29 Mai 2021
Ce mois de mai qui s'achève s'est intitulé « le mois de la mémoire. On sait qu'il ne faut pas confondre la mémoire et l'histoire. (voir : nôtre article : http://www.lescrutateur.com/2021/05/le-mois-de-la-memoire-mai-2021-et-les-risques-de-diffusion-d-une-paranoia-collective.html ). La confusion a été faite sur la chaîne Guadeloupe 1ère, avec une rare constance, et la lourdeur d'esprit des auteurs et intervenants que nous savons . On se serait cru trente ans en arrière, aux temps explosifs de FR3, alors sous la coupe du sieur Reinette.
Le peuple n'est pas dupe. Et la preuve en est qu'on ne lui demande pas son avis. Seuls peuvent parler et parader les porte-paroles auto proclamés.
Il est utile cependant de rétablir certains faits et mettre en perspective la bouilie indigeste de ces messieurs, et d'offrir des documents et analyses sérieux qui permettront de penser librement. (LS)
DÉCRYPTAGE - Une équipe du CNRS a élaboré une base de données où sont recensées les indemnités versées aux propriétaires d'esclaves après l’abolition. Surtout, ces chercheurs y ont ajouté une «carte des indemnités et réparations». Dans un contexte où la pensée dite décoloniale gagne du terrain dans la recherche, la démarche interroge.
Par Ronan Planchon
C'est devenu un rituel. À chaque anniversaire de la loi Taubira du 21 mai 2001 définissant la traite et l'esclavage perpétrés par les Européens comme «crime contre l'humanité», les mêmes discours en faveur de la repentance réapparaissent. Cette fois, à l'occasion des vingt ans de la loi, une base de données qui fonctionne comme un moteur de recherche vient de voir le jour. En quelques clics, après avoir entré un nom, une date (1825 ou 1849) une colonie de l'époque (Guadeloupe, Guyane, Martinique, etc.) ou une ville, l'internaute accède à des informations biographiques sur ceux qui possédaient alors des esclaves ainsi que l'historique des indemnités perçues, après l'abolition de l'esclavage.
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Après l'abolition de 1848, la IIe République avait décidé d'allouer une compensation financière aux propriétaires qui considéraient être expropriés de leur bien. Le montant ? Entre 72 et 672 francs or par esclave, en fonction du «prix» sur le «marché local». Près de 10.000 propriétaires, apprend-on, ont été alors indemnisés par l'État, pour un montant total de 126 millions de francs or.
Au fond, le projet a le mérite de battre en brèche quelques présupposés. Non, tous les propriétaires d'esclaves n'étaient pas riches - on recense un certain nombre de petits propriétaires - ni blancs. En Martinique, 30 % d'entre eux étaient des noirs ou métis. Et des femmes, célibataires ou veuves de colons, possédaient elles aussi des esclaves.
L'outil confirme aussi que l'esclavage était un capitalisme comme un autre, avec son lot de spéculateurs en quête de profits. «Après l'abolition, certains propriétaires sont arrivés de métropole pour racheter à tour de bras des titres de propriété» dans l'espoir d'en tirer un meilleur ''prix'' une fois le montant des compensations établi, explique Myriam Cottias, chercheuse au CNRS à la tête du projet de recherche Repairs («réparations» en anglais). Ceux-là n'étaient pas des propriétaires d'esclaves à proprement parler donc, mais des détenteurs de titres d'indemnisation. Des créanciers, en somme.
Le CNRS aurait pu se contenter de proposer un outil exhaustif permettant au public de savoir, par exemple, si l'un de ses ancêtres a été propriétaire d'esclave, mais il va plus loin avec une «carte des indemnités et réparations». Autrement dit, une cartographie qui recense les actions judiciaires entreprises par des descendants d'esclaves qui demandent des comptes aux gouvernements pour les atrocités subies par leurs ancêtres, dont ils estiment payer encore aujourd'hui les conséquences à travers un prétendu «racisme systémique» de la société.
En France, deux associations, le Mouvement International pour les Réparations (Mir) en 2005, et le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) en 2013, ont porté plainte contre l'État et contre la Caisse des dépôts et consignation, et les ont accusés de complicité de crime contre l'humanité. Leur action n'aboutira pas, comme partout dans le monde. Jamais aucun État n'a versé un centime à ces associations militantes.
