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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

La série noire continue : Décès de Pierre Messmer, par Edouard Boulogne.

La série noire continue : Décès de Pierre Messmer.  P-Messmer.jpg
(Pierre Messmer jeune).


Ce mois d’août a vu se dérouler toute une série de décès de personnalités françaises remarquables.
Après le cardinal Lustiger, après Raymond Barre, c’est au tour de monsieur Pierre Messmer de tirer sa révérence après une carrière bien remplie.
Né en 1916, à Vincennes,  Pierre Messmer fit de brillantes études de droit, à l’école des Langues Orientales, et à cette grande institution, aujourd’hui disparue : l’Ecole nationale de la France d’Outre mer.
En 1940, il n’a que 24 ans, lors du désastre, et de l’effondrement de notre pays sous la poussée des hordes nazie, alors soutenues en sous-main par le parti communiste français.
Il devient « résistant » dès le 17 juin 1940, 24 heures avant que le général de Gaulle ne lance le fameux appel de Londres.
Le jeune Messmer avec un camarade s’embarque, alors, sur un cargo italien, avec un camarade, fomente un mouvement revendicatif dans ce navire et le détourne vers Gibraltar. Ce sera son apport personnel à la résistance naissante. « C’est bien ! Messmer » lui dira laconiquement le général, avec son humour froid, très particulier.
On connaît les états de service de ce compagnon de la libération qui s’engage pour toute la guerre dans la Légion étrangère, et qui participera au premier rang à toutes les batailles les plus difficiles et dangereuses, Bir-Hakheim, El Alamein, etc.
Après la guerre Pierre Messmer continuera à servir la France en Indochine, en Afrique où il exercera de hautes responsabilités administratives, notamment de Gouverneur dans plusieurs régions de ce qui fut l’Empire Français, (Mauritanie, Cameroun, Côtes d’Ivoire, etc.
Au retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 , il se lance dans la politique, (à la demande du général), et sera pendant 10 ans ministre de la défense (le plus long passage à ce poste depuis Louvois, …..sous Louis XIV !).
Le président Pompidou l’appellera à d’autres responsabilités ministérielles, et notamment à celle de premier ministre.
Sans jamais abandonner la politique, tout en restant un homme d’influence, Pierre Messmer devait, à partir de la présidence Giscard d’Estaing, prendre du champ. Il était membre de l’Institut, et membre de l’Académie Française. 1196308678-deces-de-l-ancien-premier-ministre-francais-pierre-messmer.jpg ( M.Pierre Messmer, une image récente).
Homme de conviction, d’honneur (au singulier, évidemment), cet authentique résistant avait lui aussi, comme Raymond Barre, témoigné en faveur de Maurice Papon lors du honteux procès en sorcellerie qui fut fait à ce dernier au cours des années 90.
Je voudrais rendre hommage à sa perspicacité d’analyste politique en publiant ci-dessous deux extraits d’un de ses derniers livres : « Les blancs s’en vont » (récits de décolonisation), publiés chez Albin Michel.

Edouard Boulogne.




(1) En Afrique : l’Amérique contre la France ? (Titre donné par le Scrutateur).


