8 Juin 2022
Une élection nationale a minima ?
A quelques jours du 1 er tour, la mécanique des élections législatives se précise et elle est redoutable, combinant nationalisation quasi-totale du scrutin et faible intérêt. Faible intérêt tout d’abord : 42% seulement des Français donnent une note d’intérêt de 9 ou 10 à ces élections et, dans les électorats de la présidentielle les plus intéressés, ce niveau monte péniblement à 46% seulement chez les électeurs de JL Mélenchon et 49% chez ceux d’E Macron. Non seulement ce niveau est faible mais au lieu de progresser à l’approche du scrutin…il diminue de 3 points par rapport à la dernière vague d’enquête, réalisée ½ mai ! Sociologiquement, l’importance de la variable âge et la béance qui oppose les plus jeunes aux plus âgés se confirme : 35% des moins de 35 ans et 36% des 35-59 ans se déclarent vraiment intéressés. La bascule ne se fait qu’à partir de 60 ans, avec 55% d’intérêt. Même dans cette classe d’âge, ce chiffre n’a rien d’exceptionnel. Dans ces conditions, la participation mesurée reste également extrêmement faible : entre 44% et 48%. L’abstention pourrait donc dépasser le record de 2017 (51,3%) et être à nouveau majoritaire, avec une prime de participation chez les plus âgés, les cadres plutôt que les employés et les ouvriers et les électeurs de Macron (56%) et de Mélenchon (50%). 4 éléments au moins expliquent une telle situation : Tout d’abord et comme en 2017, le sentiment que le véritable rendez-vous est bien celui de la présidentielle et que des élections législatives qui surviennent quelques semaines après peinent à trouver leur utilité. A fortiori lorsque le pouvoir en place fait tout pour ne pas donner prise à une quelconque controverse, que ce soit autour de la question des retraites ou du détail des mesures à venir en matière de pouvoir d’achat des Français. A cela s’ajoute un pronostic des Français qui n’incite guère à la mobilisation : malgré les efforts de Jean-Luc Mélenchon, 21% seulement pensent que la gauche obtiendra une majorité à l’Assemblé nationale. Le pays est ainsi largement acquis à l’idée d’une victoire de LREM et uniquement partagé sur l’idée qu’elle et ses alliés obtiendront une majorité absolue (41%) ou une majorité relative, nécessitant l’appui des LR (38%). Même les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ne sont que 47% à penser que la gauche pourrait l’emporter et seulement 51% de ceux de la Nupes. La troisième raison est tout simplement le faible niveau d’information déclaré des Français concernant ces élections, les candidats qui se présentent dans leur circonscription et leurs propositions : 56% seulement se disent bien informés, dont 12% seulement « très bien ». Un peu comme lors des dernières régionales, il semble que les Français connaissent extrêmement mal les candidats en présence ou n’ont pas envie de s’y attarder. La 12 ième vague de notre enquête électorale, grâce à l’importance de son échantillon (10 826 personnes interrogées) permet même d’aller plus loin et de montrer combien la « prime aux sortants » est en réalité faible ou, quand elle joue, ne change pas fondamentalement les choses. Par exemple, dans les circonscriptions où le sortant est un LR/UDI/DVD, les intentions de vote en leur faveur sont certes de 17% contre 11% en moyenne mais avec 17%, ces candidats se situent en 4ème position, loin de la qualification pour le second tour. De même, il y a bien un effet « sortant » pour la Nupes quand le député actuel est de gauche, qui augmente les intentions de vote en sa faveur de 5,5 points ou, s’agissant d’Ensemble, les font progresser de 2 points mais dans ces circonscriptions soit de gauche, soit LREM/Modem à la base, ces candidats sont de toutes façons assurés d’être qualifiés. Enfin et contrairement à une idée reçue, la couleur politique du candidat de la Nupes, qu’il soit FI, PC, PS ou EELV, ne change quasiment rien aux intentions de vote, la présence d’un FI plutôt qu’un PS n’accentuant pas significativement le rejet d’une partie de l’électorat. Tout se passe donc comme si cette élection était intégralement nationalisée, avec une attention très faible des Français pour la dimension locale de leurs candidats et leurs propositions. La dernière raison qui explique l’atonie du corps électoral et l’absence de dynamiques est que dans cette élection dont l’issue semble jouée d’avance, il n’y a ni désir, ni confiance forte pour Ensemble et pour la Nupes. En 2017, les Français découvraient E Macron, approuvaient ses premières mesures et étaient sensibles au profond renouvèlement du personnel politique qui se profilait. Rien de cela en 2022. Dans de très nombreux domaines, les niveaux de confiance sont faibles ou très faibles, le Gouvernement est perçu comme insuffisamment renouvelé et son action beaucoup trop lente. Mais à l’inverse, si la Nupes l’emportait, les Français considèrent qu’elle ne ferait globalement pas mieux et même moins bien sur la plupart des sujets soumis à leur jugement. Lors de la Présidentielle, Jean-Luc Mélenchon avait su provoquer un sursaut dans les tous derniers jours de la campagne. On ne peut donc écarter un tel schéma. Mais tout se présente comme si la dépolitisation de cette élection allait faire le jeu de la majorité présidentielle, avant un brutal rappel à la réalité sur le faible soutien dont elle dispose dans l’opinion .
Journal Le Monde.