19 Février 2020
L'ancien magistrat Philippe Bilger est connu de nos lecteurs. Et c'est un honnête homme au sens du XVII ème siècle. L'analyse qu'il propose d'une affaire qui fait grand bruit est libre et lumineuse. Les passages soulignés l'ont été par moi. (LS).
18 février 2020
(https://www.philippebilger.com/blog/2020/02/un-pavlenski-sinon-rien-.html )
Les jeux de la vidéo et de la politique.
Alors que la politique migratoire ne brille pas par sa cohérence et sa fermeté et s’accommode d’une mauvaise exécution chronique de ses décisions, heureusement depuis quelques jours nous avons trouvé un parfait bouc émissaire qui en plus a tout pour déplaire.
Piotr Pavlenski est survenu à point nommé pour permettre une sévérité ponctuelle, une rigueur personnalisée avec de surcroît l’aura sulfureuse russe qui est exploitée par le président de la République heureux d’avoir ce filon qui détourne les Français de l’essentiel.
Parce que, pour ennoblir cette séquence indécente impliquant un favori du pouvoir, il ne fallait rien de moins que nous faire croire que Poutine, naturellement obsédé par Benjamin Griveaux, avait tiré les ficelles de cette sexualité exhibée puis diffusée !
Il y aurait eu « derrière la chute de Benjamin Griveaux, un trio sans foi ni loi » (Le Monde). C’est possible.
Mais ce ne serait jamais qu’un trio dont le protagoniste Pavlenski ne menacerait en rien les intérêts français, la qualité de notre vie collective. On a pourtant eu l'impression inverse, à voir les gardes à vue décidées pour des violences en décembre 2019, opportunément accouplées à l'enquête à la suite de la plainte de Benjamin Griveaux. On en a encore plus le sentiment quand Pavlenski et sa compagne ont été déférés au Parquet de Paris avec une information ouverte et mises en examen, notamment pour atteinte à l'intimité de la vie privée, avec placement sous contrôle judiciaire le 18 février (Morandini), une instruction distincte concernant le seul Pavlenski pour violences.
Il est difficile de comparer cet épisode, aussi nauséabond qu’on le qualifie, avec la multitude des reconduites à la frontière qui ne sont pas et ne seront jamais effectives, avec l’infinité de ces demandeurs d’asile demeurant dans notre pays alors qu’ils ont été déboutés.
La France est ainsi faite que dans beaucoup de secteurs elle est impitoyable pour le particulier mais laxiste pour le général, dure au détail mais molle en gros.
En effet que n’a-t-on pas entendu sur Piotr Pavlenski de la part de certains députés de la REM ! Il fallait expulser cet inconvenant personnage, le renvoyer dans une Russie d’où il n’aurait jamais dû sortir (Le Figaro).
L’autorité s’est manifestée alors dans tout son éclat avec des Matamore ponctuels mais l’Etat s’en dispense fort bien tout au long d’une politique qui s’illustre plus par des engagements que par des concrétisations.
C’est une habitude apparemment puisque sur l’islam, le séparatisme et la radicalisation, on nous fait plus languir qu’on ne nous rassure par des actions. Y aura-t-il un verbe fort et clair, un miracle à Mulhouse ? On attend.
Le propre de ce pouvoir confronté au réel est de faire fond sur le virtuel en espérant ainsi offrir une poire pour notre soif démocratique ; mais ce processus systématiquement dilatoire a trop servi : il s’use. Les promesses dorénavant sont perçues comme engageant le pouvoir qui les a formulées, mais qui se garde bien de les incarner.
Pour expliquer l’étrange différence d’appréhension entre les transgresseurs conjoncturels et les problématiques capitales pour notre pays, on est bien obligé de considérer que Pavlenski se voit incriminé – un Français sur deux ne trouve pas anormal que la vidéo sexuelle ait été diffusée ! – comme s'il avait offensé la France, ce qui est absurde sauf à estimer que l’atteinte à Benjamin Griveaux relevait de l’intérêt supérieur de la nation.
Pourquoi a-t-on si vigoureusement pourfendu Pavlenski si ce n’est à cause de l’intolérable lèse-pouvoir qu’il a commis et du bouleversement qu’il a opéré dans une stratégie municipale qui battait déjà de l’aile ?
Il y a quelque chose de malsain dans cette indifférence au sort de notre pays, avec une politique migratoire aboulique, et cette focalisation frénétique sur un individu qui n’a pas ma sympathie mais qu’on ne parviendra pas à faire passer pour un dangereux subversif à éliminer à tout prix. Il y a de plus en plus d’événements en France – le dernier étant la désignation de la girouette ministérielle Agnès Buzyn en remplacement de Benjamin Griveaux - qui non seulement rendent ridicule ou cynique la promesse d’un nouveau monde en 2017 mais constituent davantage encore l’ancien comme caricatural et saumâtre.
Ainsi ce serait un Piotr Pavlenski sinon rien !
Pour moi, je m’en excuse, la France d’abord.
(Ce texte, que j'ai actualisé, a été publié initialement à 15 heures 55, le 17 février, sur le Figaro Vox.
Philippe Bilger.