29 Mars 2021
Je laisse la parole aujourd' hui à M. Philippe Bilger que nos lecteurs connaissent puisque l'appréciant pour sa lucidité (souvent) et sa tempérance (presque toujours) il s'exprime aujourd'hui sur la question du néo racisme qui se développe en France, Cet article m'agrée, personnellement. A vous de juger. (Le Scrutateur).
(https://www.philippebilger.com/blog/2021/03/attention-aux-nouveaux-racistes-.html )
On n'a jamais parlé davantage des races que depuis que les militants du "postcolonialisme, décolonialisme, intersectionnalité et théorie critique de la race" occupent le haut du pavé (Pierre-André Taguieff dans Valeurs actuelles).
À les écouter et à les lire, la lutte des races doit remplacer la lutte des classes, reléguée dans les vieilles armoires du marxisme.
Cette résurgence des Blancs, Noirs, jaunes, rouges est d'autant plus absurde et choquante que l'universalité du genre humain ne prête plus à discussion. Il est donc honteux que le racisme inepte d'un extrémisme ait été remplacé par le racisme prétendument progressiste d'un autre.
À tort ou à raison, on pensait être débarrassé de ces ignominies du quotidien qui divisaient l'humanité en tranches et remettaient au premier plan la notion d'inégalité.
La race est un concept culturel qui a emprunté le masque de la biologie pour tenter de se donner un semblant de validité. En vain puisque des études scientifiques, notamment une fondamentale en 2000, ont eu pour heureux effet de légitimer l'humanisme en démontrant l'unité du genre humain. Une double conclusion en était tirée. D'une part, tous les humains sont très proches. D'autre part, tous les êtres humains actuels sont, au sens propre, des Africains (National Geographic).
Qu'on ne s'imagine pas que ce constat m'est venu comme par miracle. Bien au contraire je l'ai découvert comme la confirmation rassurante d'une intuition que nous éprouvons en observant sans préjugé notre monde. En dignité et en humanité, en virtualité, nous sommes frères et soeurs dans un univers que le réel fera exploser. Mais l'unité est à la source.
D'authentiques chercheurs, alors que la France a fait disparaître la notion de race en 2013 dans la Constitution, ont argumenté en soulignant que ce concept devait être conservé à des fins en quelque sorte pédagogiques pour opposer l'antiracisme fondé au racisme délirant. Quoi qu'on pense de cette aspiration, elle n'était inspirée que par une bonne résolution.
Ce n'est pas le cas de ces nouveaux racistes qui, au prétexte de défendre leur champ idéologique, historique et culturel qu'ils considèrent comme menacé par la simple coexistence avec d'autres groupes humains, ont décidé de ressusciter la notion dépassée et dangereuse de race pour la constituer comme arme de guerre contre d'autres races prétendues.
Ce retour est dramatique. Chaque jour nous confronte à des polémiques et à des provocations qui peu ou prou visent à privatiser une race et à en exclure toutes les autres. Racisme, racialisme, racisé, autant de dénominations qui sur un mode pervers ont pour unique grille, par exemple, de justifier l'injustifiable et de faire accepter, par un apartheid de rétorsion, que les Blancs soient chassés ou au moins aient l'obligation de se taire dans les multiples débats que la modernité et ses faiblesses, ses tares imposent.
Je ne m'étonne pas qu'une Assa Traoré soit tombée dans un tel paroxysme de discrimination, ou même l'UNEF de maintenant, mais comment admettre de la part d'une Audrey Pulvar une telle dérive - les Blancs peuvent assister aux réunions non mixtes mais doivent se taire ! (France Info) - ou bien faut-il considérer que l'éclatement belliqueux du genre humain a atteint même les esprits initialement les plus équilibrés ?
Cette pensée de Terence, qui aurait dû représenter une ligne constamment directrice, est donc battue en brèche, elle qui postulait que rien de ce qui est humain ne devait nous être étranger ?
Ce mouvement dévastateur s'est enclenché sous l'influence de revendications qui au lieu d'être débattues dans un concert pacifique ont eu pour objectif de dresser l'humanité contre elle-même en la replongeant dans l'horrible chaudron de races antagonistes, supérieures ou inférieures. Sans tomber dans le pathos, cette régression fait craindre un pire aujourd'hui encore inimaginable. Comme si le monde lassé d'une normalité même tempétueuse voulait retourner vers des territoires abjects où les êtres étaient essentialisés, les uns sauvés par principe, les autres tués par devoir.
Pourquoi cette terrifiante reculade ?
Parce que des idéologues fanatiques, des militants ayant fermé toutes les fenêtres sur l'univers ont choisi d'aller au plus simpliste, au plus bête : détester l'autre et sa prétendue race pour se poser en modèles, donner des leçons, mettre le feu et se camper en victimes permanentes auxquelles nous aurions des comptes à rendre.
Parce qu'un univers de désordre, de violence et d'injustice est bien plus souhaité, par les indigénistes et les racialistes, que notre monde certes imparfait mais qui a empêché, le moins mal possible, les affrontements mortifères des couleurs entre elles et la haine inexpiable qui en serait la conséquence.
Il faut absolument résister à cette tentative de dislocation d'une unité qui a fait notre civilisation et ne pas nous laisser envahir par une mauvaise conscience au prétexte que notre couleur serait différente de celle, victimaire et au verbe haut, qui nous juge et nous accable.
En réalité, si nous demeurons dans cette splendide philosophie de l'unité du genre humain, nous aurons le droit d'aborder l'infinie diversité des natures et des caractères par la seule approche qui vaille : celle des actes et de leur appréhension singulière ou collective. Non plus les races fantasmées mais les oeuvres. On a le droit de tout penser mais pas celui de tout faire. C'est à partir de cet accomplissement, bon ou mauvais, que la dignité de principe de chacun pourra s'amplifier ou s'effacer.
Le paradoxe d'aujourd'hui est que, la race revenant honteusement par la fenêtre, contre l'universalité du genre humain, après avoir été tragiquement chassée par la porte, on cherche à nous vendre les genres, une confusion qui vise à confondre et à uniformiser ce que la nature avait distingué et singularisé.
L'universel est détruit ici et l'unité bizarrement cherchée là.
Mais rien n'est fatal. Aux Etats-Unis d'où tout part, le meilleur comme le pire, des esprits bien plus progressistes que conservateurs commencent à s'émouvoir des effets catastrophiques de la cancel culture (Marianne).
Il n'est pas trop tard pour renvoyer les nouveaux racistes dans leur coin en laissant Noirs, Blancs, Jaunes, Rouges, Marron ou que sais-je, sous la protection bienfaisante et équitable de l’humain.
PH. Bilger.