30 Septembre 2022
De ce qui suit, il n’existe aucune statistique fiable, et on ne peut le comprendre que par ce qu’on entend, partout, où qu’on soit et à qui qu’on parle. On l'avait bien prédit, et ça y est: la stagflation est désormais présente en Guadeloupe .On parle de stagflation en présence d'une période prolongée de croissance faible ou nulle et d'inflation élevée, qui durerait en l'occurrence , compte tenu des paramètres connus de la situation nationale et internationale , jusqu'à fin 2024 , selon mes prévisions.
En période de stagflation, les prix sont en hausse alors même que l'argent en circulation est en baisse. Bien souvent, les prix à la consommation mettront du temps à baisser après une hausse des taux, et resteront par conséquent élevés durant plusieurs mois, avec un coût d'emprunt qui augmente lui aussi.
En termes économiques, la croissance est en baisse et l'inflation en hausse. En termes humains, les revenus des gens sont en baisse et les difficultés augmentées pour les entreprises. L'absence de croissance et les incertitudes qui pèsent sur la chaîne d'approvisionnement affectent l'investissement des entreprises, qui recrutent également moins et risquent de licencier davantage, provoquant une augmentation du chômage.
En plus de ses conséquences sur l'investissement des entreprises, la stagflation affecte la confiance que les consommateurs accordent à la monnaie : la valeur relative de leur épargne et de leurs salaires diminue du fait de l'augmentation du coût de la vie. C'est un cercle vicieux qui risque de s'enclencher pour la Guadeloupe. Ces deux dynamiques - une croissance en berne associée à une inflation forte - représentent un paradoxe économique qui s'auto-entretient et auquel il est délicat de trouver une parade efficace sans risquer d'aggraver la situation. L'inflation et la croissance en berne ont toutes les deux un impact particulièrement négatif sur la consommation des ménages, alors que cet indicateur est considéré comme un des principaux moteurs de l'économie de la Guadeloupe. Déjà dans sa dernière note de présentation des comptes économiques rapides de la Guadeloupe , l'INSEE nous apprend qu'en 2021, la croissance économique de la Guadeloupe s’établit à + 1,9 % en volume (+ 6,8 % pour la France entière), un rebond faible au regard de la forte chute (- 5,1 %) liée à la crise sanitaire de 2020 (– 7,8 % pour la France entière). Mais la note de l'INSEE n'est que la partie émergée de l'iceberg , car selon toute vraisemblance la situation économique et financière de la Guadeloupe devrait sensiblement évoluée vers une nette dégradation en 2022.
Pour mieux comprendre l'impact que peut avoir ce phénomène macroéconomique de stagflation sur la société , un petit retour en arrière s'impose. Ainsi , un suivi de l'évolution des opinions des guadeloupéens sur la longue période de la départementalisation révèle plusieurs transformations de fond des représentations et des valeurs. En parallèle d'une augmentation constante du niveau de vie, de la prédominance de l'emploi tertiaire , du déclin de l'agriculture , de la solide émergence de l'industrie touristique, de la féminisation croissante du marché du travail, de la diminution de la natalité, voilà maintenant la liberté d'une plus grande responsabilité locale devenue petit à petit la norme, alors que cette opinion était minoritaire quarante ans plus tôt. Néanmoins, le modèle économique et social de la Guadeloupe a évolué depuis la départementalisation dans le sens d’une dépendance économique et financière accrue à la "métropole ", et d'une collectivisation croissante des dépenses sociales entraînant une augmentation mal maîtrisée des dépenses publiques . Cette situation est imputable à l'évolution même du modèle social de la France hexagonale. Le fameux modèle social français qui coûte de plus en plus cher. Les dépenses sociales représentent aujourd’hui plus de la moitié des dépenses publiques . En France, les dépenses de protection sociale ont augmenté de 7,8 % pour atteindre 872 milliards d’euros, soit 35,4% du PIB, en fin 2021. Il en résulte que la dette sociale accumulée est évaluée à 180,5 milliards au 31 décembre 2021. Rappelons que la dette publique totale de la France est de presque 3000 milliards d'euros . Quel bel héritage pour nos enfants !
Il en résulte que le poids des prélèvements obligatoires ne cesse d'augmenter d'année en année. Pour ce qui concerne la Guadeloupe , la tendance est aussi à l'explosion des taux de la taxe foncière, mais également à celle des dépenses sociales à venir, et la marge de manœuvre financière des collectivités locales dans ce domaine est pourtant plus faible que partout ailleurs. Les arbitrages budgétaires vont bientôt tourner au casse tête pour les maires, et présidents des collectivités majeures que sont la région et le département.
L'inquiétude est de mise, car les Guadeloupéens portent un regard plus sombre que par le passé sur l’évolution de leur condition de vie , et ce nonobstant même la problématique de l'eau qui ne coule plus dans nombre de robinets des foyers.
