans le coma lors d'un même accident de la
voie publique n'a pu s'empêcher, suite à l'éveil de la plus jeune, de croire que la seconde n'avait, en fait, que du retard sur sa soeur, et interpréta ainsi des mouvements dus à l'hypertonie
comme des signes cortiqués. C'était malheureusement une erreur. Pour Vincent, ce fut différent ; Marie accourut un jour pour annoncer au médecin que son fils essayait de communiquer par pressions
du pouce dans certaines circonstances. Le médecin, et c'était son devoir, prévint Marie que ce devait être une interprétation de sa part et qu'il ne fallait pas s'y accrocher comme à une
certitude. Ce fut mal interprété et le reproche nous en a été fait.
C'était pourtant pour la protéger d'un éventuel espoir déçu. Quoi que sa mère puisse en dire aujourd'hui, malgré nos doutes sur un éveil tardif, Vincent réintégra le service
transdisciplinaire de sollicitations de la communication. Afin d'éviter toute interprétation et pour confirmer nos conclusions avec le moins de subjectivité possible, nous nous servons d'une
batterie de tests, sous forme d'échelles diverses, toutes publiées après validation. Elles sont d'origine anglo-saxonnes et leurs versions françaises se doivent d'être respectées scrupuleusement,
tant dans leur sens initial que pour leur mode d'utilisation.
Ces échelles, cependant, ne sont qu'un complément et ne remplacent pas les observations quotidiennes du personnel hospitalier et de l'entourage tant familial qu'amical. Souvent, par un
lien affectif privilégié, les premiers signes d'éveil de la conscience apparaissent aux familles ou plus particulièrement à l'un de ses membres. Cependant, nous savons qu'un code de communication
en privé se doit d'être reproductible auprès « d'étrangers » pour être considéré fiable et s'en trouver confirmé. Vincent, rapidement (au bout de 10 à 15 jours), nous répondit à quelques ordres
simples ; nous ne cherchions pas uniquement à retrouver ce que Marie nous avait décrit mais voulions savoir à quel point Vincent était sensible à son environnement. Les sollicitations n'étaient
pas uniquement auditives avec réponses manuelles, mais aussi visuelles avec ordres simples écrits, reconnaissances d'objets divers, réponses tactiles, motrices, etc...
Vincent avait donc commencé à communiquer avec sa mère avant de le faire avec nous ; mais si cette évolution fut accueillie avec joie, la reprise pour un ex-comateux d'une manière de
s'exprimer, quel qu'en soit le moyen, révèle et fait apparaître, la plupart du temps, l'état de confusion du patient qui ne pouvait être décelé auparavant, de par son
mutisme.
La sortie de l'éveil
Si l'éveil était en marche, le code fiable cachait des problèmes que l'on retrouve toujours chez nos patients cérébro-lésés. Vincent devenait pauci-relationnel, c'est-à-dire qu'il ne
répondait pas encore systématiquement à toutes les sollicitations et, d'un jour à l'autre, d'une heure à l'autre, son état de vigilance variait avec une fluctuation des réponses. De plus, au fur
et à mesure que la santé de Vincent évoluait, alors qu'il sortait définitivement de son état végétatif, la phase incontournable d'Amnésie Post Traumatique (APT) devenait évidente. La mémoire dite
« rétrograde », antérieure à l'accident, est la plupart du temps conservée, avec bien sûr une période d'oubli plus ou moins longue précédant immédiatement la lésion cérébrale... l'accident. La
mémoire « antérograde » par contre, postérieure au coma, est altérée pendant la phase d'Amnésie Post Traumatique au cours de laquelle le patient ne mémorise pas ce qu'il a fait quelques heures,
voire quelques minutes plus tôt. Il ne sert à rien d'essayer un jogging mental par répétition même s'il est utile de corriger les erreurs ponctuellement. Le patient est incapable d'apprentissage
; le malade a perdu tous ses repères. Son APT est en fait une phase de confusion plus ou moins longue qui, chez certains patients, ne guérit jamais.
Vincent sortit rapidement de cet état confusionnel. En fait, il apparaîtrait aujourd'hui que l'absence primitive de communication fut longue à se dissiper et qu'elle fut concomitante à la
période de confusion, en masquant ainsi cet état. Mais, à l'issue de l'APT, certains troubles encore existants deviennent séquellaires... Provisoires ou définitifs... (II en est ainsi, par
exemple, de la mémoire de certains patients en dehors de toute confusion.)
