7 Juillet 2021
C'est par la tête que le poisson pourrit, affirme un vieux proverbe. Le pourrissement est organisé en occident, et particulièrement en France, depuis des décennies. En France dès 1945 et la loi Langevin-Vallon qui fut portée par les communistes et la gauche, pour investir l'éducation nationale, considérée comme le milieu idéal pour une entreprise d'assèchement des intelligences et des âmes. Certes le combat fut rude, sinon au niveau des « politiques », du moins à droite (ce bord là considérait que ce qu'il importait de maîtriser c'était les finances, pas la culture). Le premier basculement vraiment sensible fut en mai 68 mais au cœur même de l'institution par le corps professoral avant qu'il ne fut rongé de mille manières et remplacé par les hommes idoines de la déconstruction du système napoléonien.
Depuis lors les choses ont été très vite. La catastrophe est palpable. Le statut actuel du baccalauréat indique que nous sommes dans la phase terminale.
Cet article deMarie-Victoire Velut, professeur de lettres et examinatrice au bac, éclaire une évidence que les gens lucides ont perçu depuis longtemps.
Le Scrutateur.
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Marie-victoire Velut, professeur de Lettres, est examinatrice de l'épreuve orale de français. Elle raconte l'effondrement du niveau des élèves et le laxisme de l'Éducation nationale, qui préfère accorder le bac à tout le monde plutôt que d'en faire une vraie épreuve sélective.
(https://www.valeursactuelles.com/societe/baccalaureat-le-dernier-coup-de-hache/
La situation que nous vivons nous impose de réagir avec virulence. Nous, professeurs qui avons choisi d’enseigner parce que nous croyons encore en la beauté et en la nécessité de la transmission, ne pouvons passer sous silence plus longtemps ce qui heurte profondément notre conception de l’enseignement. Il est impossible que nous restions impassibles non seulement face à la désorganisation paroxystique des épreuves 2021 du bac, mais aussi et surtout, face à la vacuité de ce qui est nouvellement exigé des candidats.
Il est tout d’abord nécessaire de revenir sur la nature des modifications qui ont été apportées à l’oral du bac de français. Là où l’ancienne formule se caractérisait par l’élaboration par l’élève d’un commentaire composé répondant à une problématique imposée par l’examinateur, la version 2021 ne laisse plus l’examinateur poser cette question primordiale, ce qui conduit le candidat à réciter une explication apprise par cœur dans le meilleur des cas ou à tourner à vide s’il oublie de poser lui-même l’interrogation à laquelle il doit répondre… Par ailleurs, aucun entretien ne suit plus cette analyse et l’examinateur est donc prié de ravaler bien sagement toutes ses demandes et de garder bouclée sa muselière. Comprenez qu’il serait vraiment déplacé de sa part d’oser revenir sur l’étude de l’élève en l’interrogeant sur des points précis qui auraient été oubliés ou traités de manière discutable ! La seconde partie de l’épreuve est tout aussi surprenante car les élèves choisissent désormais eux-mêmes ce sur quoi ils vont être évalués et doivent présenter une œuvre qu’ils ont préparée avant que l’examinateur ne passe à un “entretien”. Il est alors fréquent que les candidats récitent des présentations identiques qui ne manifestent que rarement une appropriation réelle des œuvres lues. Le seul élément intéressant de la nouvelle épreuve, celui qui permet de saisir le niveau du candidat, se trouve être la question de grammaire. Son traitement par l’élève est toujours un grand moment de vérité, le correcteur se rend bien souvent compte en effet que celui qui a débité son explication linéaire sans écueil et d’une traite, ignore en réalité la différence entre une préposition et une proposition, confond nature et fonction et a même franchement déjà du mal à relever les verbes conjugués d’une phrase ! Moment crucial donc, pour cerner le véritable niveau du candidat. Mais la question est évaluée sur un barème si léger — deux points seulement — qu’elle ne peut, de toute manière, suffire à modifier significativement la note globale mise à l’élève, ce qui est désolant.
Tout semble être fait de telle manière que les examinateurs ne puissent plus sanctionner le niveau réel des candidats qui leur font face. A cet égard, les consignes reçues dans les différents centres d’examen sont particulièrement révélatrices de la déconstruction de cette épreuve en confondant bienveillance et laxisme. Il nous a ainsi été expliqué que l’entretien suivant la présentation d’une œuvre par le candidat ne « constituait en aucun cas un contrôle de connaissance », contrairement à l’ancienne formule du bac. N’hésitant pas à faire preuve d’un dirigisme intégral infantilisant, la plupart des professeurs coordonnateurs vont jusqu’à expliquer aux examinateurs comment noter en leur précisant par exemple qu’« il ne faut plus interroger les élèves sur la vie des auteurs ou encore sur le courant littéraire auquel ils appartiennent » mais leur proposer plutôt d’« imaginer un titre ou une fin alternative à l’œuvre présentée ». Ah ! Couvrez donc ces connaissances que nous ne saurions voir ! Par de pareils objets, les âmes sont blessées ! Il est vrai que toute trace de culture devient si discriminante qu’il vaut mieux empêcher ceux qui en ont de la manifester plutôt que de devoir pénaliser ceux qui n’en ont pas et en tirer les conséquences nécessaires concernant l’enseignement prodigué.