Par ailleurs , la Guadeloupe se vide de ses meilleurs jeunes ( environ 6000 départs tous les ans) , alors que dans le même temps de plus en plus de personnes vivent seules dans un foyer sans aucun enfant sous le toit familial , souvent pour cause d'expatriation.
La vie sociale a changée et les structures familiales traditionnelles ont changé elles aussi. Ainsi comment peut-on expliquer que c’est en Guadeloupe que le taux de recours à l'IVG est le plus élevé des DROM et de la France hexagonale . Une situation inconcevable à bien des égards.
En Guadeloupe , les mineures ont trois fois plus recours à l'IVG que dans l'Hexagone.
L'expatriation des jeunes ne fait s'amplifier ce phénomène de déséquilibre démographique avec des répercussions socio-psychologique ,et c’est pourquoi, beaucoup de personnes âgées sont de plus en plus isolées et n'ont plus la capacité d'être aidé par leurs enfants très souvent expatriés en France hexagonale et à l'étranger.
Nos jeunes se précipitent dans le chemin de l'exil , d’abord provisoirement, puis définitivement, pour les meilleurs, préférant travailler là où on leur fournit les moyens de gagner leur vie plutôt que là où on ne leur fait plus miroiter qu’un emploi précaire, sans moyen de travail en CDI . Il en va de même pour les meilleurs artisans, les meilleurs cuisiniers, les meilleurs sportifs , les meilleurs musiciens, les meilleurs artistes ,les meilleurs médecins, les meilleurs entrepreneurs ; et c’est vrai dans de très nombreux autres domaines.
De cela, personne ne parle, personne même ne veut l’admettre ; parce que ce n’est qu’avec retard qu’on en sentira les effets. Comme quand quelqu’un se coupe les veines : au début, c’est sans douleur, et puis il s’endort, et puis il meurt. C’est lentement que la Martinique et la Guadeloupe mourront du départ de leurs forces vives. Il est possible que nous ne parvenions pas à prendre la mesure du tournant qui s’opère, trop absorbés que nous sommes par le désir de ne pas rompre le cours tranquille de nos existences, cette existence que l’on mène dans des nations libres, pacifiées et prospères depuis si longtemps que l’on finit par confondre ce « depuis si longtemps », qui n’aura duré qu’une vie humaine, avec un « pour toujours ». L’idée que la liberté et la prospérité matérielle pour une certaine classe moyenne , nous est donnée pour toujours résulte de l’habitude que nous avons prise d’en jouir. Cette idée est une illusion propre aux sociétés post esclavagiste et coloniales jouissant de la liberté et d'un relatif confort de vie .
Et pourtant, déjà , en Guadeloupe , la jeune génération est nettement moins bien lotie que l’ancienne . Chômage , pauvreté , crise inflationniste, accession à la propriété quasi impossible, vie culturelle médiocre, etc...
Le monde dans lequel s’engagent nos enfants est plus concurrentiel , plus flexible , plus précaire , plus connecté et plus axé sur la technologie ( numérique, robotique et bientôt l'intelligence artificielle ) qu’il ne l’a jamais été . Si nous n’y prenons pas garde , dans un proche avenir , la vague numérique et la flexibilité accrue du travail avec le boom du télétravail ,de la robotique, emportera tout sur son passage.
Le citoyen aux Antilles dopé aux transferts publics et qui a vu se développer une société de services relativement protectrice jusqu’alors, risque la précarisation , et il n’aura d’autre choix que de s’adapter ou de s'expatrier , et ce d'autant que la situation économique et financière de la France hexagonale n'est pas réjouissante . En ce sens, le pays a besoin d'émettre de la dette, de se financer avec cette dette pour assumer ces déficits de dépenses. Une dette qui, finalement, doit être payée dans le futur.
Valeurs perdues des jeunes, bonheur perdu des aînés : voilà pourquoi notre société déprime et dérive dans une violence en recrudescence partout , et surtout en ce moment même en Martinique ( 23 meurtres et 76 tentatives d'assassinats , depuis le début de l'année 2022 : c'est là du jamais vu ! ) . Cette question sous tend la décomposition actuelle de la famille aux Antilles par la perte des valeurs héritées de l’histoire. L’hostilité et la défiance pour les institutions, alors que les demandes d’intervention de l’Etat sous la forme de toujours plus d’assistanat dans tous les domaines sociaux – économiques - financier, sont responsables de la névrose de notre société .
Cette pathologie serait annonciatrice d’une « rupture générationnelle » et d’une « fracture culturelle » qui conduirait donc à une aggravation de la crise actuelle d'une société antillaise vieillissante et précarisée par le phénomène de l’illectronisme et de l'illettrisme.
