16 Mai 2022
Chers lecteurs, chers amis,
Le plat du jour est consacré à l'école. Plus spécialement au détournement de finalité qui consiste, contrairement à qu'il en fut il n'y a pas encore si longtemps à bétifier, à escagasser, comme aurait dit Marcel Pagnol, la jeunesse française.
Au menu du jour un texte fameux de ce fils de paysan et d'une rempailleuse de chaise, qui par le moyen de l'école (c'était à la fin du 19ème siècle) devint normalien, philosophe, et l'un des plus grands écrivains de nôtre pays.
J'en cite un texte fameux sur ceux qu'il a appelé « les hussards noirs de la République ».
A la fin des années quarante, et dans les années qui ont suivi immédiatement j'ai connu de ces hussards là. Ils étaient encore la majorité du corps enseignant, en Guadeloupe et en Martinique. On les rencontre dans le film talentueux d'Euzhan Palcy, d'après le roman de Joseph Zobel : La rue cases-nègres.
Mais déjà dans les années soixante on vit apparâitre les premiers profs en tongues, et en vêtements blancs le jour de la rentrée …. marrons en juin, et tout le reste à l'avenant.
C'était l'aube de la décadence.
Je vous recommande le hors d'oeuvre façon Péguy. Il est utile pour une vue d'ensemble du problème traité ce jour.
Si par hasard vous étiez trop pris par vôtre emploi du temps, sacrifiez Péguy, passez à Jean-Paul Brighelli, expert en pédagogie et cliquez sur le lien qui nous ouvre la porte à l'explication d'un drame : l'assassinat de l'école en France par les profiteurs qui nous gouvernent.
Bonne écoute, et aussi bonne lecture, comme je vous le souhaite ardemment.
Le Scrutateur.
Les hussards noirs de Charles Péguy
: « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes ; sévères ; sanglés. Sérieux, et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. Un long pantalon noir, mais, je pense, avec un liséré violet. Le violet n’est pas seulement la couleur des évêques, il est aussi la couleur de l’enseignement primaire. Un gilet noir. Une longue redingote noire, bien droite, bien tombante, mais deux croisements de palmes violettes aux revers. Une casquette plate, noire, mais un croisement de palmes violettes au-dessus du front. Cet uniforme civil était une sorte d’uniforme militaire encore plus sévère, encore plus militaire, étant un uniforme civique. Quelque chose, je pense, comme le fameux cadre noir de Saumur. Rien n’est beau comme un bel uniforme noir parmi les uniformes militaires. C’est la ligne elle-même. Et la sévérité. Porté par ces gamins qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces jeunes hussards de la République. Par ces nourrissons de la République. Par ces hussards noirs de la sévérité. Je crois avoir dit qu’ils étaient très vieux. Ils avaient au moins quinze ans. Toutes les semaines il en remontait un de l’École normale vers l’École annexe ; et c’était toujours un nouveau ; et ainsi cette École normale semblait un régiment inépuisable. Elle était comme un immense dépôt, gouvernemental, de jeunesse et de civisme. Le gouvernement de la République était chargé de nous fournir tant de jeunesse et tant d’enseignement. L’État était chargé de nous fournir tant de sérieux.
(…) Sortis du peuple, mais dans l’autre sens de sortir, fils d’ouvriers, mais surtout de paysans et de petits propriétaires, souvent petits propriétaires eux-mêmes, de quelque lopin de terre quelque part dans le département, ils restaient le même peuple, nullement endimanché je vous prie de le croire, seulement un peu plus aligné, un peu plus rangé, un peu ordonné dans ces beaux jardins de maisons d’école. Avant tout ils ne faisaient pas les malins. Ils étaient juste à leur place dans une société bien faite. Ils savaient jusqu’où ils iraient, et aussi ils y parvenaient infailliblement
(…) Nous venons ici à une difficulté extrême, à un point de difficulté. C’est le moment de ne point esquiver les difficultés, surtout celle-ci qui est importante. C’est le moment aussi de prendre ses responsabilités. Tout le monde a une métaphysique. Patente, latente. Je l’ai assez dit. Ou alors on n’existe pas. Et même ceux qui n’existent pas ont tout de même, ont également une métaphysique. Nos maîtres n’en étaient pas là. Nos maîtres existaient. Et vivement.
Nos maîtres avaient une métaphysique. Et pourquoi le taire. Ils ne s’en taisaient pas. Ils ne s’en sont jamais tus. La métaphysique de nos maîtres, c’était la métaphysique scolaire, d’abord. Mais c’était ensuite, c’était surtout la métaphysique de la science, c’était la métaphysique ou du moins une métaphysique matérialiste (ces êtres pleins d’âme avaient une métaphysique matérialiste, mais c’est toujours comme ça), (et en même temps idéaliste, profondément moraliste et si l’on veut kantienne), c’était une métaphysique positiviste, c’était la célèbre métaphysique du progrès. La métaphysique des curés, mon Dieu, c’était précisément la théologie et ainsi la métaphysique qu’il y a dans le catéchisme.
Nos maîtres et nos curés, ce serait un assez bon titre pour un roman. »
(II) Jean-Paul Brighelli : Vers l'apocalypse scolaire :