18 Mai 2020
En France, et aussi dans la plupart des pays occidentaux, les chaînes d'information sont occupées à des débats en continu sur la nature du virus corona, et les mesures plus ou moins efficaces de limitation à sa diffusion.
En revanche l'on constate un silence troublant sur les dessous politiques de ce cette tragédie. Cet article relayé par Radio Canada vient à point pour attirer l'attention sur ces dessous pas très propres (LS) .
Ximena Sampson
Publié à 4 h 03
Plusieurs États réclament une enquête sur le terrain pour avoir une meilleure idée de l’origine exacte du coronavirus et vraiment savoir ce qui s’est passé à Wuhan. Mais la Chine refuse de permettre la venue sur son territoire d’enquêteurs internationaux tant que la pandémie est en cours et dans un contexte de tensions diplomatiques. Elle propose plutôt la création d’une commission afin d’évaluer la réponse mondiale à la COVID-19, sous approbation de l’OMS.
Des questions ont surgi au cours des dernières semaines sur la gestion des dirigeants chinois au début de la pandémie de COVID-19, ainsi que sur la fiabilité de leurs données concernant les taux de mortalité et les niveaux de contagion.
Certains critiquent notamment le fait que le marché d’animaux vivants qui a été identifié comme foyer probable de l’épidémie a été nettoyé et désinfecté avant qu’il n'y ait eu enquête et que le laboratoire de Shanghai qui a partagé le premier séquençage du génome du coronavirus a été fermé par les autorités le 12 janvier, soit le lendemain de cette publication.
Des critiques dénoncent également la répression dont ont fait l’objet les premiers médecins qui ont signalé des cas de pneumonie atypique à Wuhan, y compris la directrice des urgences à l’hôpital central de la ville, Aï Fen, et l’ophtalmologue Li Wenliang, qui est mort ensuite de la COVID-19.
En fait, ce sont au moins huit médecins qui ont été arrêtés en janvier, accusés de « diffusion de fausses informations » et réprimandés par leurs supérieurs ou par des agents de la ville parce qu’ils avaient sonné l’alerte sur l'apparition d'un nouveau virus proche du SRAS. La Cour suprême les a ensuite réhabilités.
Il y a un certain nombre de zones d’ombre qui persistent sur la date à laquelle [les dirigeants chinois] ont eu connaissance de la transmission interhumaine, sur l’origine du virus et encore d’autres questions qui restent sans réponses et pour lesquelles la Chine ne fournit l’accès ni aux données ni aux sites pour qu’il y ait des enquêtes indépendantes, souligne Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI), à Paris.
Forcément ça laisse cours à toutes les hypothèses, voire toutes les théories, y compris complotistes.
Marc Julienne, chercheur à l’IFRI
Connaître l'origine du coronavirus serait essentiel pour comprendre comment il a pu contaminer des millions de personnes en quelques mois.
Selon une étude de l’Université de Southampton publiée en mars, si la Chine avait mis en place une semaine plus tôt des mesures telles que l’isolement des personnes déclarées positives au coronavirus et les restrictions de déplacement, le nombre de cas aurait diminué de 66 %. Intervenir trois semaines plus tôt les aurait réduits de 95 %. Inversement, si elle avait tardé une, deux ou trois semaines de plus à mettre en oeuvre ces mesures, les cas auraient été multipliés par 3, 7 ou 18, respectivement.
C’est une habitude du Parti communiste de montrer qu’il est en contrôle de la situation, affirme André Laliberté, professeur à l’École d'études politiques à l’Université d’Ottawa. Il va donc essayer de taire toute information qui peut sembler accréditer que ce n’est pas le cas ».
Dès le début de la crise, il y a eu une volonté de contenir l’information, croit également Marc Julienne. Les dirigeants locaux et les directeurs d'hôpitaux auraient tardé à transmettre les renseignements dont ils disposaient au pouvoir central à Pékin, qui, à son tour, aurait tenté de retarder la déclaration de pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette déclaration a finalement eu lieu le 11 mars, alors que le coronavirus était bien présent dans plusieurs pays dès la fin janvier.
Le pouvoir central a tout fait pour retarder le moment où la Chine allait se trouver sous les feux des projecteurs internationaux et allait être scrutée sur la manière dont elle a géré cette épidémie.
Marc Julienne, chercheur à l’IFRI
À l’interne, après une certaine ouverture au tout début de la pandémie, la censure a vite repris le dessus. Les internautes diffusant des informations sur le coronavirus ont été muselés en plus d’être menacés de détention ou de mesures disciplinaires. Des dizaines de comptes ont été bloqués sur les réseaux sociaux.
