22 Février 2024
https://www.bvoltaire.fr/lancien-patron-de-frontex-au-rn-les-coulisses-dune-bombe/
C’est incontestablement le recrutement le plus important et le plus sensible réalisé par le RN depuis la prise en main du parti par Marine Le Pen. L’arrivée de l’ancien patron de l’agence européenne Frontex Fabrice Leggeri en troisième position de la liste RN aux élections européennes présidée par Jordan Bardella laisse la Macronie sans voix, comme sonnée par le coup. Le voyage de Bardella et Leggeri à Menton, le 19 février, sur le thème de l’immigration a des allures de tocsin. De leur côté, les observateurs tirent leur chapeau, à l’image de Pascal Périneau, ce 19 février, sur Public Sénat : « Le RN quitte peu à peu son statut de parti protestataire pour tenter de devenir un parti de gouvernement. » Sur l’immigration, thème principal de la campagne et axe favori du RN, il sera difficile aux adversaires du parti à la flamme de lui reprocher son inexpérience. Comment le RN a-t-il séduit Leggeri ? Que s’est-il passé en coulisses ?
Ce coup politique majeur s’est élaboré sur un peu plus d’un an. Les erreurs de la frange immigrationniste actuellement au pouvoir en Europe, autour du trio Macron-von der Leyen-Ylva Johansson (la commissaire européenne aux Affaires intérieures depuis 2019, en charge de l’immigration) ont été nombreuses. La première, c’est d’avoir laissé un haut fonctionnaire de cette envergure sans la moindre mission durant… deux ans. Après sa démission forcée, Fabrice Leggeri a continué à percevoir une rémunération mais Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, directement concerné par les sujets de l'ancien patron de Frontex, ne l’a pas reçu. Emmanuel Macron moins encore. Et, surtout, aucune proposition de poste n’est parvenue à ce haut fonctionnaire qui avait été reconduit à son poste pour un deuxième mandat à la tête de Frontex en juin 2019, par 25 voix sur 28 et trois abstentions. « C’est l’histoire d’une séparation, raconte à BV ce grand serviteur de l’État. J’ai compris qu’avec ce gouvernement, je n’avais pas ma place. »
La rupture
Fabrice Leggeri est convaincu que, les frontières ayant été abolies au sein de l’Union européenne, elles doivent être tenues fermement à l’extérieur de l’Europe. C’est, du reste, ce qui a été promis aux Français lors des traités européens. C’est sa mission, il la prend à cœur.
Mais en 2019, Ursula von der Leyen s’installe à la présidence de la Commission européenne, soutenue par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Le tandem ne veut pas du Bavarois Manfred Weber, jugé trop conservateur, il se rabat sur un ministre allemand peu connu : von der Leyen. Aussitôt, le vent tourne dans la politique migratoire européenne : le rôle de l’agence Frontex et de ses forces devient suspect. « À peine installée, lors de notre premier entretien, Ilva Johansson m’a demandé pourquoi nous avions besoin d’uniformes et d’armes, rapporte Fabrice Leggeri. J’ai répondu : c’est le législateur qui l’a prévu. » Mais voilà, la commissaire ne veut plus arrêter les migrants comme le promettait Macron dans son programme de 2017. Pour elle, ce n’est pas le rôle de Frontex. « Votre rôle, c’est d’accueillir les migrants », explique-t-elle à Leggeri. Le programme a le mérite d’être clair. Mais Fabrice Leggeri le refuse.
Par ailleurs, on n’arrête pas d’un claquement de doigts une machine administrative aussi lourde que le développement et la stratégie de Frontex. Lorsque Johansson prend ses fonctions, Leggeri vient d’être reconduit pour un deuxième mandat de 2020 à 2025. « Si j’étais resté en place, elle m’aurait trouvé à ce poste à son arrivée et j’aurais été toujours en place à son départ. » Cela ne se passera pas ainsi.
Le désaccord est fondamental. Leggeri a compris qu’on ne protégerait pas les frontières avec du papier crépon et des pétards de fête foraine. Il met en place des troupes sur le terrain : des centaines de recrutements sont prévues. Objectif : protéger les frontières des entrées illégales, lutter contre la criminalité extérieure, contre le trafic de drogue, le trafic d’armes et le trafic d’êtres humains. C’en est trop. Affaires, procès staliniens, reproches désordonnés, Leggeri est contraint à la démission.
Pour lui, c’est clair, la promesse de frontières efficaces a été trahie par von der Leyen : « On m’a demandé de faire entrer l’immigration illégale : ils ont livré l’agence au lobbying immigrationniste qui joue le cheval de Troie dans les institutions européennes », explique-t-il à BV.
Le rapprochement avec le RN
Le rôle et la position de Fabrice Leggeri deviennent intenables. L’une des missions du patron de l’agence Frontex consiste à prendre contact avec les élus, expliquer son rôle, sa stratégie, sa politique. Il s’est exprimé auprès des élus du PPE (Centre droit) comme auprès d’élus socialistes. En juin 2022, l’ancien patron de Frontex est approché par le RN pour briefer les députés européens et expliquer les grands enjeux migratoires de l’Europe. Il a démissionné de ses fonctions, il n’est plus qu’un agent de l’Union européenne en congé annuel.
À l’aube de l’été 2022, une quinzaine de députés européens RN, parmi lesquels Hélène Laporte, Thierry Mariani ou Jordan Bardella, sont discrètement réunis dans une salle de travail dévolue au RN à Bruxelles. Leggeri s’explique devant eux sans sortir de son rôle. Mais Bardella, dit-il, lui fait une forte impression : « jeune, travailleur, quelqu’un de bien ». Le haut fonctionnaire a d’autres contacts. Durant la présidentielle 2022, Zemmour a demandé s’il était possible d’organiser un entretien. L’entretien aura lieu et restera unique.
