16 Mars 2023
Certes l'homme est, comme l'on dit, un « animal raisonnable ». Autrement dit, dès sa naissance un enfant est, en puissance, capable de penser et de parler. Mais potentiellement seulement. Car s'il est abandonné par ses parents (au moins sa mère) il ne survivra pas. Et dans les cas où l'enfant a survécu à l'abandon grâce à « l'adoption » par un animal (cela s'est vu) il pourra se développer physiquement, mais ne sera jamais un être humain capable de penser, parler, aimer. Un film passionant a été fait en France sur le cas de ces enfants sauvages qui se conduisaient en tout comme des bêtes, ne parlaient pas,, fuyaient l'humanité. Il s'agit de L'enfant sauvage, film de FrançoisTruffaut (photo).
Le langage, la langue, le savoir, la capacité d'aimer (ou de haïr), de créer des œuvres d'art, des outils, etc, sont le fruit de l'éducation par la famille, ou du moins d'autres êtres humains (pour le meilleur ou pour le pire aussi, hélas).
D'où l'importance capitale de la famille et aussi de l'école. Aujourd'hui, pour des raisons que je ne peux pas énumérer toutes (mais ce blog en parle quotidiennement) la famille, mais aussi l'école sont en crise, et la crise de la jeunesse, palpable, s'ensuit et l'actualité en témoigne.
Les gens conscients doivent s'engager et se battre, pour leurs enfants, pour l'homme. Tout combat serait inutile sans une claire perception de la nature du problème.
Je remercie le lecteur qui m'a communiqué l'article ci-dessous de M. Christophe Clavé, article qui confirme les causes de la crise actuelle de civilisation que nous traversons.
Le Scrutateur.
La crise de la culture comme cause de la désintégartion de la jeunesse. (Ce titre est celui du Scrutateur).
"La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps.
La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression.
Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.
Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée. Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.
Sans mot pour construire un raisonnement, la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.
L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots.
Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots.
Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel ? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu ? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.
Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses «défauts», abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté".
Christophe Clavé