[Ferrand] La Covid enterre le baccalauréat
Quelle vaste supercherie que de faire croire aux élèves qu’ils méritent un bac que l’on a décidé au préalable de leur donner !
Le savoir est désormais considéré comme le bibelot exotique d’un passé bourgeois, selon les vœux du sociologue Bourdieu. Les coordonnateurs des centres ont réponse à tout. L’élève a fait une lecture anachronique du texte analysé ? Mais au fond, n’y a-t-il pas du Marlène Schiappa chez Madame de La Fayette ? Il a oublié de donner la problématique ? Vous conviendrez que ce n’est qu’un artifice ! Il a présenté en entretien d’une œuvre qu’il n’a pas lue ? Mais il a fait l’effort réel d’apprendre un résumé, n’est-ce pas ? Comment ne pas s’indigner de cette manière de procéder ? Quelle vaste supercherie que de faire croire aux élèves qu’ils méritent un bac que l’on a décidé au préalable de leur donner ! Et quel mépris des enseignants peut-on avoir pour oser leur demander de tout accepter ! Le bac est orchestré avec soin pour qu’aucun élève n’échoue et les “commissions d’harmonisation” supposées garantir un traitement juste entre tous les candidats n’ont plus en réalité qu’un seul mode de fonctionnement : le gonflage artificiel des notes. Elles sont l’œil de Moscou qui scrute et valide le travail de chacun. Chaque enseignant doit donner sa moyenne au terme de chaque journée d’oraux qu’il a fait passer et la comparer avec celle des autres examinateurs. Si la moyenne de l’un n’est pas suffisamment élevée, celui-ci doit remonter rapidement ses notes les plus basses pour atteindre la norme. Ainsi, l’enseignant qui se veut exigeant dans sa notation se retrouve à devoir justifier devant les autres de toute mauvaise note mise et il est systématiquement poussé à monter celle-ci. Beaucoup de collègues, voyant cela, ont pris systématiquement le parti de corriger le bac en surnotant d’emblée de 3-4 points par rapport à la normale les élèves qu’ils font passer. C’est le prix de la tranquillité mais aussi, pourtant, l’aveu d’un terrible renoncement. Les examinateurs acceptent d’une manière ou d’une autre l’expression libre de la médiocrité et cela se fait au détriment de la jeunesse.
Tous ces élèves qui vont avoir leur bac mais qui confondent nature et fonction grammaticales, ceux qui parlent avec assurance en analyse logique de « proposition principale subordonnée de coordination », ceux-là même qui pensent que « Balzac n’apporte rien aux lecteurs d’aujourd’hui », ceux qui ne font aucune liaison lorsqu’ils lisent un texte et butent sur tous les mots de plus de deux syllabes, ceux qui pensent que les musées rémunèrent les artistes et qui croient que « Léonard de Vinci vit toujours », ceux qui définissent le classicisme comme un « mouvement de gens luttant pour la paix », ceux qui disent que Madame de Montespan « donnait des cours à Louis XIV car elle était sa maîtresse », ceux qui au Grand oral choisissent des sujets ineptes comme « Peut-on cambrioler un casino ? » ou qui exposent aux examinateurs leur idée révolutionnaire dans le domaine de la mode : la création d’un pantalon en trois parties zippées que l’on pourrait changer à notre guise parce que « c’est grave cool, madame », ces élèves qui vont avoir leur bac mais ne l’auront pas mérité, partiront-ils dans la vie avec toutes les chances de leur côté ? Est-ce les aider que de le leur avoir offert sans qu’ils n’aient travaillé? Quel goût pour la liberté peuvent-ils nourrir, eux qui sont dans l’ignorance ? Quel amour pour l’art peuvent-ils faire grandir, eux qui ne parlent que de « street art » et n’ont jamais pris l’habitude d’entrer dans les musées ? Quel sens de la vérité peuvent-ils cultiver, eux qui ne s’appuient que sur TikTok et Instagram ? Enfin, quel attachement à leur pays pourront-ils jamais manifester, eux qui ne liront jamais le passé qu’à l’aune de leurs revendications d’aujourd’hui ?
Il est indubitable qu’il aurait mieux valu un bac respectueux des élèves et respectueux des enseignants plutôt qu’un artefact d’examen dénué de tout intérêt et organisé en dépit du bon sens. On ne peut faire grandir la jeunesse que par l’exigence que l’on nourrit à son égard, là est la véritable bienveillance. Le passage au contrôle continu qui est amorcé n’est pas une solution mais concrétise de manière logique la suppression d’un examen qu’on a fragilisé depuis des années déjà et qui est tombé à terre cette année sous les coups répétés. Le dernier ministre en a été le fossoyeur. Pourtant, il n’aurait pas été impossible de redonner aux programmes scolaires de l’épaisseur et de redonner de la crédibilité à cet examen. Mais il aurait fallu pour cela accepter de reconnaître avec humilité l’affaissement du niveau des élèves provoqué par les réformes successives et avoir le courage de refaire de la transmission du savoir le cœur de l’enseignement. Il aurait fallu redécouvrir l’évidence. Si nous voulons que la jeunesse prenne au sérieux l’épreuve du bac, il faut qu’on la prenne elle-même au sérieux et qu’on lui insuffle l’envie de se dépasser par des programmes et des examens dignes de son engagement, par des contraintes dignes d’efforts.