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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

Quid de la question des Crises multiples , et de la philosophie du clair-obscur en Guadeloupe ? Par Jean-Marie NOL.

Quid de la question des Crises multiples , et de la philosophie du clair-obscur en Guadeloupe ? Par Jean-Marie NOL.

Le déni de réalité économique , et le court-termisme politique , nous empêchent de libérer l'avenir  .  Et pourtant , force est de constater que la crise aura des répercussions à court, moyen et long terme sur le développement économique  et social du territoire de la Guadeloupe, ainsi que sur le fonctionnement du budget des ménages , et les finances des collectivités locales . Oui, n'en doutons pas, nous sommes dans une période de clair-obscur qui laisse le citoyen complètement désemparé . Est-ce la fin des Lumières ? Ou seule­ment le commencement d’une fin ?

La vérité, c’est qu'au delà du drame sur les personnes et les biens dévoilé par la tempête Fiona, des risques pèsent sur les finances publiques en raison de l’inflation et de la remontée des taux d’intérêt.  Il faut le dire clairement : la parenthèse de l'argent magique et de l’emprunt gratuit est bel et bien refermée. Et pourtant , on utilise les recettes du passé pour résoudre les crises de l’avenir. Alors que la crise liée au processus inflationniste continue de perturber violemment la vie des gens, il est aisé de voir que lors des décennies passées, les gouvernements et les élus locaux mettaient en place des processus d'anticipation face aux catastrophes (cyclones , épidémies etc.). Or, il semblerait que les années faisant, la culture technocratique et bureaucratique a endigué ces anticipations... Ce faisant , beaucoup de citoyens guadeloupéens, aujourd'hui , s'interrogent sur la qualité des infrastructures et la problématique jamais résolue de l'eau. Pourquoi les politiques locaux  n'anticipent-ils plus , et pourquoi l'État , censé planifier le développement , afin de libérer l'avenir , tente -t-il de se cacher ( avec l'alibi du fameux appel de Fort de France) derrière les élus locaux à l'aide d'une toile d'ombres chinoises qui utilise la projection de l’ombre d’une marionnette ( bwa bwa en créole ) manipulée sans être vu par les Guadeloupéens et surtout martiniquais spectateurs incrédules  ?

Le basculement politique inédit de société que nous vivons évoque la phrase de Gramsci : "Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres."

Et pourtant , concilier distance et proximité est devenu un défi managérial essentiel pour les élus politiques, et les décideurs économiques, et ce dans un contexte où la nature de la crise est sans précédent : outre les chocs sanitaires , économiques , et climatiques à court terme, ses effets sur le capital humain, la productivité et les comportements risquent de se prolonger dans le temps.

Un risque est , qu'avec la crise , les pouvoirs publics ciblent leurs actions uniquement sur le court terme... Il ne suffit pas de voir ou de savoir—ce qui est donné à tout le monde—, mais de vouloir, et d’oser. Question non pas, seulement, théorique, mais pratique.  Pour renforcer la résilience des systèmes économiques et sociaux au niveau régional, les réponses immédiates à la crise doivent donc inclure des priorités à plus long terme. C'est celà la prospective !

Pour l'instant , nous vivons en Guadeloupe dans un contexte  plus que troublé : évènements climatique ravageurs ( tempête Fiona) , montée de la précarité, effets nocifs de la crise inflationniste sur le pouvoir d'achat et l’emploi …

Et là réside le risque que notre modèle de société  vire à l'aigre , et ce en dépit du soutien financier massif de l'État. Dans le domaine socioéconomique, les administrations centrales débloquent des fonds publics considérables pour protéger les entreprises, les ménages et les populations vulnérables.

