13 Juillet 2022
Le docteur Henri Bangou Fut Maire, sénateur et conseiller général de la Guadeloupe. Il fut encore autre chose, auteur d'ouvrages sur l'histoire de la Guadeloupe, notamment. Il fut aussi communiste Jusqu'à l'effondrement de l'URSS en 1991. Il déclara alors qu'il avait ignoré la terrible réalité du communisme international (sic). Il quitta alors le parti communiste et fonda avec certains de ses amis le PPDG (parti populaire et démocratique guadeloupéen.
Pous ces raisons je m'étais rangé parmi ses adversaires, irréductiblement.
Je ne manquai cependant pas, endehors l'activité politique de reconnaître sa courtoisie dans les rapports privés. Il en fut de même pour lui.
Le 15 juillet Henri Bangou aura 100 ans.
Ses amis lui rendent ce jour là un hommage solennel. Si Henri Bagou a conservé sa pleine lucidité, il n'est pas impossible qu'à l'écoute des éloges qui ne manqueront pas il ne disssimule quelque sourire ironique en buvant l'ambroisie suave qui s'écoulera des bouches amicales.
C'est dans l'ordre des choses depuis les origines et avant même les temps du roi Salomon.
Mon message personnel sera moins lyrique.
Vous le lirez ci-dessous dans l'article que je publiai dans la revue Guadeloupe 2000 lorsque M. Henri Bangou publia ses Mémoires en 1992.
Henri Bangou publie ses mémoires sous le titre Mémoires du présent.
Les Guadeloupéens d'âge mûr trouveront de l'agrément à la lecture des trente premières pages du volume de souvenirs que le sénateur et maire de Pointe-à-Pitre vient de publier sous le titre « Mémoires du temps présent ». Ce sont les meilleures de l'ouvrage. Il s'en dégage de l'émotion une sorte de paradoxale nostalgie. Paradoxale, car l'auteur a le mérite de le rappeler, les charmes incontestables de la vie coloniale, la lenteur paisible de la vie quotidienne en un temps où la Guadeloupe vivait encore à l'écart du modernisme, cachait mal les conditions de vie difficiles, et souvent la misère d'une large partie de la population. Une misère dont nôtre île ne devait commencer à sortir qu'avec le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 et enfin, la mise en place effective de la loi de départementalisation de 1946. On a la surprise de voir reconnaître, sans doute par distraction, en ce qui concerne Pointe-à-Pitre, par M. Bangou : « en septembre 1958, le général de Gaulle avait, en effet, envoyé dans les Antilles et en Guyane comme messager pour le « oui », le prestigieux André Malraux. Celui-ci, constatant l'état déplorable des faubourgs de Pointe-à-Pitre où il prit la parole, fit la promesse au nom du général, en cas de victoire nationale du « oui », de mettre en place le financement nécessaire à la résorption du bidonvile ».
A entendre s'exprimer le docteur Bangou, depuis près de trente ans sur la rénovation de Pointe-à-Pitre, et plus généralement depuis trente ans celle de la Guadeloupe, on avait cru comprendre qu'elle s'était effectuée malgré, et même contre l’Etat par la seule volonté du parti communiste Guadeloupéen. La reconnaissance du rôle majeur à cet égard de l’état, et en particulier des gouvernements gaullistes, rend un son nouveau. Mieux vaut tard que jamais.
Les amitiés d'enfance et de jeunesse.
D'autres pages encore retiendront l'attention, voire la sympathie, celles qui concernent les amitiés d'enfance et de jeunesse, la camaraderie inter classes sociales, et inter ethniques entre le jeune Henri Bangou d'une part, et les frères Guy et Henri Camenen, René de Friberg (l'ancienne maison de Friberg orne d'ailleurs la page de couverture du livre), le futur docteur Paul Bertrand et le professeur Jean Vergier, sur lequel, évoquant sa mort prématurée, le mémorialiste laisse percer une certaine émotion.
