10 Novembre 2022
Ce conflit « russo-Ukrainien », qui inquiète légitimenent les observateurs, donne lieu à des prises de position dans le grand public, qui témoignent de la naîveté de bien des gens soumis des propagandes souvent infantiles.
Nôtre blog fait effort pour tenter d'éviter le simplisme qui consiste à donner systématiquement raison au nom de la « démocratie » au clan américain dont Zelinski est la porte-parole et la marionette.
Faut-il pour autant prendre le parti dont Poutine, pour l'instant est le leader ?
Il faut chercher parmi ceux qui tentent de garder leurs têtes politiques au-dessus des emportements fallacieux.
L'auteur de l'article qui suit (paru sur le site Polémia), Gérard Dussouy fait parti de ceux-là. Jugez-en.
Le Scrutateur.
LES PREMIÈRES LEÇONS DE LA GUERRE RUSSO - OTANO -
UKRAINIENNE
Par Gérard Dussouy, professeur émérite des universités, essayiste
Professeur honoraire à l’université de Bordeaux, Gérard Dussouy a été l’un des
premiers auteurs critiques de la mondialisation. Il s’est aussi intéressé à la
géopolitique d’un point de vue européen. Il nous livre ici un point de vue équilibré
sur la guerre russo-otanienne à travers l’Ukraine. Une guerre qu’il considère d’ores
et déjà comme une catastrophe pour l’Europe,
Polémia
Il ne pouvait rien nous arriver de pire qu’une guerre entre Européens, quels qu’ils
fussent. C’est une catastrophe dont j’avais exprimé la crainte ici même, chez
Polémia, et plus tôt déjà[1]. Mais c’est arrivé, et le premier résultat est là : une
nouvelle division du Vieux Continent, des plus pathétiques qui soient, et peut-être
pour longtemps, agrémentée par la reprise en main de l’Europe par les États-
Unis, via l’Otan bien entendu.
Pour éviter les polémiques inutiles, je dirai que, dans ce conflit, entre Russes et
Ukrainiens, les torts sont partagés, et qu’il est la conséquence d’incompréhensions
mutuelles, tandis qu’entre Russes et Européens l’hostilité réciproque a été générée,
et est entretenue, de chaque côté, par des représentations fausses ou dépassées
du monde.
Je tâcherai d’apporter des précisions à ces deux catégories de causes en procédant
à un bilan provisoire mais déjà très significatif, à mes yeux, de la guerre en cours.
La Russie, une puissance militaire ordinaire en proie à des mythes contre-
productifs
Du côté de la Russie, quelle que soit l’issue du conflit, même si, à l’usure, elle
élargissait ses gains territoriaux (ce qui n’en prend pas le chemin), il est clair que
son image et son statut de grande puissance ressortent très abîmés et sont
fortement dévalorisés. Comme en 1914, à la surprise générale, le « rouleau
compresseur » russe a failli. Pas de Tannenberg, certes, cette fois (en 1915, malgré
ses 40 divisions l’armée russe y fut mise en déroute par 12 divisions allemandes),
mais pas de victoire éclair non plus, comme le laissait augurer le décalage estimé
(mais mal estimé) des forces en faveur de la prétendue « puissance eurasienne ».
Et pas plus que l’Armée rouge n’était hier capable d’envahir et de dominer l’Europe,
comme l’avait démontré en son temps Jacques Sapir, parce que tout simplement
une économie en lambeaux ne peut générer une armée équipée de matériel de
qualité et de haut niveau, l’armée russe, impuissante face à l’Ukraine (comme elle
l’avait été en 1940 face à la Finlande), n’est pas aujourd’hui en mesure de relever
un tel pari, contrairement à ce que les atlantistes ne cessent de répéter. Néanmoins,
en dépit de ces contre-épreuves, le mythe du « rouleau compresseur » a survécu,
sans doute en raison de l’accumulation statistique de matériels militaires, le plus
souvent obsolètes à l’exception de quelques rares engins balistiques. Mais c’est aux
dépens des dirigeants russes eux-mêmes, médusés par leur défaite.