Comment les Chinois réagissent-ils? Quels sont leurs peurs et leurs questionnements face à la pandémie? De tout cela, on ne sait rien, déplore Nadège Rolland, chercheuse sur les questions politiques et de sécurité en Asie-Pacifique au National Bureau of Asian Research, à Washington. Dans nos sociétés, on peut s’exprimer ouvertement, dire : le gouvernement ne fait pas assez ceci ou cela. Il y a des associations qui peuvent se créer pour parer aux déficiences de nos dirigeants, mais en Chine, ce n’est pas possible.
Au contraire, la crise semble avoir accéléré le désir des autorités de contrôler la liberté d’expression, affirme Mme Rolland.
Des citoyens chinois qui rapportaient ce qu’ils avaient observé dans les hôpitaux à Wuhan ont été arrêtés et n’ont pas été revus, tandis que les correspondants du Wall Street Journal, du New York Times et du Washington Post ont été expulsés du pays.
Le parti dirigeant est tétanisé à l’idée qu'[une certaine liberté d’expression] pourrait créer des remous qui se retournent contre lui
Il est encore trop tôt pour connaître les conséquences qu’aura la pandémie sur la stabilité du régime à Pékin, croit Marc Julienne, mais il est clair qu’elle entraînera des réactions en chaîne.
Si les usines chinoises ont pu reprendre leurs activités, l’économie est encore en pause ailleurs sur la planète. La demande mondiale s’est écroulée, précise le chercheur. Sans commandes, les usines chinoises tournent au ralenti et des millions d’ouvriers pourraient perdre leur emploi, ce qui provoquerait une chute de la consommation interne.
Cela peut créer un appauvrissement d’une partie de la société, causant de l'instabilité sociale, de la contestation et des revendications, pense M. Julienne.
La pandémie s’ajoute à une série de problèmes récents, dont le ralentissement économique, les tensions à Hong Kong et la guerre commerciale avec les États-Unis.
La crise sanitaire est déjà derrière, c’est du passé, en revanche, la crise économique est toujours là et elle va continuer dans les mois à venir.
Marc Julienne, chercheur à l’IFRI
En parallèle, sur la scène mondiale, la Chine profite de la pandémie pour se présenter comme l’égale des grandes puissances occidentales et même leur faire la leçon, souligne Marc Julienne.
Le discours officiel chinois en ce moment, c’est que non seulement la Chine a parfaitement bien géré l’épidémie sur son territoire, en plus elle s’est relevée et s’est portée au chevet des puissances dans le besoin avec ce qu’on a appelé la “diplomatie du masque”, précise le chercheur.
Cependant, il faut savoir que le don de fournitures médicales dont la Chine a fait grand cas est d'une valeur bien inférieure aux achats d’équipements qu’ont faits ces mêmes pays à la Chine. Entre le 1er mars et le 4 avril, la Chine a exporté pour plus de deux milliards de dollars d’équipement vers plus d’une cinquantaine de pays. Comparés aux achats des pays européens, les dons, c’est quelque chose d’assez mince, conclut M. Julienne.
Le récit narratif chinois fonctionne cependant à merveille, affirme le chercheur, et qui plus est, le régime de Pékin se pose maintenant en victime, insinuant que les puissances occidentales sont les responsables ultimes de la pandémie, puisqu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires à temps, même si elles avaient toutes les informations en main.
Plus on martèle ce discours, plus il sera difficile à contredire, croit M. Julienne.
Et c’est un peu ce que font les diplomates chinois à travers le monde qui, depuis plusieurs semaines, se montrent particulièrement offensifs, voire virulents, n’hésitant pas à prendre la parole de façon agressive, tant en France qu’en Allemagne ou en Australie, pour pourfendre ceux qui osent s’attaquer à l’Empire du Milieu ou lui demander des comptes.
Dans une affaire qui a fait grand bruit, l’ambassadeur chinois en France, Lu Shaye, a notamment été convoqué par le ministre français des Affaires étrangères après avoir mis en ligne sur le site de l’ambassade un texte critiquant la réponse des Occidentaux à la pandémie.
En Allemagne, l’ambassade chinoise a réagi avec colère après la publication d’un article dans le quotidien Der Bild qui présentait à la Chine une facture de 149 milliards d’euros pour les coûts du coronavirus. L’ambassade a accusé le journal de racisme et de xénophobie.