Mais se révolter contre une situation qui se dégrade n’est pas toujours facile.
Sans risque de se tromper , on peut supputer que quatre éléments d’assez grande certitude vont peser sur les politiques publiques en Guadeloupe lors de la prochaine décennie . Le vieillissement de la population tout d’abord, avec ses conséquences sur la population active, sur la productivité, sur les équilibres entre générations et surtout sur l'explosion des dépenses sociales pour l'accompagnement du grand âge . Le poids de l’endettement et des déficits budgétaires des collectivités territoriales ( EPCI, ,Région , Département ,communes )avec un alourdissement très vraisemblable de la pression fiscale sur la classe moyenne ensuite. Et enfin le problème de la vie chère et de la répartition des revenus ( inégalités ) qui est très marquante en Guadeloupe ainsi que dans la plupart des DOM-TOM , et pour compléter le tableau la révolution technologique et ses effets disruptifs sur l'économie et la pérennité du pacte social .
« On ne peut résoudre un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré » disait Einstein.
Il y a de quoi s’inquiéter de la situation , à l’heure où les inégalités ont tendance à s’enkyster. De plus les problèmes sont connus depuis des années, alors qu’il ne serait pas si difficile de réformer la société et de modifier les choses si on changeait au préalable le modèle économique et social ainsi que les mentalités .Lâcher prise et déconstruire est un acte aussi créatif que de s’agripper à une illusion et de construire avec « une quête de responsabilité et d’identité » , mais sur des sables mouvants avec une autonomie sans moyens financiers adéquats pour l'exercice de nouvelles compétences .
Entre démocratie de l’incertitude et société du risque, la confiance envers l’avenir pour les jeunes et leurs parents va disparaitre du paysage Guadeloupéen, car le gouvernement protègera uniquement les plus modestes, et il ne resterait quasiment plus que les classes moyennes, et surtout les enfants des classes moyennes inférieures, pour payer l’addition et c’est la génération actuelle qui en fera les frais . Pourquoi ?
Tout simplement parce que la Guadeloupe est un petit pays dont le système éducatif dégringole au classement des établissement scolaires et universitaires sur le plan national . Un pays où pour un jeune devenir propriétaire d’un bien immobilier, avec la flambée inflationniste actuelle , devient sinon une chimère, un privilège. Un pays où pourtant l’intervention solidaire publique risque de se réduire un prochain jour avec l'émergence de l'individualisme . Un pays où les partis politiques et les intellectuels ne pensent plus l’avenir et ne se perdent même plus ( par lassitude ? ) en conjectures sur l’évolution institutionnelle et statutaire et débats sans fin sur un projet guadeloupéen et les solutions possibles pour éviter au pays Guadeloupe un irréversible déclin économique et social . Un pays où l’ascenseur social est en panne . Un pays dont les établissements de santé sont en défaillance chronique , et largement déficitaires avec un risque de voir l’accès aux soins encore être fragmenté. Un pays dont l'économie et les infrastructures sont vulnérable aux phénomènes climatiques ( Sècheresse, Sargasses ) , cycloniques fréquents ( cf les dégâts humains et matériels de Fiona ) et sismiques potentiellement .
Cette longue liste négative pourrait être encore allongée et elle est pourtant malheureusement vécue directement ou indirectement par la très grande majorité des Antillais . Pourquoi ce mal-être ? Comment surmonter cette crainte de l’avenir , et ce alors même que les Guadeloupéens et Martiniquais vont très certainement passer dès la fin de l’année 2022 d’un Etat providence à un Etat défaillance !
La société Antillaise est-elle devenue trop individualiste pour répondre aux défis collectifs ?
Pour expliquer cette anomie qui nous menace ?
Il est facile d’invoquer des éléments extérieurs, mais en réalité , les origines du mal sont chez nous. La Guadeloupe et la Martinique sont victimes de leur ACTUEL modèle de développement totalement déséquilibré . Tout cela étouffe nos perspectives de croissance, sans compter le poids du passé et les dérives de l’assistanat.
Que faire alors , quand l’avenir des jeunes et le vécu actuel des aînés ne se présente pas sous de meilleurs auspices ? Le maître mot doit être l’anticipation .
Un article de presse n’y suffira pas, alors on est tenter de parler d’autre chose , mais c’est oublier que les grands changements sociétaux ne sont jamais faciles , même quand ils sont gérés correctement , et pourtant ils peuvent nous rendre plus forts et améliorer la situation de la génération à venir .
Oui , nous le répétons , il vaut mieux se concentrer sur le moyen et long terme , mais même ça , c’est souvent incertain. L’avenir, on se le crée, en étant courageux , opiniâtre, et surtout visionnaire .
Jean-Marie NOL
Économiste