La mort d'une grande Guadeloupéenne Elzea Aventurin, par Jacky Dahomay.

Je m'associe aux propos de mon collègue Jacky Dahomay concernant madame Elzea Aventurin, qui vient de rejoindre Socrate aux Champs Elysées. Dès les années 70 en effet j'avais eu contact avec les époux Aventurin, et bien plus tard pour des raisons professionnelles avec l'inspectrice de philosophie qu'elle était devenue. (Le Scrutateur).

Communiqué de M. Jacky Dahomay.

En tant qu'ancien président de l'Association des professeurs de philosophie de la Guadeloupe, j'ai le regret de vous faire part du décès de Madame Elzéa Aventurain, à l'âge de 91 ans.

C'est une grande dame qui nous a quittés, une guadeloupéenne originaire de Morne-à-l'Eau, de la famille Foule.

A notre connaissance, ce fut la première guadeloupéenne a avoir été admise à l'agrégation de philosophie  en  1958. Elle a ensuite préparé une thèse de doctorat sous la direction des professeurs Suzanne Bachelard et Roger Martin sur le thème: "Place et signification de la croyance dans la philosophie de Bertrand Russell"

L'essentiel de sa carrière s'est déroulée en Afrique, au Sénégal en particulier. Elle occupa à l'université de Dakar différentes fonctions universitaires, aussi bien comme enseignante que comme formatrice. Elle fut chargée aussi de fonction d'inspection générale de l'éducation nationale au Sénégal.

A la fin de sa carière, elle fut nommée inspectrice de philosophie à Toulouse et elle desservait aussi les Antilles et la Guyane. C'est ainsi que je l'ai connue.

Je n'oublierai jamais la première fois que je l'ai vue. A l'approche de la quarantaine, j'avais décidé de passer le Capes de philosophie. Concours difficile car à cette  époque il n'existait pas de concours interne. Comme tous les militants de l'AGEG qui se destinaient à l'enseignement, nous refusions de passer ce concours car en raison de l'Ordonnance 60, nous étions sûrs de n'être pas nommés en Guadeloupe mais en métropole. Précisons à ce propos que cette ordonnance 60, véritable loi d'exception d'une France se disant républicaine mais pratiquant les exceptions coloniales, permettait aux Préfets d'exclure de la Guadeloupe tout fonctionnaire dont les idées ne plaisaient pas au pouvoir. Ce fut le cas pour Yvon Leborgne, ce réputé professeur de philosophie et de bien d'autres. Je me souviens que rentrant en 1967 en Guadeloupe pour les vacances, la  police avait saisi à l'aéroport certains de mes livres jugés subversifs dont la "Phénoménologie de l'esprit" de Hegel. C'est François Mitterand qui a aboli cette fameuse ordonnance 60.

Je fus donc admis au Capes de philosophie mais il fallait l'année d'après subir en classe une inspection définitive.

J'attendais donc dans ma classe la venue d'un inspecteur venu de la France métropolitaine quand je vis arriver dans ma classe cette guadeloupéenne. La première chose qu'elle me dit "Fermez la fenêtre, avec le courant d'air vous pouvez attrapez un chaud et froid". Je croyais entendre ma mère ! Je fus donc nommé professeur certifié mais tout de suite après Elzéa me dit "maintenant il faut préparer l'agreg". Cela me paraissait impossible. Un ami, Jacques André, psychanalyste et agrégé de philosophie me dit "Tu veux préparer l'agreg. "C'est trois ans le cul assis sur une chaise !" Ce que je fis. J'avais des escarres en des endroits peu agréables et la nuit je rêvais de Kant et

de Hegel. Elzéa me dit "Une heure avant d'aller dormir, tu lis des romans policiers pour te vider l'esprit". J'écoutais ses conseils et je n'ai jamais lu autant de romans policiers de ma vie. Chaque fois que j'aperçois un roman policier dans ma bibliothèque, je pense à Elzéa. Je lui dois beaucoup pour mon succès à l'Agreg.

Nous avions créé l'Association des professeurs de philosophie de la Guadeloupe et j'en fus nommé le président. Nous eûmes l'idée d'organiser un grand colloque international de philosophie sur le thème "La révolution française et les Caraïbes" pour la fin de l'année 1989. Mais le  passage ravageur du cyclone Hugo nous poussait à l'annuler car beaucoup d'entre nous avions connu de nombreux dégats. Elzéa me dit "Nous sommes un pays de cyclones et ce n'est pour cela qu'il faut abandonner". Ce colloque connut un véritable succès.

Mais si je connus Elzéa dans un cadre professionnel, ce qui fut sans doute surprenant, c'est que ma famille l'admit pratiquement comme membre. Dans de nombreuses rencontres familiales que nous organisions à Les Mangles, Elzéa était présente. Mes soeurs et frères la considéraient comme une parente et sa fille Evelyne était l'amie de mes frères.

Elzéa Aventurain était peu connue du grand public mais je peux témoigner que ce fut une grande dame, issue d'un milieu très modeste et qui pourtant fit de brillantes études. Elle me donnait beaucoup de conseils concernant les choses de la vie et la philosophie chez elle était étroitement liée à une grande expérience personnelle.

Elzéa va beaucoup nous manquer et mes pensées en ce moment vont à ses enfants Evelyne et Christian, ce dernier amoureux du tango et qui fréquente notre salle.

Le corps sera exposé jeudi à 8 heues chez Dédé Debranches avec une cérémonie et à 10h elle sera inhumée au cimetière de Morne-à-l'Eau.

 JD