Bien sûr, il reste à la Russie son arsenal nucléaire, tellement délicat à utiliser,
sauf dans un geste de désespoir. En revanche, son Heartland qui est vide
(150 millions d’habitants dont les trois quarts regroupés dans le nord-ouest de
l’immense État et dont un bon quart ne relève pas de l’ethnie russe) et mal exploité,
mais également ses insuffisances économiques, technologiques et financières
graves ne permettent pas à la Russie, malgré les faux-semblants, de jouer dans la
même cour que les États-Unis et la Chine. Contrairement à ce que les thèses
géopolitiques en vogue ces dernières années à Moscou ont pu faire croire,
l’immensité et le positionnement géographiques ne fondent pas à eux seuls la
puissance. Il convient de se méfier des modélisations cartographiques trop
suggestives.
Finalement, sauf un retournement imprévisible, la guerre laborieuse menée par la
Russie contre le peuple ukrainien et la technologie américaine démontre qu’elle
n’est qu’une puissance moyenne, régionale, aux capacités guère plus élevées que
celles des États européens que l’on peut tenir pour être les plus conséquents.
La confirmation de l’existence d’une entité nationale ukrainienne
Quant à l’Ukraine, son indépendance est acquise tant les États-Unis sont
déterminés à ce qu’il en soit ainsi. C’est un aboutissement du projet stratégique pour
l’Europe défini par Brzezinski, le conseiller des présidents démocrates, au
lendemain de la chute de l’URSS. Ils sont par conséquent décidés à la soutenir
coûte que coûte.
Toutefois, cette indépendance ne peut pas être réduite au seul fruit d’une
manipulation américaine, bien qu’elle doive beaucoup aux armements américains.
Car elle est des plus légitimes du point de vue des événements que les Ukrainiens
ont subis depuis le début du vingtième siècle, quoique l’Ukraine n’ait jamais eu
d’existence historique en soi, en tant qu’État proprement dit. C’est d’ailleurs ce qui
explique que les Russes, dont Poutine au premier chef, pensent que les Ukrainiens
et eux-mêmes ne forment qu’un seul et même peuple.
Objectivement, l’indépendance est légitimée par le fait que l’Ukraine a
remarquablement résisté à l’assaut russe, que sa population n’a pas fraternisé avec
son armée comme l’espérait sans doute le président russe, et qu’elle ne s’est pas
divisée. Cela prouve qu’il existe bien aujourd’hui une conscience nationale
ukrainienne. Sans doute que le souvenir de la terrible expérience soviétique doit
beaucoup peser dans la rupture entre les deux peuples frères. On peut rappeler les
épisodes dramatiques de l’indépendance avortée de l’Ukraine en 1921 après une
guerre d’anéantissement de quatre ans menée par les bolcheviks, puis la
persécution des koulaks par Staline dans les années trente, qui a frappé lourdement
l’Ukraine agricole d’une vaste famine, et enfin la répression soviétique en 1944-1945
d’une Ukraine jugée trop favorable aux Allemands pendant la « grande guerre
patriotique ». Enfin, depuis l’indépendance de 1992, il y a certainement le fait,
surtout chez les plus jeunes, que, ayant commencé à goûter aux standards de vie
de la société européenne, les Ukrainiens n’ont pas du tout envie d’en revenir aux
normes passablement mornes de la société russe.
La résolution du conflit dépend de la question des frontières
À l’heure qu’il est, si l’on ne sait pas quand, ni comment, s’arrêtera la guerre, et
comme il est peu probable que la Russie connaisse une déroute complète, il est
difficile de croire à un retour à la paix sans une rectification minimale des frontières
russo-ukrainiennes. C’est le point clef, même si la chose peut apparaître ou désuète
ou inacceptable à beaucoup. Mais il est logique, pour des raisons historiques, que la
Crimée demeure russe, tandis que les oblasts russophones les plus authentiques
ont vocation à rejoindre la Russie, pour une simple raison de cohérence nationale et
linguistique. Tout va dépendre du fait de savoir jusqu’où veulent aller le président
ukrainien Zelenski et ses mentors américains. Se contenteront-ils d’un compromis
raisonnable ou chercheront-ils à affaiblir la Russie au maximum, quitte à prendre
tous les risques ?