À chacune des crises, l’État a tenté de répondre par la mise en place de plusieurs plans d’urgence, mais aussi par une augmentation significative de son effort budgétaire. En 2021, le budget global (dépenses budgétaires et dépenses fiscales) destiné à soutenir les politiques publiques ultramarines s’est élevé à 27,3 milliards d’euros, hors dépenses sociales (soit 11% de plus qu’en 2020). Malgré cet engagement renforcé de l’État au profit des outre-mer, l'on observe une situation économique qui se dégrade progressivement et un mal être sociétal qui perdure. Il est des évidences aveuglantes qu'il faut savoir interroger. Le malaise ressenti  par les guadeloupéens et martiniquais ne serait-t-il pas imputable à la situation économique et financière préoccupante de la France hexagonale. Il est indéniable que le contexte économique et financier actuel engendre de l'anxiété et de la morosité .

Le déficit actuel de la France est de l'ordre de 150 milliards d'euros. Les recettes s'élèvent à 350 et les dépenses à 500 milliards d'euros. Le projet de loi de finances pour 2023 , prévoit une hausse de 24 milliards d'euros des dépenses de l'Etat et un déficit public qui stagne autour de 5% du PIB. Face à la crise énergétique et à l’inflation qui dure, le premier budget du quinquennat promet protection des Français et rétablissement des comptes publics. Deux objectifs antinomiques.

Et d'ailleurs, les autorités en ont parfaitement conscience , mais continuent à pratiquer la politique de l'autruche pour ne pas susciter un désespoir de nature à  conduire vers une grave crise sociale...

C'est pour cela que le verbe est en demi teinte, et la sonnette d'alarme est tirée en sourdine.

" Nous avons atteint la cote d’alerte sur les finances publiques", a asséné récemment Bruno Le Maire, le ministre de l'économie et des finances .

 "Il est impératif de réduire notre endettement public, qui est une atteinte à l’indépendance de notre souveraineté", a encore insisté M. Le Maire, alors que la dette publique a dépassé les 2 980 milliards d’euros au second trimestre, soit 114,5 % du PIB."

La France est à l'euro près", prévient encore Bruno Le Maire lors de la présentation du  projet de budget 2023. Et le ministre du budget et des comptes publics, Gabriel Attal de renchérir : «Nous sommes passés du quoi qu’il en coûte au combien ça coûte».

Ce choc financier conjoncturel  au niveau de l'État , doit-il nous conduire à priver nos services publics et notre modèle social des ressources indispensables à leur pérennité ?

La question se pose aujourd'hui avec acuité, car l'on peut noter dans l'air du temps les nombreux appels en faveur d'une politique d'orthodoxie financière et d'austérité budgétaire, une méfiance grandissante à l'égard des dépenses publiques et souvent un oubli des transferts sociaux.

L'influence de la politique française sur le fonctionnement de la société antillaise n'est certes pas neutre, et nos élus sont en partie responsable de l'état de santé, très préoccupant, de ladite société. De quoi celle-ci souffre-t-elle ? En premier lieu - et depuis déjà longtemps - de son enfermement dans ce que l'historien François Hartog baptise judicieusement le "présentisme". Ainsi, l'on observe depuis quelques temps , la montée en puissance d'un présent omniprésent par rapport aux problématiques d'avenir. En Guadeloupe , selon les apparences , le présent serait devenu notre seul horizon. Cette expérience contemporaine d'un présent perpétuel, chargé d'une dette tant à l'égard du passé que du futur, signe, peut-être, le passage d'un régime de société à un autre. Les technologies digitales, foncièrement présentistes, sont en train de prendre une place de plus en plus importante dans nos vies. Télétravail, télé-enseignement, télé-consultations ,  dématérialisation des documents administratifs , accélèrent la mutation numérique que nous étions en train de vivre. Alors téléréalité ou télésociété ,si ce n'est plutôt Etat spectacle ?