(......) .« Leurs représentants (des Américains) distribuent avis et critiques avec l'autorité que confère la puissance, même si elle ne s'appuie pas sur la compétence. A travers la Banque mondiale et le F.M.I., les Etats-Unis ont imposé à l'Afrique la politique économique et financière de leur choix, c'est-à-dire correspondant à leur intérêt national. Ils l'ont fait habilement en déconnectant les affaires et la politique. Dans cet exercice, les Américains sont non maîtres : ils sont capables de grands discours sincères sur la morale, la démocratie et les droits de l'homme, voire de condamner solennellement des dictateurs qui s'en moquent comme d'une guigne et, en même temps d'aider leurs entreprises à conclure de fructueux contrats avec eux.
Autant que l'économie, la culture est un puissant moyen de l'influence américaine. Il y a, évidemment, la culture de masse véhiculée par les médias. Il y aussi et, plus encore en Afrique francophone, la sélection et la formation des élites. Les Américains sélectionnent avec soin leurs boursiers africains, les forment dans leurs uni-versités en vue d'un emploi qui leur est souvent procuré à la fin de leurs études. Le recrutement dans les organisations internationales, où l'usage de l'anglais est obli-gatoire, leur est pratiquement réservé. Les entreprises, les associations non gouvernementales américaines les embauchent comme correspondants ou représentants dans les pays africains.
Ce sont des perspectives attrayantes que la France ne peut pas offrir, puisque notre politique a donné priorité à l'enseignement de masse.
Il est vrai que les Etats-Unis répugnent à recourir au moyen qui peut être décisif, l'action militaire directe. Ils ont pour cela de bonnes raisons, comme le souvenir de leur échec humiliant en Somalie. Mais la raison princi-pale est l'opinion américaine qui refuse les interven-tions armées non essentielles à ses yeux et qu'il est impossible d'engager sans risques de pertes en vies humaines. Ils ont recours, le plus souvent, à la stratégie indirecte en poussant et même en payant ceux qui peuvent faire le travail à leur place. Ayant encouragé le Nigeria à intervenir dans la guerre civile au Libéria, les Américains se sont bornés à évacuer leurs ressortissants et leurs protégés et à financer généreusement les orga-nisations humanitaires. Plus tard, par l'intermédiaire de l'Ouganda et du Rwanda, ils ont aidé Laurent Désiré Kabila dans sa révolte contre Mobutu. Aujourd'hui encore, les guérillas basées en Ouganda, en Ethiopie et en Erythrée reçoivent le soutien de la C.I.A. qui cherche à renverser le gouvernement soudanais.
Dans leurs opérations légales ou clandestines, les ser-vices américains exploitent la fibre raciale en faisant appel à des Noirs américains supposés avoir des contacts plus faciles avec les Africains. Tel fut le cas de deux « sommets » entre hommes d'affaires africains et « afri-cains-américains » réunis à Abidjan puis à Libreville en 1994 ; on y entendit naturellement des critiques à relents racistes visant les Européens et l'exposé de pro-jets faramineux de développement économique et social qui n'ont jamais vu le jour.
Le fait est que les Noirs des Etats-Unis ont cessé d'être africains depuis plusieurs générations et, quoi qu'ils pensent, ils ne sont plus chez eux en Afrique ; pas plus que leurs voisins antillais. Jadis l'administration colo-niale française a offert à des Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais de brillantes carrières : Eboué, Monnerville, Saller pour ne citer que les disparus. Ils SE sentaient étrangers en Afrique et ils ont toujours élé tenus pour étrangers par les Africains. Il en est de même pour les Noirs américains.
Si la politique des Etats-Unis n'est pas aussi volonta-riste en Afrique que dans d'autres régions comme le Moyen-Orient, elle n'en existe pas moins. Elle préfère la stabilité, mais elle ne s'oppose pas aux changement» et elle ne refuse pas d'y aider, si elle y voit son intérêt. Elle sait qu'elle finira par s'arranger avec les gouverne-ments africains, qu'ils soient bons ou mauvais. Elle suit avec une attention spéciale les régions que leur richesse actuelle ou potentielle rend spécialement attrayantes» : Afrique du Sud, Congo ex-Zaïre, pays pétroliers du golfe de Guinée, depuis le Nigeria jusqu'à l'Angola en passant par le Gabon et le Congo-Brazzaville. Les régimes les plus critiquables trouvent des excuses à Washington, aux yeux du Département d'Etat qui « espère » hypo-critement que l'interdiction des libertés publiques an Congo « sera de courte durée ». En attendant, on a laissé le temps à Laurent Désiré Kabila de faire le ménage, avant que l'O.N.U. n'enquête sur la disparition de 200 000 réfugiés rwandais. On se sert du Nigeria pour intervenir en force au Libéria et en Sierra Leone ; on aide le président de l'Angola, Dos Santos, contre Savimbi, son principal opposant.
Dans cette partie de l'Afrique, chaque fois que la poli-tique américaine entre en conflit avec la politique fran-çaise, la question est posée : « Les Etats-Unis veulent-ils chasser la France de l'Afrique centrale et occidentale ? » Jusqu'à la fin de la guerre froide, l'influence fran-çaise, en limitant les progrès soviétiques en Afrique, était utile aux Américains. Ce danger passé, elle est en contradiction avec leur stratégie, hostile par principe aux puissances régionales et qui peut être résumée : les Européens en Europe et l'Afrique aux Africains, sous contrôle américain. Mais la politique impose à la stra-tégie quelque prudence. Attaquer de front l'influence française là où la France possède d'importants intérêts économiques, politiques et culturels ouvrirait des conflits inutiles et peut-être nuisibles à la politique amé-ricaine. On se contente de prendre sa place là où elle recule, en poussant un peu si l'occasion se présente. La politique américaine en Afrique n'est pas antifrançaise mais elle a cessé d'être favorable à la France. Nous devons en tenir compte dans nos actions et dans nos réactions : au sud du Sahara, les Américains sont nos concurrents. A nous d'en tirer les conséquences. « (pp.278 – 281). (……..).
Messmer-Les-blancs-s-en-vont.jpg