Si la situation finissait par se débloquer en évitant une montée aux extrêmes, on
pourra toujours dire au terme de cette guerre qui était évitable (pour le moins, en
respectant les accords de Minsk) : tout ça, pour ça.
La ruine politique de l’Europe et sa reprise en main par les États-Unis
Comme au temps de la bipolarité où les États-Unis assuraient la protection de
l’Europe face à la « menace soviétique » et décidaient par voie de conséquence de
son orientation politique, la guerre d’Ukraine a, une fois encore, précipité les États
européens dans le giron de l’Otan dont ils ont toujours refusé la dissolution.
L’alliance dirigée par Washington a même été rejointe par des États (Suède et
Finlande) qui jusque-là se proclamaient neutres. Avec une Europe à leur pied et une
Russie déconsidérée sur le plan international (cf. les réticences, pour ne pas en dire
plus, de la Chine et de l’Inde), les États-Unis vont pouvoir se concentrer sur la
préservation de leur hégémonie mondiale face au challenger chinois.
Ce ralliement général à la cause atlantiste vient balayer les velléités récentes,
surtout ou exclusivement macroniennes, en matière de projet politique européen
comme de défense européenne. Toute idée d’émancipation par rapport aux États-
Unis est proscrite pour un bon moment. Pire, chaque État européen fier de sa
souveraineté illusoire préfère dépendre d’une Washington qui est leur capitale de
fait mais qui est éloignée, plutôt que de la partager avec ses voisins au sein d’une
même communauté politique. L’Allemagne notamment, en pleine crise de
schizophrénie, effrayée par son rapprochement avec la Russie dans lequel elle avait
pourtant tout à gagner, comme les statistiques de leurs échanges le prouvent,
entend se réarmer avec du matériel américain pour devenir le pilier central de
l’Otan.
La Russie, impuissante à réaliser les projets qu’on lui prête, ou qu’elle a pu faire
croire qu’elle les entretenait en raison de ses gesticulations géopolitiques, mais
tellement capable d’effrayer ses voisins européens par son aventurisme militaire, a
au moins réussi à faire revenir dans les bras de son meilleur ennemi les Européens
qui commençaient à s’en écarter.
La preuve par l’absurde de la complémentarité géoéconomique de la Russie et de
l’Europe et de leur convergence nécessaire
En interrompant les échanges commerciaux entre l’U.E. et la Russie, et plus
particulièrement les approvisionnements pétroliers et gaziers de la première par les
grands gisements sibériens, la guerre a montré combien les deux parties sont
complémentaires. La rupture du partenariat de fait qui existait entre l’Allemagne et la
Russie pénalise gravement la première et va aggraver le retard technologique et
industriel de la seconde. La crise énergétique engendrée, avec la hausse parfois
prohibitive des coûts industriels et de transport, ainsi que l’inflation enclenchée
fragilisent déjà la zone euro, à la merci d’une récession allemande profonde qui
emporterait la monnaie unique et qui par là même dévasterait les finances publiques
des États européens les plus endettés comme la France et l’Italie.
Des conséquences qui ne peuvent que satisfaire les États-Unis rendus inquiets
par les solidarités continentales établies et par l’amorce d’un grand pôle
économique d’échelle continentale. Eux qui ont la chance d’assister à l’interruption
du gazoduc de la Baltique à la construction duquel ils s’étaient fortement opposés et
mieux encore à l’envolée miraculeuse du dollar.
Le déchirement mutuel auquel on assiste, avec cet empressement des deux
parties à s'auto pénaliser en prenant des sanctions contre l’autre, est clairement la
démonstration par l’absurde d’une nécessaire convergence entre l’Europe et la
Russie, à laquelle il faudra bien retravailler après la guerre par nécessité
géopolitique. Il reste à espérer que l’irréparable ne sera pas commis, et que dans
les mois ou années à venir les conditions pourront encore être réunies pour qu’il en
soit ainsi. (souligné par le Scrutateur)
Ce triste bilan d’étape établi, comme il n’est pas question de faire une
quelconque prévision au risque qu’elle soit très vite démentie, il n’y a plus qu’à
attendre la suite des événements...