Ce n'était pas le cas pour Vincent : il mémorisait correctement. L'apparition des troubles comportementaux
Vincent, malgré l'intégrité de ses fonctions intellectuelles, présentait un syndrome frontal provoquant des persévérations dans ses choix et son discours en l'empêchant de modifier ses
propos et décisions quand ceux-ci manquaient de véritable réflexion. Ainsi, par exemple, Vincent avait une peur inexpliquée du lève-malade qui est pourtant le moyen le plus «soft» de transfert
des patients dépendants. Il préférait être porté «à bras», sans se soucier d'ailleurs – et je le comprends – de l'état de notre colonne vertébrale. Même si le lève malade est un confort
indéniable pour le patient comme pour le soignant, cette peur était la sienne et j’ai choisi de la respecter d’autant qu’il n’était pas trop lourd. Je me suis donc engagé à le porter
systématiquement avec l’aide d’un collègue. Rien que pour cela, il était ravi.
Un jour, Vincent refusa de passer un scanner cérébral nécessaire à détecter les séquelles de sa lésion. Par hasard, je passais devant sa chambre au moment où le Dr Rigaux essayait de
comprendre ce refus : «Mais pourquoi, refuses-tu le scanner ?» Habitué à Vincent, j’ai pu lui certifier que le transfert lit-plan de radiologie ne se ferait pas avec un lève malade. Vincent
accepta immédiatement l’examen radiologique ! Par chance, j’avais pu faire la corrélation entre la peur du lève malade et le refus du scanner. Vincent désirait être rééduqué à l'heure prévue,
prendre tel ascenseur et ne connaître aucune modification de sa routine ; tout changement était, pour lui, une source de panique, de perte de repères, un danger, pourtant non potentiel ni même
hypothétique...
Ce n’est aucunement faire injure à Vincent que d’admettre qu’il souffrait de réels troubles du comportement : raisonnement parfois faussé, persévération dans l’erreur, refus ou déni des
obstacles, «anosognosie» aussi un certain temps… Ce terme caractérise des patients qui refusent de reconnaître leur mal : « Oui, je n’arrive pas à marcher mais, dans ma tête, tout va bien : je
suis comme tout le monde ». Mais non : il faut dire et admettre que ces patients là, quelle que soit leur intelligence, ne raisonnent pas normalement. Et quand ils raisonnent mal, non sur un
petit fait de la vie quotidienne mais sur un point important de leur santé, il ne faut surtout pas se laisser abuser, les prendre au mot. C’est tout simplement une question de respect vis-à-vis
d’eux puisqu’on pourrait en venir, en suivant certains raisonnements faussés, à les mettre en danger.
Les déceptions
Après la certitude de l'éveil, la priorité des familles - et c'est légitime - est de voir marcher leur être cher. Qu'importe l'importance de l'orthophonie, de l'ergothérapie et de la
neuropsychologie, ce qui comptait pour Marie était de voir Vincent se mouvoir, se déplacer seul et ainsi refléter une image positive à son entourage. On a beau expliquer, prévenir les familles
que l'état fonctionnel d'un patient n'est que la partie visible d'un iceberg, la kinésithérapie leur apparaît primordiale. Mais cette discipline a ses limites et ne peut donner la faculté d'une
indépendance fonctionnelle à celui qui, malheureusement, n'en a pas les possibilités motrices, suite à son atteinte neurologique.
Si l'état de conscience était devenu évident, la récupération des facultés fonctionnelles de Vincent était loin d'être identique et parallèle. Nous étions confrontés à une double
hémiplégie avec syndrome d'engagement du tronc cérébral. Ce n'était pas une tétraplégie comme cela a été repris par tous les médias. Il n'y avait pas de lésion de la moelle épinière mais une
lésion cérébrale. Si l'on peut oser deux comparaisons grossières, ce n'est pas la ligne haute tension qui était atteinte mais la centrale électrique... De plus, la lésion secondaire par
engagement du tronc cérébral, ne permettait pas à Vincent de fermer les paupières, provoquant ainsi, malgré les produits ophtalmiques, une ulcération des cornées nécessitant deux tarsorraphies,
c'est-à dire la fermeture partielle des paupières par un point de suture, ce qui, évidemment, nuit à la vision. Cette même atteinte du tronc cérébral empêchait aussi une déglutition normale et
provoquait des fausses routes, dangereuses pour l'état pulmonaire et rendant impossible une nutrition par voie naturelle. C'est une gastrotomie ou une jéjunotomie qui, par sonde directe, permit
au patient de s'alimenter... (Je ne sais plus aujourd'hui laquelle des deux solutions avaient été adoptée, l'orifice d'entrée de la sonde étant le même). Enfin, Vincent présentait une paralysie
faciale d'origine centrale rendant son visage amimique, sauf quand il riait, et il riait souvent.
