27 Août 2022
Je publie ci-dessous un article excellent du philosophe Luc Ferry paru dans un numéro récent du Figaro. Non que j'en contresigne chaque ligne, mais dans son ensemble il est largement exact et positif.
C'est d'autant plus heureux que Luc Ferry est un penseur agnostique (non athée, mais adepte de la doctrine
qui considère que l'absolu est inaccessible à notre connaissance). Mais Luc Ferry est, sans la foi catholique au sens strict, un admirateur de l'essentiel de la doctrine du Christ que la troisième république s'acharna contre l'Eglise, et comme la première (celle de Robespierre) projeta de l'extirper de l'histoire et de la culture nationale par tous les moyens y compris légaux. En témoigne cet extrait d'un discours de René Viviani, prononcé au parlement le huit novembre 1908, que je cite un peu plus bas. Parmi les « républicains » fanatiquement athées, il y en eut un de plus modéré ou du moins plus intelligents qui épargnèrent à la France une guerre civile, l'un d'eux était JULES Ferry, homme de grande influence. Petit clin d'oeil ironique de l'histoire. |
Précisons que selon Le Figaro, Jules Ferry serait un « aïeul » de Luc Ferry, mais que ce dernier n'en est pas un descendant direct. Luc Ferry a lui-même précisé sur France V qu'il avait bien un lien de parenté avec Jules Ferry, mais qu'il ne s'agissait que d'un cousinage éloigné.
Voiçi donc, pour donner le ton des « républicains » d'alors, un extrait significatif du discours évoqué plus haut de René Viviani qui aurait parfaitement pu être membre de nôtre actuelle Nupes.
« Tous ensemble, proclame-t-il, par nos pères, par nos aînés, par nous-mêmes, nous nous sommes attachés dans le passé à une œuvre d’anticléricalisme, à une œuvre d’irréligion.
Nous avons arraché les consciences humaines à la croyance. Lorsqu’un misérable, fatigué du poids du jour, ployait les genoux, nous l’avons relevé, nous lui avons dit que derrière les nuages il n’y avait que des chimères.
Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus. Voilà notre œuvre, notre œuvre révolutionnaire. Est-ce que vous croyez que l’œuvre est terminée ? Elle commence au contraire. »
Oui, sur un point Viviani avait raison sa lutte continue grâce à ses descendants les Mélenchon et Cie.
Mais nôtre résistance a nous continue aussi.
Le Scrutateur.
CHRONIQUE - L’égalité démocratique n’est finalement rien d’autre
qu’une sécularisation du christianisme.
Au moment où, croyants ou non, nous venons de célébrer par un jour
férié l’assomption de la Vierge Marie, au moment où la tentative
d’assassinat de cet homme infiniment courageux qu’est Salman Rushdie
saisit tout ce que le monde entier compte d’honnêtes gens de colère et
d’effroi, il est bon de rappeler que le christianisme, à la différence
des autres religions, est bel et bien à l’origine de cet universalisme
républicain qui n’en est à bien des égards qu’une version sécularisée.
Trois passages clefs des Évangiles suffisent à le montrer. Le premier,
c’est bien sûr la parabole des talents: à l’encontre de ce que
prétendent les grandes éthiques aristocratiques grecques de Platon et
d’Aristote, elle délivre un message qui sera essentiel à l’univers
républicain, à savoir que la dignité d’un être ne dépend pas des
talents qu’il a reçus, mais de ce qu’il en fait, non pas des dons
naturels, mais de son travail, de sa liberté et de sa volonté, quelles
que soient ses dotations de départ: le premier serviteur a reçu cinq
talents et le second seulement deux?
Il est légitime d’affirmer que le christianisme est la première morale
universaliste
Et alors? Quelle importance en termes de capacité à choisir entre le
bien et le mal, quelle importance s’agissant de savoir ce que chacun
va choisir de faire de ce qu’il a reçu! Ce n’est donc pas la nature,
mais la liberté et le travail qui font la qualité d’un être sur le
plan éthique et, de ce point de vue, nous sommes tous à égalité, en
quoi c’est bien le christianisme qui est l’inventeur de l’idée moderne
d’humanité et non le stoïcisme, comme le répètent à tort certains
ouvrages qui se veulent savants au motif que la doctrine des stoïciens
serait un «cosmopolitisme», ce qui est exact, mais n’empêche nullement
qu’au sein de ce cosmos politique règne non pas l’égalité, mais une
hiérarchie naturelle des êtres parfaitement inégalitaire.
L’idée d’égalité s’exprimera de manière particulièrement forte dans
l’Épître aux Galates (3, 8-9 et 26-29) de saint Paul: «Vous êtes tous
fils de Dieu, par la foi dans Christ Jésus (…) il n’y a plus ni Juif
ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni
femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.». Avec un
deuxième passage des Évangiles, la parabole du bon Samaritain, c’est
la notion grecque de «barbare» - synonyme d’étranger - qui tend à
disparaître dans le christianisme au profit de cette conviction à
proprement parler inouïe, radicalement nouvelle à l’époque, que
l’humanité est non seulement une entité unique, mais qui plus est une
communauté universelle, composée d’êtres moralement respectables a
priori, qu’ils soient étrangers ou non, en tant que membres de la même
communauté ethnique et religieuse.
C’est donc bien en ce sens qu’il est légitime d’affirmer que le
christianisme est la première morale universaliste - en quoi il est à
l’origine de notre conception moderne, démocratique et républicaine
des droits de l’homme, lesquels ne seront pour l’essentiel, comme j’ai
déjà eu l’occasion de le dire dans d’autres chroniques, qu’une simple
sécularisation du message chrétien.
Enfin, il faut relire cette adresse de Jésus à ses disciples qu’on
trouve en Matthieu, 23 et qui stigmatise l’orgueil de ces pharisiens
qui «aiment à être salués dans les places publiques, et à être appelés
par les hommes Rabbi. Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ;
car un seul est votre Maître,et vous êtes tous frères. Ne vous faites
pas appeler directeurs ; car un seul est votre Directeur, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Quiconque s’élèvera
sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé.» On notera, c’est
décidément un thème essentiel qui revient dans les propos du Christ,
qu’à ses yeux les êtres humains sont tout à égalité devant Dieu, «tous
frères» comme il le dit dans ce passage où il demande à ses disciples
de refuser les honneurs et de ne jamais se faire appeler d’un nom qui
cherche à placer quelqu’un au-dessus des autres, comme si l’un d’entre
eux pouvait dominer ses autres frères.
Où l’on retrouve cette idée chère à Tocqueville que l’égalité
démocratique n’est finalement rien d’autre qu’une sécularisation du
christianisme, l’égalité des créatures devant Dieu devenant égalité
des citoyens devant la loi au moment où les privilèges de
l’aristocratie sont anéantis, c’est-à-dire lors de la fameuse nuit du
4 août. Ainsi, ce n’est pas en vain que la plus grande part du peuple
chrétien a pris le nom de catholique, du grec «kata holon», qui
signifie «vers le tout», autrement dit «pour tous» ou «qui s’adresse à
tous».