Tout ce petit monde se retrouvait à la bibliothèque paroissiale, salle Jeanne d'Arc, qui semble avoir nourri la boulimie de lecture de la génération des années 30 et 40, puisque mes amis Raymond Cipolin et Luigy Colat-Jolivière (plus jeunes cependant) m'en ont souvent parlé, et souvent des mêmes titres évoqués par le docteur Bangou.
L'engagement politique .
Le futur sénateur quitte la Guadeloupe en 1944 pour le Maroc où il rencontrera sa future épouse Marcelle (« une française née à Ouezzanne, au Maroc »), avant de gagner la France et Paris où il fera ses études et s'engagera politiquement au parti communiste. Le jeune Henri aurait quitté la Guadeloupe, me dit-on ici et là, avec une sensibilité politique « de droite » sous l'influence , notamment de son professeur de philosophie Lénis Blanche, dont il n'est question qu'une fois et de façon anecdotique dans l'ouvrage. D'ailleurs écrit à peu près Bangou : « en ces années là j'eusse probablement penché pour une adhésion au RPF et pour le général de Gaulle, si je n'avais pas rencontré Marcelle ».
Marcelle, l'Elsa Triolet de nôtre héros, et son Pygmalion, ancienne militante des jeunesses communistes d'Alger, incarnant la sensibilité janséniste du parti communiste, et vierge rouge alors, du marxisme-léninisme. Leur mariage suscitera la colère du père d'Henri, et une lettre qui est un vrai document sur une époque heureusement en voie de disparition :
«Mon cher Henri,
Depuis ta génération, la mode ou la règle veut que tous les jeunes Nègres guadeloupéens qui vont en France continuer leurs études , la mode ou la règle, dis-je, veut qu'ils adhèrent au parti communiste de Russie et qu'ils se marient à une blanche de France (autre conséquence de l'assimilation intégrale). Pourquoi aurais-tu échappé à ces deux fatalités ? Atavisme congénital ? Complexe d'infériorité ? qui veut que vous vos sœurs du Cours Michelet, celles qui comme vous poursuivent leurs études en France, que vous trahissiez en un mot la belle, la noble, la sainte cause, celle de l'évolution fatale de la race. Fils ingrat, vos enfants, vos enfants vous renieront comme ceux qui, issus du Blance et de la Négresse, renient leurs mères », etc.
On comprend qu'Henri ne soit pas peu fier d'avoir amené son père à évoluer, à accepter plus tard Marcelle et … le Parti ! Oui, le parti communiste où le jeune intellectuel de la fin des années quarante et des années cinquante adhère, où il milite avec passion en plein stalinisme, à l'apogée de la guerre froide. Complicité profonde d'une nature timide et « complexée » (c'est lui qui le dit et le répète à satiété, au point d'en devenir suspect) qui trouve dans le parti la structure équilibrante d'une personnalité anxieuse ? Calcul intéressé d'un jeune ambitieux qui croyait au sens de l'histoire, à la victoire imminente de la « patrie des travailleurs », de l'URSS, que des gens éminents d'alors : Aragon, Sartre, Garaudy annoncent à l'envi, prophètes d'une collaboration avec le futur occupant rouge d'une France quatrième République, mal remise de la guerre, « énervée de démocratie » (de Gaulle dixit) ? Ou bien encore illusion lyrique que partagèrent bien d'autres dans cette génération malheureuse, les Leroy-Ladurie, Edgar Morin, Annie Kriegel (alors annie Besse)) Yves Montand, etc.
Admettons cette troisième hypothèse, la plus indulgente pour nôtre personnage. Mais enfin, le livre est écrit dans les années 1990, publié e 92. Il n'est plus possible aujourd'hui , depuis la chute du mur de Berlin, l'effondrement de l'URSS et de l'idéologie marxiste/léniniste en Europe centrale et partout dans le monde, de nier que le communisme, pas seulement l'épisode stalinien, mais le communisme lui-même a dépassé le nazisme au hit-parade de l'horreu, l'horreur des camps de concentration et des dizaines de millions de morts sacrifiés à une idéologie fausse en son principe, meurtière en ses applications.