Outre les conséquences ci-dessus, la double hémiplégie ne permettait pas de faculté motrice fonctionnelle du reste de son corps. Certes une motricité du pouce droit lui permettait de
communiquer par pression, une motricité partielle du membre supérieur droit, tant à l'ensemble des doigts qu'au coude, se manifestait de plus en plus mais elle était parasitée par un hypertonie
(tonus musculaire anormal) qui limitait ses mouvements mais aussi par des syncinésies (mouvements involontaires parasitant les essais de mouvements volontaires).
Vincent était depuis longtemps sevré de sa trachéotomie ; il respirait sans aucune assistance et, excepté au cours d'un encombrement bronchique exceptionnel source d'inconfort, il ne
présenta jamais de problème respiratoire pouvant être fatal. Après avoir connu Vincent dans ses phases d'éveil, c'est à moi que revint sa prise en charge kinésithérapique. Son rééducateur
initial, pour des raisons strictement personnelles, quitta notre établissement. Marie me demanda de s'occuper de son fils. Mes possibilités d'aider Vincent étaient limitées à cause de la pauvreté
de sa récupération motrice. La rééducation d'un cérébro-lésé n'est pas un acte magique qui fait recouvrer au patient toutes ses capacités fonctionnelles. Si la commande ne répond pas
correctement, le kiné ne peut qu'entretenir l'état orthopédique de son malade en luttant, entre autres, contre l'hypertonie par postures d'inhibition.
Bien des familles, d'ailleurs, font reposer la récupération sur nos épaules. Elles nous offrent champagne ou chocolats quand tout va bien mais nous en veulent quand le résultat n'est pas
celui qu'elles espéraient. Il faut voir, dans ces reproches, l’expression de leur souffrance. Ainsi, un patient pauci-relationnel ne se serait pas éveillé parce que la kinésithérapie avait été
arrêtée, sur décision médicale concertée, au bout de 18 mois sans aucun progrès... Pour l'épouse d'un autre patient, son mari lui aurait dit, par communication facilitée, qu'il ne progressait pas
parce que le kiné n'y croyait pas, etc. Ces familles, dans la souffrance, n'imaginent pas que leurs propos, surtout quand on pense avoir tout donné, nous font mal. C'est bien sûr leur mal-être
qui parle mais elles ne doivent pas oublier que nous ne sommes pas responsables du destin qui a amené leur être cher dans notre service et qu'enfin, s'il existait un moyen universel d'éveiller et
de redonner à un patient toutes ses facultés antérieures, nous l'utiliserions. La rééducation en neurologie centrale n'est pas comparable à celle d'une fracture du poignet, d'une prothèse de
hanche ou d'une hernie discale : elle est dépendante totalement d'une récupération spontanée du cerveau que nous essayons, quand elle se manifeste, de guider vers une récupération
fonctionnelle.
Ma relation avec Vincent
Lorsque j’ai pris en charge Vincent en kinésithérapie, j’ai découvert un patient qui était là depuis six mois et qui avait, comme je l’ai expliqué, son caractère bien trempé, ses
habitudes, ses persévérations. C’est donc moi qui me suis plié aux habitudes de Vincent… sauf pendant les séances de rééducation. En rééducation, c’était moi le patron. Sinon, on aurait passé des
heures à discuter. Vincent aimait, en effet, beaucoup échanger. Le pouce, pour discuter, ça marchait !
A part ses troubles du raisonnement dus à son accident, Vincent était un garçon comme tout le monde. Ce n’était absolument pas le malade au bout du rouleau qu’on a décrit. On blaguait
souvent. Et quand on blaguait, il riait. Je peux assurer qu’il y avait du son. Parfois, on l’entendait de loin. Je me souviens que la veille de sa mort, il riait.
Malgré ses troubles du comportement, il était, par exemple, très intéressé par les informations à la télévision : il les écoutait, il les regardait avec attention. Les attentats du 11
septembre furent pour lui l’un des derniers évènements marquants. Mais il aimait surtout le sport. Comme il savait que c’était aussi mon cas, nous en parlions souvent. Nous avons notamment vécu
des moments très forts lors de la coupe du monde de football 2002. Un matin, vers 8h30, c’était la rencontre France Uruguay. A cette heure là, je travaillais. J’avais donc demandé à Vincent de
m’informer des résultats. Comme sa chambre était juste à côté de la kiné, j’allais tous les quarts d’heure lui demander : « On en est oû ? » Et c’est ainsi que Vincent m’a répondu avec son pouce
: « Titi Henry a eu un carton rouge, on fait zéro - zéro ». Je suis vite reparti et j’ai pu dire à tous les copains dans le service : « On est toujours à zéro - zéro, mais on n’est plus que dix
». Vincent faisait ces petits gestes pour moi avec simplicité et gentillesse...
