14 Mai 2020
Je délaisse volontairement, ce soir, le commentaire de cette bouillie assez insane qu'est la politique nationale (et internationale) en ce milieu de l'année 2020.
Je préfère vous proposer ce lien avec un document de l'UNI présentant un monument de l'architecture militaire en Guadeloupe : le fort Louis Delgrès (autrefois Le Fort St-Charles).
Je le fais suivre d'un article détaillé publié naguère par mon journal Guadeloupe 2000, présentant ce fort, puis d'une série d'articles consacrés à deux personnalités révolutionnaires guadeloupéennes de l'époque : Louis Delgrès et Ignace.
Bonne lecture. (Le Scrutateur).
https://www.ina.fr/video/I08015542/le-fort-saint-charles-de-basse-terre-video.html
Un monument d'histoire d'une Guadeloupe rebelle.
Inaugurant cette nouvelle rubrique par une présentation diachronique du Fort Delgrès, fleuron des sites historiques d'une Guadeloupe à la reconquête de son riche patrimoine, « Guadeloupe 2000 » se propose, ponctuellement et sans prétention d'exhaustivité, de convier ses lecteurs à une redécouverte commentée des monuments préservés -parmi les plus significatifs-de notre Histoire, contribuant ainsi, à sa manière constamment réaffirmée, à revivifier une mémoire collective encore sollicitée de façon trop inconstante et disparate par tous ceux (y compris parmi nos élus locaux) qui semblent soudain de plus en plus soucieux de leur réserver une place de choix au service du développement touristique -et partant économique-dû département.
Sentinelle de pierres brunes ravinées par les outrages d'un passé prestigieux, profilant la lourde majesté de ses remparts sur la falaise qui domine la rivière du Galion, le fort aujourd'hui baptisé Louis DELGRES (en hommage au héros des combats pour la liberté en 1802) avait, dès le XVlIème siècle, reçu le nom de fort Saint-Charles (prénom de son fondateur : Charles HOUEL, Gouverneur de la Guadeloupe d'alors».
Construit vers 1650 et considérablement agrandi aux XVlIème et XVII ème siècles, le fort qui a décidé de l'emplacement de la ville de Basse-Terre -en raison de l'intérêt stratégique de sa situation (« bornée et comme encadrée à l'Ouest par la Rivîère-des-Pères, à l'Est par celle des Galions, au Sud par le rivage de la mer, et au Nord par les hautes montagnes de l'intérieur de l'île»)- était à l'origine la maison particulière de Charles HOUEL; Auguste LACOUR (Histoire de la Guadeloupe, Tome l, 1855) parle ainsi de sa construction : « Houël se fit bâtir une demeure princière, élevée de trois étages, avec des murs d'un mètre d'épaisseur. Cette maison était fortifiée d'un parapet à huit pointes ou éperons, dont quatre correspondaient aux quatre angles et les quatre autres aux quatre faces. On n'y arrivait que par un chemin couvert, donnant passage à deux personnes de front, et au bout duquel on se trouvait pris entre deux feux. Au bas de cette maison ou château, du côté de la mer, était une batterie armée de six pièces de canon. Ce sont ces fortifications imparfaites qui ont fini par être transformées en fort Saint-Charles ». Le Père Du Tertre l'a visité (cf. Histoire générale des Antilles, Tome [, 1667) et le Père Jean-Baptiste Labat y conduit certains travaux de réaménagement (cf. les citernes du fort, construites en 1702-1703) avant son achèvement en 1780.
Des multiples péripéties conflictuelles de son histoire -liées aux incessantes guerres de domination coloniale que se livraient Anglais et Français de l'époque-la meilleure trace chronologique nous est laissée par la valse alternée des dénominations qu'a connues le fort, au gré de ses fortunes militaires diverses.
LES TRIBULATIONS D'UN NOM :
Tour à tour désigné par les chroniqueurs royaux (de 1667 à 1712) sous les appellations incertaines de « fort Houël ou de Saint-Charles »... « Chasteau de la Basse-Terre »... « de Mr. Houël »... ou « de la Guadeloupe »... la dénomination de fort Saint-Charles devient définitive (?!) au milieu du XVIlIème siècle. Les Anglais, qui occupent la Guadeloupe de 1759 à 1763 lui donnent le nom de fort Royal, et, en 1794, de fort Mathilde (sur décision du Prince Edouard, duc de Kent).
C'est un arrêté du gouvernement de la République française signé par le premier consul Bonaparte le 9 Germinal An 11 (30 Mars 1803) sur le rapport du ministre de la guerre Alexandre Berthier qui lui a donné le nom de Fort Richepance.
Lors de l'occupation anglaise de la Guadeloupe, en 1810, le fort reprend son nom britannique de fort Mathilde puis, sous la Restauration, après la restitution de l'île à la France, de fort Saint-Charles.
