Rédigé par Edouard Boulogne et publié depuis
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Et Tartuffe ?
Hier soir, coup de fil de Samuel, 22 ans, constant adepte du « carpe diem », et cependant brillant étudiant de science Po à Paris, titulaire d’un Master et bientôt candidat à
l’ENA. Nous parlons de choses et d’autres, et notamment des limites de l’enseignement dispensé à l’école des sciences politiques, peut-être un peu trop « technique », trop axé sur les moyens aux
dépens des fins de l’action. Pas assez de culture générale et de philosophie. Samuel en convient, et nous parlons des moyens de pallier à ces insuffisances. Il me parle à cet égard de sa découverte récente, à la suite d’une émission de télévision de l’écrivain Jean d’Ormesson. Il a dans la foulée fait l’acquisition du dernier livre de l’académicien, un recueil de chroniques « Odeur du temps, Chroniques du temps qui passe » (éditions Héloïse d’Ormesson). Je suis
moi-même en train de lire cet ouvrage. Il y a certes du meilleur « Jean ». Mais, je l’encourage dans cette voie. Sans être un très grand penseur, monsieur d’Ormesson est un homme de très grande culture, pétillant de malice, doté de ce qui manque trop souvent à tant d’intellectuels, l’humour, la
distance par rapport à soi, une humilité réelle, le sens du tragique et de la fragilité des choses et surtout des êtres. Nous nous quittons, et j’ouvre mon exemplaire de l’ « odeur du temps qui passe ». Je tombe sur le chapitre intitulé « Relire tartuffe », tellement d’actualité. On sait que, dans cette pièce, qui valut à son auteur quelques sérieux ennuis (il ne dut son salut qu’à la protection de l’homme éclairé que fut Louis XIV), Molière s’en prend à
l’hypocrisie, plus particulièrement à l’hypocrisie de groupes de pression soi-disant religieux, que symbolise Tartuffe, devenu un nom commun de la langue française. Cette hypocrisie est toujours présente dans notre société. C’est, entre autre le fameux « politiquement correct », si redoutable. C’est ce qu’écrit d’Ormesson en conclusion de son chapitre : « L’époque où vivait Molière exigeait que les dévots en ce temps-là tout puissants, fissent les frais de l’affaire. Mais c’est
moins les dévots que les hypocrites et les imposteurs de toujours que visaient l’audace le talent de l’auteur du Tartuffe. Parce que Molière est un génie de tous les temps, il faut imaginer Tartuffe, de nos jours, en train de se dissimuler, non plus, bien entendu, derrière les valeurs traditionnelles, mais
derrière le sacré d’aujourd’hui : la pieuse démagogie, l’égalitarisme cagot, l’affectation hypocrite d’une passion pour les droits de l’homme. Voilà les vrais héritiers de la fausse charité
affichée de Mgr Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, de l’abbé Roquette, bientôt évêque d’Autun, et de cette Compagnie du Saint-Sacrement, tous gens de poids et de haut rang, de grande
réputation et de conscience ostentatoire- qui étaient les cibles et les ennemis de Molière ». Bien vu ! Mais nous manquons aujourd’hui, me semble-t-il d’un homme du courage et du génie de Molière.