(2) L’avenir de la démocratie en Afrique. (Le titre est de la rédaction du Scrutateur).



(…..) « Si la démocratie s'enracine un jour en Afrique, ce ne sera pas sous la forme parlementaire, et cela n'a aucune importance car les parlements ne sont pas une fin mais un moyen ; d'autres moyens sont imaginables, plus communautaires, pour construire des institutions adap-tées. Les Africains y parviendront après des essais, des échecs et des crises, des réussites locales qui pourront servir d'exemples. Une seule certitude : la solution sera métisse.
Dans l'opinion occidentale, l'idée la plus fausse mais aussi la plus répandue et diffusée plus ou moins consciemment par les discours officiels est que l'Afrique évolue comme un bloc vers le développement ou la misère, la dictature ou la démocratie. Il est vrai que le continent a connu la même histoire pendant des siècles : à partir du XVIe siècle et parfois avant, l'escla-vage organisé par les Arabes et les Turcs, à l'Est, par les Européens et les Américains à l'Ouest jusqu'au milieu du XIXe siècle. Ensuite, la colonisation qui sera totale, suivie d'une totale décolonisation dans la seconde moi-tié du xxe siècle.
L'indépendance permet à chacun de suivre son che-min, à son rythme. Rien ne prouve, bien au contraire, que ce sera le même pour les pays riches en pétrole et en ressources minières et pour ceux qui n'en ont pas, pour les pays du Sahel que la sécheresse ruine périodi-quement et pour ceux de la forêt dont l'agriculture se développe, pour ceux dont une classe moyenne assure la stabilité et pour ceux où toutes les aventures sont pos-sibles. Le panafricanisme n'est pas pour demain.
L'hypothèse la plus vraisemblable est que tel pays se développera, tandis que ses voisins stagneront ; qu'une démocratie à l'africaine prendra racine ici, pendant que des dictatures militaires s'établiront là et que l'anarchie subsistera ailleurs.
Isolée du reste du monde par un immense désert et deux grands océans, l'Afrique noire est restée impéné-trable jusqu'au XXe siècle. C'est alors que le choc de la culture occidentale a frappé des sociétés traditionnelles fragiles, brisant leur isolement. Les structures écono-miques et sociales, politiques et linguistiques ont volé en éclats, mais les Africains ont gardé leur élan vital incomparable, leur infinie capacité de souffrance, leur solidarité familiale et tribale forte et leur sentiment national faible, leurs religions traditionnelles en déclin apparent mais imprégnant le christianisme et l'islam des nouveaux convertis. Le syncrétisme est une forme du génie africain. Pourquoi ne s'appliquerait-il pas à la poli-tique ? Les dieux de l'Afrique ne sont pas morts. Pour survivre, ils se cachent sous d'étranges déguisements ». (pp. 294-295).
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