On a l’impression qu’en ce moment une pensée du court-terme est en train de dévorer tout notre rapport au temps. Pour François Hartog , le présent tend à l’emporter sur le passé et le futur. C’est ce qu'il appelle le "présentisme". Plus encore que de douter en leur avenir, les Guadeloupéens  peinent à le penser, à l'imaginer, à l'espérer, et simultanément à saisir l'histoire et à tirer les enseignements du passé avec sagacité. Alors ils vivent dans l'actualité des faits du passé  et se figent sur le présent. De fait, donc les Guadeloupéens peinent à se situer dans les grands changements géopolitiques et géoéconomiques du monde. Et ce constat, aggravé par le déclin relatif de la France hexagonale , et les dégâts sur l'économie de la crise sanitaire et surtout inflationniste, accentue le double sentiment d'inquiétude et de précarité. Nourrir une perspective d'avenir devient difficile - et c'est pourtant nécessaire. Et pas impossible : notre pays a des ressources, il innove, il se développe aussi , mais à notre avis mal ,car les politiques de développement économique sont conduites dans le mauvais sens. L’économie n’est évidemment pas le seul angle d’attaque pour comprendre le monde, mais c’est un angle qui a pris une importance croissante. Il s’agit de comprendre le passé et le présent. Et si l’on peut dresser quelques scénarios ou lignes de force pour se projeter dans l’avenir, pourquoi pas?

Mais le hic, c'est que si la science économique ignore la prévision, l’économie politique ne peut ignorer l’avenir. Dans l’action et la préparation de l’avenir, la question fondamentale tient dans cette tension entre la construction d’irréversibilité et la prise en compte des réversibilités. En fonction de cette donne, c’est aujourd'hui mettre sur la table , tout le problème de l’aménagement du territoire de la Guadeloupe . Du point de vue de l’économie théorique, cette question pose le problème de l’investissement public et privé, du financement et de la durée des amortissements des infrastructures , des taux d’intérêt pratiqués par les banques , et donc de l'endettement des entreprises . C’est aussi tout le débat sur la fiabilité financière future du modèle économique et social issu de la départementalisation . Les transformations d’un système économique et financier sont rarement instantanées et, si elles n’en demeurent pas moins brutales pour les populations et le territoire concernés, elles sont généralement le fruit d’un long processus qui, s’appuyant sur des conditions historiques, politiques , économique, ou sociétales favorables, interfère à un moment donné du temps avec une cause endogène ou exogène, qualifiée d’évènement déclencheur. La crise ou le point de retournement, plus ou moins explicite ou plus ou moins identifiée, n’est qu’un signal - un moment - qui nous permet de dater le début de la phase de transformation profonde qui s’ouvre. Ce moment de transformation du modèle économique et social est aujourd'hui venu avec la crise des finances publiques de la France hexagonale. Cette dernière est à bout de souffle, affaiblie par l'érosion continue de l'un de ses piliers :  le modèle social de l'État-providence. Les grands modèles politiques et idéologiques à même de proposer aux Français et surtout aux antillais de se projeter dans l'avenir sont donc exsangues.  Aujourd'hui, terriblement affaiblis , le tissu politique et celui des médiations intermédiaires des associations culturelles et sportives qui assurait le maintien des conceptions traditionnelles de la société créole ne répondent plus à l'urgence du moment - d'où la montée en puissance des courants extrémistes et la porosité croissante de leur idéologie en Guadeloupe et Martinique .  Cette  dérive préoccupante à un nom : le " présentisme ". L’époque actuelle a délié quelque chose avec le passé comme avec le futur. C’est une espèce de présent qui se voudrait auto-suffisant. C’est-à-dire quelque chose d’un peu monstrueux qui se donnerait à la fois comme le seul horizon possible et comme ce qui n’a de cesse de s’évanouir dans l’immédiateté et l'émotionnel . C'est le symptôme d'une société oscillant entre une certaine forme d'archaïsme que lui dicte la défense - essentielle - de son identité, de son patrimoine, de son histoire, de ses racines, et la modernité - tout aussi essentielle - que lui impose la projection dans la mondialisation de l'économie , et la révolution technologique. N'est-ce pas de cette ambivalence que souffre une population guadeloupéenne déboussolée au moment d'arbitrer son avenir avec la question en suspens du changement des institutions  ?