En 1831, sur la demande du fils du général Richepance transmise par le ministre de la Marine, le fort reprend par décision du gouverneur de la Guadeloupe datée du 27 Juillet 1831, sa dénomination de fort Richepance qu'un siècle et trois décennies plus tard, le Général commandant supérieur inter-armées du groupe Antilles-Guyane va, par décision du 23 Décembre 1960, modifier une nouvelle fois en rétablissant le vieux nom de fort Saint-Charles.
Plus près de nous, enfin, après la cession du fort par l'Etat au Département (les 30 Mai et 9 Juin 1975) -et l'arrêté ministériel du 21 Novembre 1977 classant le fort parmi les monuments historiques- une délibération solennelle du Conseil Général de la Guadeloupe en date du 5 Juillet 1989 attribuait au fort son nom actuel de fort Louis DELGRES. L'assemblée départementale a ainsi tenu, dans le cadre du Bicentenaire de la Révolution française, et un peu plus de 4 ans avant la célébration du 200ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage par la Convention de 1794, à commémorer le souvenir de celui qui, sur les pierres du fort qui porte désormais son nom, devait écrire en lettres de sang une page essentielle de l'histoire de la Guadeloupe.
Louis DELGRES est né a Saint-Pierre de la Martinique, le 2 Août 1766, d'un père blanc et d'une noire martiniquaise.( voir tous les détails dans l'étude du docteur Nègre, publié ci-dessous- Liens-. Sa carrière militaire de jeune mulâtre libre débute à 17 ans, dans la milice des planteurs -tout comme, ironie du destin, celle de son compatriote Pelage (né la même année que lui mais au Lamentin, en Martinique !). L'incontestable autorité, et le courage exemplaire de ces deux purs produits de l'Armée française -ayant rejoint le courant républicain derrière Rochambeau, ils ont combattu contre les Anglais à la Martinique en 1794, ont été faits prisonniers..- puis échangés, ont regagné les renforts pour Victor Hugues en 1795 et combattu en Guadeloupe, à Ste Lucie et St. Vincent- les ont amenés tous deux vers les sommets de la hiérarchie militaire, à la faveur de l'amalgame révolutionnaire et de l'abolition de l'esclavage.
En 1802 (date fatidique décidant de l'opposition de deux destins que tout semblait devoir rapprocher) ils font partie de ces rares Antillais qui exercent des postes de commandement : le colonel Pelage sur la Grande Terre, le Commandant Delgrès sur la Basse-Terre.
6 Mai 1802. Le Général Antoine Richepance, 32 ans, nouveau Gouverneur de la Guadeloupe, débarque avec ses 3500 vétérans des campagnes d'Europe et d'Egypte pour rétablir, avec l'« ordre ancien », une légalité républicaine qui s'apparente déjà à l'arbitraire de l'Empire, et résonne dans les esprits (déjà surchauffés par la vague de révoltes et de répressions qui a accompagné la destitution, puis la fuite, du précédent Gouverneur, le capitaine de vaisseau Lacrosse) comme « rétablissement de l'esclavage » !! Ce dernier devient effectif sur décision de Bonaparte le 20 Floréal An 10 (12 Mai 1802). Respectueux de la raison française d'Etat, Pelage (devenu « par intérim » chef de la colonie avant l'arrivée du nouveau Gouverneur) se range derrière Richepance qui s'emploie aussitôt à désarmer les Noirs du parti révolutionnaire, occuper les places fortes afin de restaurer l'économie de plantation et rétablir l'ordre social qui existait à la fin du règne de Louis XVI. Refusant, pour sa part, le retour à l'esclavage -comme en témoigne sa fameuse proclamation du 10 Mai 1802 « A l'univers entier : le cri de l'innocence et du désespoir »- Louis Delgrès, assisté du fougueux Commandant guadeloupéen Ignace, organise la révolte de ses troupes, retranchées à l'abri du fort. Après 10 jours d'une lutte acharnée mais inégale contre l'armée des assiégeants menée par Pelage, leur sanglante résistance s'achève le 22 Mai à 20 heures (!) avec l'évasion du fort, par la poterne du Galion, de la troupe des ultimes insurgés, conduite par Ignace et Delgrès. Après l'écrasement de l'opération de diversion armée menée sur Pointe-à-Pitre par Ignace (tué à la bataille de Baimbridge le 25 Mai), Delgrès va choisir la mort plutôt que de capituler, en se faisant sauter au Matouba avec 300 de ses compagnons -sur l'habitation Danglemont qu'ils avaient minée- le 28 Mai 1802, fidèles au cri de ralliement qu'ils s'étaient choisi : « Vivre libre ou mourir ». Leur vainqueur, Pelage, chassé par le retour du gouverneur Lacrosse, sera déporté au bagne de Brest (où il croupira 16 mois, avant de réintégrer l'armée pour y trouver la mort en 1810, colonel dans l'armée d'occupation d'Espagne). Le Général Richepance, pour sa part, ne survécut guère à la répression meurtrière orchestrée à Basse-Terre à la suite du sacrifice du Matouba. Il meurt le 3 Septembre 1802, terrassé par la fièvre jaune. Il est enterré au Grand Cavalier du fort qu'il avait reconquis, dès lors rebaptisé fort Richepance. Des multiples sièges subis au long de son histoire, le fort Louis Delgrès a conservé la trace, au regard des modifications successives dont les vestiges nous sont parvenus.
