7 Avril 2021
Cela ne signifie en rien que notre destin serait tout tracé et que notre avenir numérique
serait écrit sans nous. Il y a place pour des choix d’une société de production exogène aux Antilles où le numérique aurait toute sa place dans le cadre d'un véritable développement durable .
Cependant, certains citoyens ou agents économiques (commerçants, artisans …) sont déjà en décrochages, d’autres mêmes réfractaires à ces transformations.
Les décideurs publics locaux vont bientôt être confrontés à cette fracture s’accélérant au rythme des hauts débits de la fibre et de la numérisation de notre société. Pourquoi ?
Tout simplement parce que les individus qui étaient éloignés du numérique vont sans doute le rester durablement en raison du fort taux d'illetrisme en Guadeloupe et en Martinique , voire vont observer impuissants leur situation socio-économique se dégrader au fil de la crise financière . Le manque de culture numérique peut engendrer des situations dramatiques, car aucune démarche en ligne (aides sociales, recherche d'emploi) ne peut être effectuée. Mais aussi parce que les activités professionnelles de certains se sont numérisées. Ils vont alors se retrouver dans l'incapacité de réaliser ces nouvelles tâches. Ils vont être bientôt privés des emplois qui leur étaient jusqu'alors accessibles faute de compétences suffisantes.
En conséquence de quoi, les travailleurs vieux comme jeunes et moins diplômés, notamment les femmes, seront, partout, les plus touchés. Et, comme la crise accélère la numérisation et l'automatisation, beaucoup d'emplois occupés par ces populations vont être définitivement supprimés, s'inquiète le Fonds monétaire international dans une récente étude . La révolution numérique est lourde de menaces pour la Martinique et la Guadeloupe car elle se caractérisera à horizon 2025 par le fait qu’elle bouleversera l’économie, par les fortes mutations qu’elles entraînent dans la manière dont les richesses sont produites. Cela constitue une grave menace à la création d’emploi pour deux raisons. D’une part, les travailleurs qui ne satisferont pas aux nouvelles conditions de qualification ne peuvent pas postuler à ces emplois de type nouveau, et là c'est le champ libre aux salariés exogènes à nos régions . D’autres part, les travailleurs en milieu de carrière qui désireraient se recycler dans une autre activité ne peuvent pas non plus le faire et risquent de se retrouver chômeur à la place.
Cette révolution introduira une rupture qui impactera, chaque jour, nos vies et nos habitudes avant de transformer l’économie dans son ensemble.Vous l’avez sûrement lu : près d’un emploi sur deux (47%) serait menacé par la numérisation de l’économie. C’est ce qui ressortait d’une étude réalisée par Frey et Osborne, deux chercheurs de l’Université d’Oxford. " Dans tous les pays, ce sont les travailleurs les moins instruits qui courent le plus de risque de voir leur emploi supprimé ". Nous sommes en train de vivre aujourd’hui la quatrième révolution industrielle, celle du numérique, sans croissance économique et donc sans emploi. En effet, l’innovation numérique malgré ses nouveaux produits d’information et de communication, ne sera pas autant créatrice de croissance et d’emplois que les innovations industrielles d’autrefois. Nous vivons une période dans laquelle la vague de la destruction provoquée par les progrès de l’informatique ne parvient pas à tirer suffisamment vite celle qui est créatrice de nouvelles activités et de nouveaux emplois .Cette perte des emplois ne sera pas automatiquement compensée par de nouveaux emplois issus de nouvelles activités comme la transition écologique .
Dans la décennie à venir on risque d’assister à un phénomène économique pervers de paupérisation de la population avec le numérique ,et ce du fait de la décrépitude probable des anciennes entreprises et de l’absence de recettes équivalentes en provenance du secteur numérique. Il faudrait donc compenser par une fiscalité directe accrue. C’est pour ces raisons qu'il faut arrêter de tergiverser sur le changement de modèle économique et social pour la Martinique et la Guadeloupe , et prendre acte que nous ne pouvons plus faire reposer la croissance, le progrès, notre avenir sur les contingences du passé . La révolution robotique et singulièrement numérique qui nous attend va remplacer aux Antilles près de la moitié de la population active par des machines en vingt ans. Un bouleversement potentiellement catastrophique. En effet, les risques du numérique sont bien prégnants, mais je pense qu'il y a encore des secteurs qui représentent de réelles opportunités de croissance pour la Guadeloupe et la Martinique et qui ne seraient pas trop impactés - voire pas du tout - par le boum du numérique et de la robotique : BTP, services à la personne, tourisme, industrie agro-alimentaire et green business (efficacité énergétique, production d'énergies renouvelables) . C'est là dessus qu'il faut mettre le paquet en termes de formation, d'apprentissage, de réduction de charges et de fiscalité attractive pour éviter au maximum "le salariat exogène " tant décrié par certains.
A la croissance quantitative d’hier pilotée dans l’optique de création de profit à optique court-termiste se substituera une croissance-transformation, à la recherche de modèles de plus forte valeur ajoutée. Et donc place à l'économie de production et à l'émergence de robustes filières agro-alimentaire !
En ne prenant pas en compte ce faisceau de transformations structurelles, dans le cadre d'un nouveau modèle économique et social, on risquerait de passer à côté de l’essentiel.
La numérisation de la Guadeloupe et de la Martinique , c'est potentiellement un cercle vicieux, mais c’est quand on n’a plus d’espoir qu’il ne faut désespérer de rien.( citation de Sénèque issue de Médéa)
Jean-Marie Nol économiste