C’est ce qu’on appelle la diplomatie du « loup combattant », du nom d’une superproduction chinoise fortement teintée de nationalisme, explique Nadège Rolland, pour qui ces éclats représentent une démonstration de faiblesse plutôt que de force. Le parti dirigeant se sent sous attaque et, du coup, sa façon de se défendre est de contre-attaquer, d'être plus offensif, croit Mme Rolland. Fondamentalement, c'est cette peur de devoir se confronter à ses responsabilités.
La défense douce n’est plus suffisante pour essayer de détourner l’attention du péché originel de Wuhan.
Nadège Rolland, chercheuse au National Bureau of Asian Research.
Pour André Laliberté, ces sorties diplomatiques témoignent justement du fait que la Chine n’a pas encore atteint le statut dont elle rêve. C’est une crise d’adolescence, illustre-t-il. Une puissance plus mature dirait : ce n'est pas la bonne façon de faire, il faut séduire, il faut convaincre, utiliser le charme, la persuasion. Mais la Chine n’est pas là du tout.
Son audience, c’est avant tout son opinion publique interne, croit Marc Julienne, à qui elle veut montrer que la Chine ne se laisse pas marcher sur les pieds et qu’elle défend ses intérêts de manière ferme, voire virulente, à travers le monde.
Mis à part les États-Unis qui, en guerre commerciale avec la Chine, émettent ouvertement des doutes sur les origines du virus, les puissances occidentales se sont montrées, jusqu’à maintenant, extrêmement complaisantes, déplore André Laliberté. Elles n’ont pas voulu se montrer trop critiques envers la Chine, elles ont voulu lui faire confiance et ont préféré croire les autorités chinoises quand elles disaient que c’était une épidémie localisée, que ce n’était pas grave.
On a quand même vu récemment des hauts dirigeants prendre position pour exiger plus de transparence de la Chine, rappelle Marc Julienne. Ainsi, le président français, Emmanuel Macron, déclarait en avril dans une entrevue au Financial Times qu'il y a manifestement des choses qui se sont passées qu'on ne sait pas, tandis que le ministre britannique des Affaires étrangères, Dominic Raab, soutenait que nous devrons poser les questions difficiles concernant l’apparition du virus et pourquoi il n’a pas pu être stoppé plus tôt.
Mais le gros problème, sujet tabou, demeure notre dépendance économique envers la Chine, souligne André Laliberté. C’est inacceptable, affirme-t-il. On est exposés au chantage chinois et nos gouvernements n’osent pas protester parce que ça peut nuire à nos relations commerciales.
Le calcul des pays liés à la Chine, c’est qu’il ne faut pas mettre Pékin en colère, parce que le régime chinois a démontré sa capacité à utiliser ses leviers économiques pour forcer certaines décisions, confirme Nadège Rolland.
La Chine exerce cette capacité de coercition en décrétant des embargos ou en boycottant certains produits. Ainsi, après que l’Australie s'est jointe aux États-Unis pour réclamer l’ouverture d’une enquête sur la gestion chinoise de la pandémie, l’ambassadeur chinois a averti Canberra que cette demande d'enquête indépendante était « dangereuse » et que les consommateurs chinois pourraient ne plus vouloir acheter de boeuf australien. Le 12 mai, les menaces sont devenues réalité puisque la Chine a suspendu les importations de bœuf en provenance de quatre grands fournisseurs australiens.
Un exemple qui rappelle la suspension des importations de boeuf et de porc canadiens, en juin 2019, dans la foulée de la détention au Canada de la directrice financière du géant Huawei, Meng Wanzhou.
La Chine affirme sa puissance à travers son économie et l’accès à son marché intérieur. Les leviers énormes dont elle dispose limitent la marge de manoeuvre de bien des pays.
Nadège Rolland, chercheuse au National Bureau of Asian Research.
Dans le contexte actuel, personne ne souhaite se mettre les Chinois à dos, puisque tout le monde a besoin de la Chine, qui est le plus grand producteur de matériel médical et de masques, rappelle Marc Julienne.
Cependant, pense-t-il, la pandémie servira peut-être à provoquer une prise de conscience et la perte d’une certaine « naïveté », une réalité qui commence déjà à être visible dans les déclarations de certains dirigeants occidentaux. L'ambassadeur du Canada en Chine, Dominic Barton, aurait récemment déclaré lors d'une rencontre du Conseil international du Canada que la Chine se met à dos les autres pays par son comportement, sapant ainsi son influence internationale, selon le Globe and Mail. Ces propos risquent de devenir de plus en plus courants, pensent les chercheurs.
Il y a vraiment un sentiment qu’à un moment donné, il faut poser des limites à la coopération avec la Chine, à cause de son manque de transparence et de réciprocité.
Marc Julienne, chercheur à l’IFRI