ANATOMIE PHYSIQUE DU FORT:
De nos jours, en effet, en dehors des fortifications extérieures dont la plus grande partie a été vendue par l'Etat au début du XXème siècle, le fort Louis Delgrès se compose de 3 parties : -la partie la plus ancienne (XVIIème siècle), longue et étroite en haut de la falaise du Galion comprenant notamment l'emplacement du château de Charles Houël que les Français firent sauter le 14 Avril 1703 avant d'abandonner le fort aux Anglais (à sa place furent construits des prisons et un cachot), le bastion plat et le Grand Cavalier ou bastion du Galion occupé par le cimetière militaire. -Le bastion de la Basse-Terre édifié en direction de la ville à partir de 1720 constitue la seconde partie (il abrite notamment la grande poudrière, et deux casemates servant de salles d'exposition); elle fut achevée vers 1750. -Enfin, la troisième partie est celle commencée en 1763, lors de la restitution de l'île à la France et terminée peu avant la
Révolution (elle comprend l'entrée principale, les ruines de la grande caserne et des cuisines, le bastion du Génie).
LA LEGENDE RESTITUEE :
Après avoir adopté un important programme de restauration du fort, le Conseil Général de la Guadeloupe a décidé, le 8 Janvier 1979, d'affecter le fort de Basse-Terre au « musée de l'histoire de la Guadeloupe », dans le cadre nouveau d'une organisation des musées départementaux. Ce musée, consacré au passé de l'île et aux arts et traditions populaires, dès l'achèvement de la 1ère tranche des travaux de restauration, a ouvert ses portes au public avec l'inauguration, le 16 Août 1990, par le Président du Conseil Général, des 1ères salles d'exposition rénovées (près de l'entrée principale) : l'une est consacrée à Louis Delgrès (documents d'archives à l'appui), l'autre à l'histoire du fort (*), une troisième regroupant une fascinante exposition photographique (avec maquettes explicatives) -que l'on doit au talent de Mme. Martine Gaumé, à partir des travaux de l'architecte Jack Berthelot- consacrée à l'architecture comparée des maisons des îles de l'archipel antillais. La Grande Caserne, pour sa part, (située à gauche, après l'entrée principale) -dont une partie a été restaurée pour servir de salle de réunion, de lieu de manifestations culturelles- regroupe des expositions rassemblant un grand nombre de portraits des gouverneurs successifs de l'île (émanant des musées nationaux ou de collections privées !) ainsi que plus de cent photographies remarquables de la Guadeloupe prises entre 1890 et 1900, et présentées par leur auteur -identifié comme étant Louis Guesde, plus connu comme archéologue et dessinateur- au pavillon de la Guadeloupe (dont il était le commissaire général) lors de l'Exposition Universelle de Paris en 1900. Elle abrite également un musée du vêtement et du mobilier antillais.
L'ensemble de ces expositions permanentes a été préparé par le personnel de la Direction départementale des Archives (sous l'active impulsion de Mr. Jean-Paul HERVIEU, à qui le présent article doit beaucoup. Qu'il en soit ici remercié).
L'ambitieux travail de restauration (entamé en 1978) de l'un des plus importants monuments historiques de la Guadeloupe est encore loin d'être achevé. La prochaine étape vise la reconquête par le Département des fortifications extérieures du fort (cf. projet de restauration du souterrain qui mène dans les fosses situés autour du fort, et en direction du quartier du Carmel, afin d'ouvrir le fort sur la ville par un chemin piétonnier : difficile dossier social en perspective, les fossés étant occupés par des squatters ou acquis par des particuliers !). Ces abords une fois « réhabilités » deviendront une zone de verdure bienvenue pour les habitants de Basse-Terre et tous les visiteurs de ce monument légendaire, aujourd'hui encore trop méconnu (y compris de la part de nombreux Guadeloupéens), dont l'évidente vocation de pôle d'attraction touristique et culturel, eu égard aux glorieuses étapes de son édifiante histoire, mériterait d'être mieux célébrée par une postérité trop oublieuse de son Passé. (Edouard Boulogne).
J'ajoute à cet article une série d'articles écrit à l'intention du journal Guadeloupe 2000, consacrés à deux personnages, Louis Delgrès et Ignace, (qui furent des acteurs importants de l'histoire de cet épisode tourmenté de l'histoire de la Guadeloupe) par le docteur André Nègre qui consacra une partie de sa retraite à une visite honnête de cette histoire :
I : Louis Delgrès :
1) http://www.lescrutateur.com/article-19454062.html
2) http://www.lescrutateur.com/article-19479876.html
3) http://www.lescrutateur.com/article-19479973.html
4) http://www.lescrutateur.com/article-19499200.html
II) Ignace :
1) http://www.lescrutateur.com/article-31916185.html
2) http://www.lescrutateur.com/article-31955339.html