5 Décembre 2023
La sexualité dans les quartiers est un sujet peu abordé alors qu'il explique bien des maux.
Atlantico : La sexualité dans les quartiers est un sujet peu abordé alors qu'il explique bien des maux. Est-ce un tabou parce que la population présente en banlieue est majoritairement musulmane ? L'influence salafiste entre-t-elle en jeu ?
Razika Adnani : La frustration sexuelle explique assurément bien des maux comme vous le dites. La violence est l’un de ces maux. Le tabou de la sexualité dans les sociétés musulmanes s’explique par le poids de la religion. En islam, les relations sexuelles en dehors du mariage sont proscrites comme c’est inscrit dans le verset 32 de la sourate 17 repris par les religieux et les juristes. La montée du conservatisme et du salafisme accentuent assurément le phénomène. La situation est certainement difficile pour les jeunes qui ont fui leur pays à la recherche de liberté et qui atterrissent dans ces quartiers où ils retrouvent les mêmes interdits, les mêmes tabous. Ils trouvent surtout un discours religieux qui leur raconte que l’Occident est un monde dépravé car il permet une sexualité sans limite et qu’en tant que musulmans ils doivent s’en préserver. Beaucoup sont davantage frustrés quand ils savent qu’ils vivent dans un pays comme la France qui leur permet d’être libres dans le domaine de la sexualité, mais que leur religion, leur culture et leur famille ne leur permettent pas. Si certains arrivent à échapper à cette atmosphère, d’autres développent de la haine contre cet Occident, contre ceux qui peuvent vivre librement, et pas eux. La haine est une cause de violence.
Laurence D'Hondt : Les populations immigrées amènent avec elles des cultures très différentes dans lesquelles la sexualité est abordée de façon parfois radicalement opposée. Les immigrés d'origine sub-saharienne ont en général une sexualité plus libre que l'immigration nord-africaine ou subsaharienne musulmane. Mais les banlieues et ses habitants qu'ils soient maghrébins ou subsahariens sont soumis aujourd'hui à une influence de l'islam radical qui fait de la sexualité une question centrale et très contrôlée. Le corps de la femme est l'objet d'une pression sociale d'autant plus forte qu'il sert à marquer la différence culturelle et religieuse avec le pays d'acceuil.
La liberté de la femme française et occidentale est perçue comme une menace à l'ordre patriarcal et comme une perte d'autorité pour l'homme. Le discours islamiste représente l'émancipation féminine comme source de chaos, synonyme au fond de la fin d’un ordre social organisé par les hommes. Ce discours assure également que la conquête de la liberté et des droits de la femme sont une illusion trompeuse dans laquelle la femme occidentale est piégée, parce qu'elle se retrouve seule, sans protection, sans mari, sans pudeur...Ce regard est essentiellement propagé par les mouvements islamistes radicaux qui réduisent l’Occident à un grand lupanar où la différenciation des sexes est désormais en phase terminale.
En 1996, au lendemain de l’instauration du régime Taliban sur tout le territoire afghan, j’ai eu l’occasion de visiter un hôpital dans la petite ville de Ghazni : sur les 10 règlements émis par les nouvelles autorités, 9 concernaient les femmes ! Guérir dans ce lieu ne pouvait se faire qu’à condition que les femmes n’entrent pas en contact avec des hommes extérieurs à leur famille. J'ai compris alors qu’il était nettement préférable selon ce règlement hospitalier qu’une femme meure plutôt qu’elle ne soit soignée par un homme inconnu. Cela ne pouvait exprimer mieux l’importance extrême, quasi obsessionnelle, qui y était accordée à la surveillance de la sexualité féminine comme si elle était à l'origine de l'ordre du monde.
Les salafistes considèrent la femme comme Satan qui porte atteinte à la piété du croyant. Que dit le Coran sur l'amour, les rapports sexuels et la femme ?
Razika Adnani : La sexualité est reconnue dans le Coran à condition qu’elle s’accomplisse dans les liens du mariage. Sinon, c’est la chasteté qui doit s’imposer. Le Coran parle de la femme chaste tout comme il parle de l’homme chaste et de la femme fornicatrice tout comme il parle de l’homme fornicateur. Il prévoit au fornicateur et à la fornicatrice de la même manière cent coups de fouet (sourate 24, verset 2).
Cependant, quand il s’agit du Coran on ne peut pas donner une seule réponse. Car pour la même question, on peut y trouver des recommandations différentes voire contradictoires. Voilà pourquoi, il faut distinguer entre le Coran ou la charia coranique et le droit musulman que j’appelle la charia pratique. Au sujet de la sexualité, certains versets sont davantage sévères à l’égard des femmes, comme c’est le cas du verset 15 de la sourate 4, qui recommande aux hommes l’enfermement à la maison des femmes qui ont eu des relations sexuelles en dehors du mariage jusqu'à ce que la mort les rappelle ou que Dieu décrète un autre ordre à leur égard. D’autres privilégient les hommes tels le verset 223 de la sourate 2, La vache, qui s’adresse aux hommes en leur disant : « Vos femmes sont votre (harth) labour allez donc à vos (harth) champs comme vous l’entendez ». Il s’adresse à l’homme :