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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

Test ADN : Entre charge symbolique et question de fond, par Thierry Boutet.

Tests ADN :
Entre charge symbolique et questions de fond,
par Thierry Boutet.


(Sur la question d’actualité constituée par la légalisation possible de tests ADN pour établir la filiation de personnes sollicitant des mesures de regroupement familial, Le Scrutateur propose l’excellente analyse de Thierry Boutet, parue dans la revue Liberté Politique, que l’on peut consulter régulièrement dans sa version abrégée sur le Web. Voir nos « liens »).
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Peut-on utiliser le test ADN pour établir la filiation de personne sollicitant des mesures de regroupement familial ? La question continue de soulever des débats animés, en particulier parmi les chrétiens.

La question n’est pas évidente, et relève du débat légitime. L’un de nos correspondants de Côte d’Ivoire, pays directement concerné, nous écrit :

    « Je voudrais simplement dire que sur le principe, il n'y a rien à redire sur le droit qu'a la France de choisir ceux des étrangers qu'elle désire recevoir sur son sol. Au surplus, je dois avouer que jusqu'à présent, je suis resté sur ma faim, en écoutant les arguments des adversaires de la mesure, tellement ceux-ci sont spécieux.
    C'est vrai que l'état-civil dans nos États en Afrique n'est pas fiable.
    La plupart des ressortissants de certains de nos pays ne se font délivrer un acte de naissance que lorsqu'ils sont amenés à voyager hors de leur pays. Les fraudeurs craignent d'être démasqués, et c'est pourquoi ils contestent la mesure.
    Cependant cela ne saurait faire occulter l'insidieuse impression de racisme que les Africains ressentent au travers de cette réforme. »


Comme souvent dans de tels domaines, ce n’est pas tant la réalité qui est dénoncée que sa charge symbolique, soit pour des motifs liés à l’histoire, soit pour des raisons idéologiques inconscientes ou qui ne s’avouent pas toujours comme telles.

Pour prendre la mesure de cette réalité, quelques chiffres ne sont pas inutiles. Selon Tugdual Derville, délégué général de l’Alliance pour les droits de la vie (ADV), 80 % des papiers d’état-civil seraient faux dans certains pays d’Afrique. Lors des demandes de visas pour regroupement familial, 30 % des parentés seraient falsifiées (un tiers, tout de même) ! Quant aux révélations possibles de secret d’alcôves, 8 % des naissances seraient adultères…

Dans ces conditions ces tests sont-ils ou non légitimes ?

Juridiquement, le moyen n’est pas considéré comme illicite par l’Union européenne. Franco Frattini, porte-parole du commissaire à la Sécurité et à la Justice, a rappelé jeudi 4 octobre à Bruxelles la directive européenne de 2003 sur le regroupement familial :

    « Les États membres peuvent procéder à des contrôles spécifiques lorsqu’il existe des présomptions fondées de fraude ou […] d'adoption de complaisance… Une disposition qui laisse beaucoup de liberté aux États membres… et notamment le soin de définir la manière selon laquelle ils établissent le lien familial. »

Ainsi, rappelle Génétique.org, « l'Autriche, la Belgique, la Finlande, la Lituanie, les Pays Bas et la Suède ont déjà recours aux tests ADN ».

Objections françaises


En France, depuis les lois de bioéthique de 1994, le Code civil prévoit que les tests peuvent être utilisés en matière pénale, en matière civile ou en matière médicale, même s’il n’existe pas à l’heure actuelle de jurisprudence constitutionnelle sur le sujet. Selon le professeur Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l'université Paris-I, président de l'Association française du droit constitutionnel et membre du Comité sur la réforme des institutions, deux risques sont à prendre en compte : celui d’une intrusion inacceptable dans la vie privée des couples et celui de donner une définition « exclusivement » biologique de la famille, ou encore de réduire l’individu à son identité biologique. Et le professeur Bertrand Mathieu se demande dans Le Monde du 8 octobre s’il n’y a pas une « disproportion entre les objectifs et les moyens ».

Sur le premier point, celui de la préservation de la vie privée et le risque de révélation d’adultère, il suffirait pour éviter cet écueil de ne pratiquer le test d’ADN que sur la mère, la filiation du père étant supposé établie par l’aveu de celle-ci.

Du point de vue éthique, la question est plus délicate, mais il est étrange que de nombreuses voix — qui se veulent « bien pensantes » — s’élèvent contre des tests génétiques destinés à lutter contre des fraudes, alors que ces mêmes voix ne s’émeuvent pas lorsque ces tests sont pratiqués pour sélectionner des fœtus humains parmi d’autres voués à la destruction.

Comme l’écrit encore le délégué général de l’ADV,

    « certaines indignations, comme celle du professeur René Frydman, “père” du premier bébé-éprouvette français sont toutefois à décrypter. Promoteur du diagnostic pré-implantatoire, il se contredit en contestant ces tests ADN destinés à écarter les immigrants indésirables. Car le DPI est aussi un test génétique, et il est conçu pour éliminer les êtres humains jugés défectueux ».