Pourtant, évoquant le mouvement de décolonisation des années 50 et 60, Henri Bangou écrit impavidement : « Sur les trois continents autrefois dépecés, assujettis et exploités, les révolutions triomphantes faisaient reculer les impérialismes de la vieille Europe et des Etats-Unis. Par dessus tout, celle de la Chine faisait basculer un milliard d'êtres humains dans le camp anti-impérialiste, alimentant les espoirs légitimes des peuples opprimés dans la lutte pour leur décolonisation ».
Mânes des dizaines de millions d'Européens, de Russes, de Chinois, Camdodgiens, Africains et autres victimes du communisme, ou du fait du communisme, en Amérique latine et partout : pleurez, criez, hurlez de ce qui peut vous rester de voix là où vous êtes ! Voici l'aveuglement, ou le cynisme dont est capable aujourd'hui à la fin du plus terrible siècle de l'Histoire, un bourgeois français des Antilles distingué et cultivé.
C'est à déespérer. On attendait d'Henri Bangou un examen de conscience, un acte de repentir vrai, un sanglot. Il nous offre un compte-rendu satisfait.
Il y a bien des lacunes dans les « Mémoires du présent », bien des silences décevants sur certaines « affaires » expédiées au pas de charge, et dans ces quelques lignes de dérobade : « Par quel miracle en vingt ans, et sur tant de milliers d'actes, de contrats, de situations relationelles, les plus honnêtes (sic!) des hommes, surtout aussi peu prévenus que nous des affaires publiques, ne seraient-ils pas tombés sans le vouloir, dans quelque piège ».
C'est un peu court, monsieur !
Autre sujet de déception, les attaques portées contre la gestion d'Hector Dessout de 1959 à 1965.
Hector Dessout fut gêné dans sa gestion de Pointe-à-Pitre, par la maladie d'abord, et par les tracasseries du parti communiste dont il avait cru avoir besoin pour écarter l'ancien maire Paul Valentino.
De M. Dessout, Henri Bangou en brosse un portrait de despote caractériel. A l'en croire les seuls actes positifs de la mandature 1959-1965 furent opérés par le Parti, sous sa direction
Mais la déception principale suscité par cet ouvrage, que liront cependant avec intérêt ceux qui s'intéressent à la politique et à l'histoire de la Guadeloupe, demeure l'incapacité évidente d'Henri Bangou à libérer son esprit des mensonges, des schémas et des tics de l'idéologie marxiste où elle a macéré durant tant d'années.
Certes le maire de Pointe-à-Pitre et la majorité de son conseil municipal ont rompu avec le communisme en juin 1991, mais c'était un peu tard, tout comme étaient tardifs les ralliements à la résistance française en août 1944 de certains « collaborateurs » avérés.
A propos des horreurs du communisme « nous ne savions pas » déclarent sans rire le sénateur et ses amis. Dans les mémoires le « reniement » occupe les quatre dernières pages.
Et quatre lignes ont retnu particulièrement mon attention dans lesquelles j'ai retenu quatre mots qui ont du échapper à la sagacité de leur auteur : « Bref, socialisme, communisme sont devenus des repoussoirs, obligeant même ceux qui ne partageraient la responsabilité de l'échec de leurs homologues des pays de l'Est, mis à part l'aveuglement qui les avait frappés si longtemps à bannir le mot pour ne pas être emporté par l'allergie galopante qu'il engendre ».
Bref, on change les mots et l'on garde les choses que ces mots désignent. On garde le bâtiment après en avoir changé la peinture.
A leur façon, parfois avec une une sorte d'impudence mêlée de candeur, les Mémoires du docteur Bangou nous le rappellent. Ce n'est pas leur moindre mérite. Peut-être involontaire !
Le Scrutateur.