Sur les 34 mois que Vincent a eu de vie après son handicap, je m’en suis occupé pendant 28 mois (quand on a en charge des patients cérébro-lésés, c’est en général pour longtemps). Au bout
de 28 mois, des liens particuliers se nouent, des liens très forts. Avec Vincent, on est vite passé au tutoiement. Il était devenu un copain. Vincent et moi pouvions tout autant nous disputer
quelque fois, comme n’importe quels amis exprimant leurs désaccords. Mais cela n’allait jamais très loin. On était vraiment des amis. D’ailleurs, quand je n’étais pas là, Vincent ne voulait plus
venir faire sa kiné, non pas parce que j’étais le meilleur kiné mais parce qu’il tenait à cette relation à deux avec moi. Il en faisait de même avec son ergothérapeute.
Je tiens à préciser que mon métier – c’est un des éléments qui me font l’aimer – me donne l’occasion de nouer ainsi des relations tout aussi fortes avec les patients qui ont précédé ou
suivi Vincent. Mais qui s’intéressera à leur histoire ?
La lettre au Président
A la fin du 3ème trimestre 2002, soit deux ans après l'accident, l'état de Vincent était devenu stationnaire malgré des petits progrès supplémentaires et réels de la motricité du membre
inférieur droit, malheureusement non fonctionnels.
Lors d'une entrevue entre le médecin et Marie, sans le cacher à Vincent, il fut évoqué de penser à l'avenir car le service de rééducation n'était plus approprié à la situation d'un
patient dont les possibilités sont en stagnation depuis quelques temps. Ce fut à l'origine du déclenchement de ce que les médias ont baptisé « L'affaire Humbert ». Marie n'avait pas le couteau
sous la gorge et avait du temps devant elle pour s'organiser. On n'allait pas mettre son fils à la rue ni l'envoyer dans un quelconque mouroir ; mais il fallait qu'elle entrevoit avec son fils un
projet de vie, ailleurs.
Vincent comprit ce jour-là qu'il resterait lourdement handicapé. En fait, il me l'a « dit ». Il le savait depuis quelques mois mais espérait ne pas se l'entendre dire. Il en voulut au
médecin de l'avoir dit et refusa de ma part toute explication. Il n’acceptait pas, en réalité, de devoir modifier sa routine quotidienne qui, pour lui, représentait ses repères, sa sécurité. Il
avait peur de tout changement. Dès cette époque, quand son ergothérapeute ou moi-même n'étions pas là, il se mit à refuser sa rééducation. Et si je devais changer son horaire, en le prévenant
bien sûr, il refusait aussi de venir. C'était la manifestation de son syndrome frontal dont il n'était pas maître, de par sa lésion cérébrale. Il ne pouvait admettre une souplesse dans sa prise
en charge et dans ses habitudes. Une maison d'accueil spécialisée (MAS) pour adultes venait d'ouvrir à quelques centaines de mètres: elle était moderne, rutilante, dirigée par un médecin de notre
établissement connaissant bien les patients cérébro-lésés et le personnel était issu de nos services. Marie fut conviée à la visiter. Elle s'y rendit avec la marraine de Vincent qui était là pour
une semaine. Le lendemain, suite à mon interrogation, Marie me déclara que ce n'était pas ce qu'il fallait pour son fils et que ce n'était « pas bien ». La marraine de Vincent m’exprima
clairement un avis contraire : « C’est tout neuf, c’est grand et magnifique ». Elle me rappela que Marie avait eu la veille la même impression qu’elle. mais Marie l'a reprit, estimant que «Titi
», comme elle surnommait son fils, n'aimerait pas. J’ai demandé alors à Marie : « Mais l’as-tu emmené ? » (au bout de trois ans, je tutoyais Marie). Titi, en fait, n'avait pas été convié à la
visite, alors qu'une simple demande d'ambulance aurait été acceptée. C’est à partir de ce moment-là que Marie a changé profondément. Je pense qu’elle fut complètement phagocytée par des
associations militantes. Refusant toutes nos initiatives, elle freinait des pieds et des mains.