Mais des institutions ont elle-même pris des initiatives en ce sens. Arguant d'avoir reçu des dons de personnes ayant tiré profit de l'esclavage, l'Université de Glasgow en Écosse a lancé un programme de bourses à destination des étudiants caribéens. Cambridge lui a emboîté le pas. En 2019, la faculté anglaise a lancé un programme de recherche pour savoir si elle a bénéficié de la traite négrière.
Derrière Repairs, aucune démarche militante, assure Myriam Cottias, mais un travail purement «scientifique». Il suffit de faire un tour sur le site esclavages.cnrs.fr pour mettre à mal cette affirmation qui nie une quelconque velléité partisane. «Cette approche pluridisciplinaire se divise en 3 axes, décrit ci-dessous. Il veut ainsi abonder le débat sociétal avec des éléments scientifiques informés. Il analyse à la fois les institutions et les acteurs historiques et contemporains autour des notions de droit, de justice, de mémoire, d'égalité qui définissent une nouvelle forme de citoyenneté», peut-on lire en guise d'introduction.
Ainsi, l'équipe du CNRS relance de fait le débat sur la repentance. La base de données, fruit d'un travail de deux ans de cinq chercheurs, pourrait d'ailleurs servir de socle à ceux qui plaident pour des réparations financières au bénéfice des anciennes colonies françaises comme l'économiste de gauche Thomas Piketty, qui n'hésite plus à troquer son costume de signataire de tribunes professionnel dans les médias pour celui de spécialiste de la cause mémorielle. En avril, dans une interview accordée à l'Obs, le directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) déclarait: «Depuis que la question [des réparations] a émergé, on répond que l'affaire est trop ancienne. Cet argument me semble à la limite de la malhonnêteté intellectuelle. Des réparations ont été données pour les spoliations aussi anciennes». Quant à la question du mode de calcul, lui répond qu'«il n'y a pas de formule parfaite, il faut faire confiance à la délibération démocratique mais «puisque la France avait imposé à Haïti un tribut équivalent à trois années de production, on pourrait partir de cette base. Trois ans du PIB actuel d'Haïti, c'est 30 milliards d'euros. Je pense que la France devrait verser 30 milliards à Haïti.». Interrogée par l'AFP, Myriam Cottias est plus sceptique. «On ne peut pas demander le remboursement d'une indemnité qui reposait sur un crime contre l'humanité». Contactée par nos soins, elle estime toutefois que «les demandes de réparations, financières ou symboliques, sont des demandes d'égalité».
Ces travaux posent une fois de plus la question d'un virage idéologique pris par le CNRS dans les sciences humaines. En février après s'être vu confier par le ministère de l'Enseignement supérieur une mission sur «l'islamo-gauchisme» dans les universités, la direction du CNRS avait pris le contre-pied du philosophe Pierre-André Taguieff sur cette question, en liquidant d'un revers de la main la scientificité de ce terme, sans autre argumentation que cette affirmation exclusive.
Fallait-il confier l'enquête au principal suspect ? Pour le professeur de philosophie à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Jean-François Braunstein, le CNRS est devenu «un pôle avancé» de la pensée décoloniale où «les travaux sur le genre, et désormais la race» se multiplient et «l'écriture inclusive pratiquée de manière systématique». Vrai. Sur la page web du Centre international de recherches sur les esclavages et post-esclavages du CNRS, on parle volontiers d'«esclavisé.es», ou de «doctorant.e.s». Dans nos pages, Jean-François Braunstein tirait la sonnette d'alarme sur l'influence grandissante du décolonialisme dans la recherche et les facs: «L'université leur donne une légitimité prétendument scientifique, utilisée pour miner la société: en enseignant aux futurs professeurs du secondaire, et donc plus tard à leurs élèves, que les jeunes de banlieue sont «systématiquement» discriminés et toujours «colonisés», pareilles idéologies conduisent ces élèves à adopter une posture victimaire, qui leur sera dommageable, et aggravera les tensions dans collèges et lycées».