Critiques chrétiennes

Quant à l’Église, si elle prône le respect de l’intimité familiale et l’accueil de l’étranger sans ressources, elle ne prétend proposer de lois civiles, comme le rappelait Mgr Giovanni Lajolo, alors secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les États (Décryptage du 21 avril).

La question, en effet, n’est pas ici de savoir si la France peut ou non « accueillir toute la misère du monde » selon le mot prêté à Michel Roccard, mais de savoir si elle doit fermer les yeux sur tous les fraudeurs de la Terre. L’Instruction Erga migrantes caritas Christi du 1er mai 2004 du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants fixe un cadre : la réglementation appropriée doit à la fois « protéger le droit des personnes mais aussi celui des sociétés d’accueil ». Elle ne prétend pas préciser ces règles.

En définitive des tests ADN utilisés pour prouver la filiation, à supposer qu’ils soient fiables, sont-ils ou non licites ? Tout en soulignant la difficulté du débat, Mgr Vingt-Trois, donne quelques critères dans son homélie prononcée le 9 octobre à l’occasion de la rentrée des responsables politiques :

    « Le récent débat dont s’est honoré notre parlement [qui] a permis de mettre en évidence les paradoxes d’une société qui est comme égarée dans ses repères éthiques. D’un côté, on s’emploie à attribuer le titre de famille à des unions de personnes qui n’ont plus aucun lien biologique et on dépense beaucoup d’énergie pour se convaincre que la filiation choisie est la plus conforme à la paix des ménages. D’un autre côté, on donne l’impression que l’ultime critère pour décider de la filiation serait le critère biologique, et on imagine appliquer ce critère à des sociétés dans lesquelles la conception de la famille s’étend bien au-delà des simples relations parents- enfants au sens stricts. »

Il est vrai que la contradiction est criante.

Morale et politique : la vraie question

Reste à savoir si en relevant « l’empreinte génétique » de personnes soupçonnées de pouvoir frauder l’état-civil, on porte atteinte aux principes sacrés de la filiation et de la famille ou si l’on est dans un mode de preuve légitime.

Est-il permis de penser que ce type de preuve destiné à éviter une fraude peut-être légitime sans pour autant être considéré de raciste ou soupçonné de vouloir réduire la famille à sa définition biologique ?

La question renvoie à l’articulation entre vérité morale et bien commun politique. L’opposition entre les deux relève d’une dialectique hégélienne détestable, et à l’origine de bien des maux de nos sociétés, faute d’une vision unifiée d’homme, dans sa dimension personnelle, sociale et culturelle. Les oppositions au test ADN s’inspirent généralement de l’exigence du combat éthique et humanitaire. Or la mission du politique est distincte de la mission caritative. L’une traite du bien commun qui passe souvent par le moindre mal pour une communauté (cf. les maisons closes de saint Louis), l’autre parle de l’exigence par rapport à la personne.

Interrogé par Liberté politique.com, Yves Meaudre, directeur général de l’ONG Enfants du Mékong précise :

    « Je pense que la distinction entre morale et politique, qui n'est pas opposition, doit être parfaitement affirmée. Le débat est possible lorsque tous, l’un par rapport à l’autre, respectent les missions et les responsabilités de chacun. Dans l’exercice de la justice, le rôle de l’avocat est de défendre par tous les moyens le condamné quel qu’il soit, le souci de la justice est d’assurer la défense de la société souvent au prix fort. Lorsque chacun est dans son rôle, la société trouve son équilibre. »


Mais lorsque le juge joue le rôle de l’avocat, que le clerc adapte l’exigence de sa foi… ou exige du pouvoir politique qu’il étende au nom de la loi le sanctuaire de l’asile religieux à toute la société, on est pleine confusion.

Ainsi, avec recul, on doit admettre que les tests ADN ne sont pas davantage une violation de la vérité des personnes que l’enregistrement des empreintes digitales ! Le fond du problème est ailleurs. « Nous raisonnons faussement », dit Yves Meaudre.

    « Ces dispositions, quelles que soient leur modalités d’application, sont des solutions marginales par rapport à la vraie nature du problème qui est celui de la perte du sens de sa culture et de son héritage spirituel et culturel. Les valeurs constitutives de notre culture ont été subverties. N’est-ce pas la culpabilisation du rôle historique de la France dans le monde qui a provoqué des déplacements tragiques de populations prolétarisées ? Et l’indifférence au sort des générations qui nous suivront sont de véritables questions. Le drame, c’est que nous acceptons la mort culturelle, voire spirituelle des enfants de France : qui œuvre à faire aimer la France, dans les écoles, et dans les cités ? »

Ce n’est pas la laïcité, conçue comme un équilibre entre rapports de force identitaires, qui transcendera la communauté nationale et l’accueil des plus faibles. « Une France qui ne s’aime pas, c’est une première dans notre histoire », constate Yves Meaudre. « Il existe une vraie confusion dans l’esprit de nos élites bien-pensantes. Sans vouloir parodier François Fillon, ce sont bien des problèmes de détail qui viennent perturber tout dialogue sur le fond. »

Thierry Boutet.


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