Un lundi, j'aperçus, dans la chambre de Vincent, un journaliste local d'un hebdomadaire de Montreuil-sur-Mer. Marie me le décrivit comme un « grand ami » de Vincent. Mais quand, ensuite,
je me suis mis à évoquer cet «ami» devant Vincent, je fus stupéfait : il me certifia qu'il venait de faire sa connaissance !
C'était le début de la médiatisation. Vincent avait écrit sa lettre au Président et ce média local allait s'en faire l'écho. Trois jours plus tard, l'hebdo paraissait avec, en première
page : « Vincent Humbert demande le droit de mourir », avec des précisions erronées sur l'état de santé du soidisant auteur de la lettre. Soi-disant, parce que..., connaissant Vincent, les termes
et la prose ne lui ressemblaient pas ; il avait sûrement émis l'idée de base mais ne savait utiliser la langue française avec une telle facilité et une telle subtilité. Derrière ce qui était dit
de la réalité indéniable de son état, je découvrais des sophismes qui ne pouvaient venir de lui comme le rapprochement entre le droit de grâce présidentiel et la revendication d’un droit à la
mort. Ce n’était pas Vincent ! C'est une monitrice éducatrice qui se chargea de rédiger ce courrier. Pourquoi ? Je ne le sais pas. Elle ne connaissait pas plus Vincent que d'autres. Marie me
certifia qu'elle ne découvrit cette missive qu'a posteriori. Si c'est vrai, la rédactrice aurait dû lui en parler avant l'envoi car un adulte vulnérable est sous tutelle. La tutrice était Marie,
c'est du moins ce qu'elle m'a dit à plusieurs reprises. Je crois cependant que, l'une comme l'autre, ont oublié ou fait abstraction des troubles neuropsychologiques et comportementaux dont
souffrait Vincent. C'est pourtant bien en présence de Marie que ce journaliste local fut présent dans la chambre de son fils. Qui l'a appelé ? Ce n'est pas Vincent.
Simultanément à cet événement, Marie aurait dû, à la demande du médecin, rencontrer une assistante sociale de notre établissement pour remplir un dossier destiné à la COTOREP, permettant
à son fils un placement dans un lieu de vie spécialisé, correspondant à son handicap, à Berck ou ailleurs. Mais Marie ne se précipita pas dans cette voie ; elle n'en effectua que les prémices.
Elle semblait déjà n'envisager d'autre possibilité qu'un passage à l’acte, imaginant peut-être une caution présidentielle et ne se donnait donc pas la peine de chercher un futur lieu de vie pour
son fils.
Vincent était en attente d'une réponse du Chef de l'Etat mais j'ai encore du mal à croire qu'il espérait un accord pour sa demande du « droit de mourir ». Il aurait fallu faire preuve de
grande naïveté pour espérer une bénédiction présidentielle à sa requête. C'était, je le pense fortement, la médiatisation qui semblait être recherchée. Peu de temps plus tard, la réponse tant
attendue arriva. C'était une lettre passe partout, envoyée probablement par un chef de cabinet sans, je le crois, que le Président n'en ait été informé. Et s'il l'a été, il ne pensait sûrement
pas, à l'époque, aux vagues qui s'en suivirent. Il y a tant de courriers qui sont adressés à l'Elysée que le chef de I’Etat en confie à ses collaborateurs la lecture, la réponse et l'éventualité
de son information personnelle. Le contenu de la missive du Chef de l'Etat, écrite par procuration, n'a pas satisfait Vincent et Marie. Le droit de mort n'en était évidemment pas l'objet mais,
tout au contraire, encourageait le patient à se battre pour la vie. Le jour qui suivit cette réponse, Vincent refusa d'être installé en fauteuil roulant pour venir en rééducation. Intrigué de son
absence, je suis allé le voir dans sa chambre pour comprendre. Par le moyen de communication qu'il avait choisi, faute de mieux, il me déclara que plus rien n'avait d'importance, ni sa
rééducation, ni son installation au lit, ni même la télévision qui lui apportait une occupation de l’esprit. Je me souviens l'avoir pris au pied de la lettre, faisant semblant d’exécuter ses
ordres. Dans la minute qui suivit, avec un large sourire, Vincent me demanda de lui rendre son confort et sa distraction, ce que je fis rapidement, évidemment.
Cependant, Vincent changea d'attitude. Il devint de plus en plus exigeant tant pour la place millimétrée de sa têtière que pour la position de son pied gauche sur la palette du fauteuil
roulant. Il décida de ne venir en kinésithérapie que les mardi et jeudi à heure précise, sans aucune possibilité de changement. Son syndrome frontal avait décidé pour lui et rien ne l'en ferait
démordre. D'ailleurs, il n'en démordit jamais...