Ce malaise, profond, que vit une population antillaise effectivement tiraillée, au milieu du gué, hésitant à quitter une rive institutionnelle pour rallier l'autre, résulte d'une distorsion protéiforme. Distorsion née d'une situation antagonique de mutation sociétales et technologiques , à la fois de crise et de construction : les élus Guadeloupéens simultanément perçoivent au quotidien les répercussions de la crise sanitaire et inflationniste et pourtant sont incapables de relever la tête pour dessiner les fondations d'une nouvelle construction de modèle économique et social , pour réfléchir différemment à l'économie, à l'urbanisme, aux transports, à la désertification des centres-villes, à l'environnement, à l'éducation ou à la culture… c'est-à-dire à ce qui permettrait de faire société autrement.

La première des conséquences est le long délitement d'une certaine forme de pensée sclérosée de nos élites économiques et politiques , et qui s'inscrit dans un phénomène plus large, le déclin des valeurs traditionnelles de la société guadeloupéenne , parfois la quasi-disparition des grandes médiations du passé, accélérée par le développement réticulaire d'Internet. Citons notamment l'exercice du vote démocratique, en proie à une crise structurelle profonde en Guadeloupe.Il n’y a plus de récit possible.

Dans le présentisme actuel, comment faire en sorte de donner sa place au passé tout en ouvrant l’avenir ? Pour l'heure , personne ne sait répondre à cette question  : le passé s’est réduit aux simples traces de la mémoire, et le futur ne va plus au-delà du lendemain matin, sinon sur le seul mode de la gestion improvisée d'une nouvelle crise . Du coup, l’histoire n’est plus histoire, riche du passé et grosse de l’avenir, mais archive ou incantation nationaliste stérile .  Alors, en foi de quoi, faut-il réformer le système économique et social ou le laisser éclater ?

La question de la catharsis mérite d'être posée , car la difficulté que nous éprouvons à anticiper des situations de crise climatique radicale et à accepter notre vulnérabilité économique face à ces événements d’une ampleur proprement inimaginable nous conduit aujourd’hui, collectivement, à une impasse.

La crise actuelle rappelle la nécessité de penser en profondeur la résilience – c’est-à-dire la capacité pour un système, quel qu’il soit, à retrouver ses fonctionnalités et même à les améliorer après avoir été soumis à une perturbation.. En économie, les saisons passent mais ne se ressemblent pas, la comptabilité publique a ses secrets que le quidam ignore. Là, le secret a un nom : Transferts publics et sociaux.

En somme, près de 30 milliards d'euros dédiés à l'outre-mer, ce n'est pas rien , et pour autant que d'insatisfactions ?D'aucuns diront "véglag", mais ce qu'ils ignorent c'est que les recettes collectés sur place par les collectivités locales et les revenus des ménages dépendent à 87% de l'existence de ces transferts publics , et que sans cette perfusion financière , le socle sociétal de la Guadeloupe et de la Martinique s'écroulerait bel et bien tel un château de cartes.

Sachons raison garder, car le véritable danger à venir réside dans la réduction irrémédiable de la dépense publique en France hexagonale et des transferts publics et sociaux vers la Guadeloupe et la Martinique . Mais dans ce domaine , " il est besoin que le peuple ignore beaucoup de choses vraies et en croie beaucoup de fausses. " (Montaigne)

 

Penser la vérité du moment , cela suppose  la résilience, avec toutefois un préalable qui est d’abord d'identifier les conditions qui permettent à notre système économique de fonctionner et à notre société d’avancer. La crise est, à ce titre, annonciatrice des forces que nous devrons être capables de mobiliser face à des défis à venir, au premier rang desquels, la très probable récession de l'économie  , la réduction de la dépense publique et le réchauffement climatique. La nécessaire réponse à l’urgence de la transition écologique nous permettra-t-elle d’inventer les nouveaux modèles capables demain de nous aider à répondre à nos problèmes structurels   ?

Nous devons, en effet, comprendre une fois pour toutes qu'il nous faut relier les savoirs et la connaissance pour penser une nouvelle voie, mais aussi abandonner le mythe de l'homme maître de son destin et de la nature pour, ensemble, l'explorer , dixit le sociologue Adgar Morin.

Rien ne sera plus jamais comme avant. Le monde post-crise sera nécessairement différent, il nous appartient collectivement  à l'aide de la prospective de le rendre meilleur.

 

Jean - Marie Nol économiste

 

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