Madame Michèle Montantin déplore la dévaluation du créole par des charlatans de la politique.

“Quand des défendeurs sans arguments font mentir la langue créole”

Non, nous ne sommes pas condamnés à la violence !

Oui, le créole est une langue qui sait ce qu’elle dit ! 

Il y a un certain nombre d’années je me suis retrouvée témoin dans une affaire de conflit de voisinage.

Une nuit, réveillée par des cris, j’avais observé par-dessus la haie qui clôturait le jardin de la maison où je vivais, une femme qui hurlait des injures sous les fenêtres de ma voisine et amie, tout en projetant sur les murs de sa maison le contenu de deux seaux dont je sus le lendemain qu’il s’agissait d’excréments.

J’apprenais aussi que mon amie était ainsi persécutée par cette voisine… à laquelle elle avait vendu une voiture qui s’était rapidement trouvée en panne…depuis très longtemps.

Je persuadais mon amie de porter plainte et l’assurait de mon témoignage sur le préjudice subi cette nuit - là.

Au tribunal de Pointe-à-Pitre je me retrouvais citée comme témoin face à Maître Rhodes, avocat de la défense.

Suite à mon témoignage à la barre, il s’évertua à me démontrer que les injures dont je témoignais n’étaient pas des injures : c’était du créole, et en créole les injures n’avaient pas la portée qu’elles avaient en français.

Je faisais donc erreur en estimant que la scène dont j’avais été témoin était une scène avilissante et traumatisante pour mon amie. Il n’alla cependant pas jusqu’à dire que les seaux d’excréments étaient remplis de roses….

Je rétorquais que le créole n’était pas condamné à être uniquement une langue de la profération, de l’anathème et de l’insulte, mais  que pratiqué dans toutes les classes sociales, il était aussi la langue des poètes, des écrivains, des dramaturges, des amoureux, des musiciens…que le créole avait donc tous les moyens de dire, de nommer, de décrire, d’exprimer et que, par conséquent, les injures en créole étaient bien graves et blessantes pour ma voisine, au même titre que le fait d’asperger d’excréments les murs de son habitation.

Le procès fut gagné par mon amie et sa voisine condamnée.

Mais aujourd’hui le système de défense de Maître Rhodes est repris par ses dignes héritiers dans une affaire autrement grave.

Nous avons tous été témoins en cette fin d’année 2021 des injures et menaces de mort réitérées adressées en public au directeur du CHU de Guadeloupe, injures et menaces de mort enregistrées et diffusées à une heure de grande écoute. Nous avons été nombreux à estimer qu’il s’agissait de menaces inacceptables et qu’il fallait réagir et dénoncer cette violence intolérable.

Dans la droite ligne de leur illustre prédécesseur, les avocats de la défense de Monsieur Gaby CLAVIER proclament à leur tour que cette menace n’en était pas véritablement une et que, s’agissant de menaces proférées en créole, menacer de mort ne serait pas une menace…

De telles distorsions de la réalité culturelle nous obligent aujourd’hui non seulement à dire NON à la violence des actes et des mots, mais aussi à nous ériger contre cette véritable entreprise de manipulation qui consiste à travestir les réalités, à mentir à propos de la langue, comme à propos de l’histoire, avec pour but véritable la désorganisation sanitaire et sociale, l’effondrement de l’économie et du vivre ensemble sur cette terre de Guadeloupe.

Comme s’en est expliquée Mme N’TOUMO au journal du soir de Guadeloupe- La- Première la semaine passée, cette violence serait excusable du fait qu’esclavage il y eut, que colonisation il y eut, que mai 1967 il y eut ! Les violences subies dans notre passé excuseraient et légitimeraient les violences que certains exercent aujourd’hui à l’encontre de leurs propres concitoyens qui ont partagé la même histoire.  

 Cette vision sinistre et mortifère de notre humanité est très préoccupante pour notre avenir et celui de notre jeunesse.

 Sans projet culturel, sans projet économique, sans solutions à courts, moyens ou longs termes, ceux qui s’enferment dans ce discours de LA VIOLENCE LEGITIME ET EXCUSABLE n’ont rien d’autre à partager que le cauchemar qui les hante.

 Il nous faut espérer qu’ils aient la lucidité et le courage d’en sortir pour qu’enfin un dialogue vrai puisse s’instaurer.

 Michèle MONTANTIN

 7 Février 2022