À ce sujet — [EDITO] La bombe du week-end : l’ancien patron de Frontex, numéro 3 de la liste Bardella
Des contacts ont aussi lieu avec LR, ils se sont prolongés jusqu’à ces derniers jours.
Le rapprochement avec le RN s’accélère en janvier 2023. Le 27 janvier, l’auteur de ces lignes organise un déjeuner au cœur de Paris entre le conseiller spécial de Marine Le Pen, Philippe Olivier, et Fabrice Leggeri, dont il a fait la connaissance chez des amis en province durant l’été. Les deux sont partants, les sujets ne manqueront pas. Philippe Olivier dépêche aussitôt Fabrice Leggeri chez Marine Le Pen.
- « Qu’est-ce que vous allez faire plus tard ? demande la présidente du RN à Leggeri. Quels sont vos projets ? »
Leggeri explique ses trois options. Le haut fonctionnaire, après Frontex, ne peut tomber dans une sous-préfecture. Soit il décroche un poste auprès de Macron, après nomination en Conseil des ministres, mais cette occasion ne semble pas réaliste… Soit il choisit le privé, mais Marine Le Pen le décourage. En 2027, elle aura besoin de hauts fonctionnaires intègres, avec le sens de l’intérêt national, pour gouverner le pays, lui dit-elle. Soit, enfin, il franchit le Rubicon et s’engage en politique.
- « Si vous êtes prêt à venir chez nous, il faut voir Jordan », lui lance Marine Le Pen.
Une demi-heure plus tard, le téléphone de Fabrice Leggeri sonne. Le secrétariat de Jordan Bardella lui propose plusieurs créneaux de déjeuner.
Immédiatement, le jeune président du RN déroule le tapis rouge. Fabrice Leggeri connaît le cœur des thématiques du parti, explique Bardella, il a l’expérience des institutions européennes et connaît, comme haut fonctionnaire, les arcanes de l’État français. Des atouts extrêmement précieux.
Les contacts de l’ancien haut fonctionnaire européen avec le RN ne cesseront pas. Ainsi, lorsque François-Xavier Bellamy, enfin désigné tête de liste LR pour les élections européennes, contacte Leggeri, en novembre 2023, pour lui proposer une place de numéro trois ou numéro cinq sur sa liste, les discussions sont déjà très avancées avec le RN. Leggeri a de l’estime et de l’amitié pour Bellamy dont il dit grand bien. Mais à ses yeux, le flou stratégique qui entoure LR est préjudiciable au parti de droite. La ligne politique flotte entre différents courants. Et puis, les élus européens LR rejoindront à Strasbourg ceux du groupe européen de centre droit PPE, celui de von der Leyen. Enfin, le même PPE signe aisément des accords avec les Verts, la gauche ou les macronistes du groupe Renew, ces élus qui ont combattu Leggeri quand il dirigeait Frontex. Il le sait : « Certains dans ce parti vont me faire mauvais accueil. » Il pense que le groupe PPE sera tiraillé entre la droite et la gauche. S’il bascule à gauche, lui ne sera plus à sa place.
Changement de vie
Durant toutes les années où il était haut fonctionnaire, Fabrice Leggeri n’a jamais rien laissé transparaître de ses convictions. Une éthique appliquée strictement. Il a, du reste, été nommé à la tête de Frontex par le Premier ministre de François Hollande, Bernard Cazeneuve. C’est un homme de conviction, un patriote qui veut tirer la France de l’état où elle est plongée. Il veut être « au service de la France et des Français pour transformer l’État de l’intérieur », dit-il. Peu à peu, il a forgé sa décision : il va rejoindre le RN. Leggeri évoque de « longues fiançailles ». « Ça devient quelque chose de naturel », dit-il. Le RN ne lui a rien demandé. Il n’a pas pris sa carte du parti à ce jour. Le RN montre, selon lui, « un esprit de ralliement, de rassemblement et d’ouverture ». La suite est venue très vite. L’équipe de campagne de Bardella choisit le JDD pour révéler l’information. Dès ce lundi 19 février, le nouveau colistier de Bardella était à Menton pour parler immigration et frontières. Une autre vie commence pour le haut fonctionnaire peu habitué aux feux de la rampe. Il sait que ses adversaires ne lui feront pas de cadeau, qu’ils monteront en épingle la cabale orchestrée par les immigrationnistes à Bruxelles. Il est prêt, combatif. « Je suis ravi d’être là où je suis, assure-t-il. Je suis en parfaite adéquation avec mes convictions et au service des Français. » Il a demandé à l’administration sa disponibilité pour convenance personnelle à compter du vendredi 16 février à 24 heures. Depuis, il fait campagne : « En 2017, Macron avait fait la promesse d’une Europe qui protège les souverainetés européennes », rappelle-t-il.
La nouvelle de ce ralliement inédit a semé un vent de panique en Macronie. L’arrivée d’un ancien patron de Frontex dans la machine de guerre RN est évidemment lourde de menaces pour les adversaires du parti à la flamme. Surtout, la Macronie craint désormais l’effet de souffle de ce transfert : et si ce ralliement en inspirait d’autres… À quatre mois de l’échéance du scrutin européen du 9 juin, le pouvoir européiste et mondialiste, déjà fermement secoué par les agriculteurs, retient son souffle.