29 Février 2020
De Griveaux en Polanski :
César 2020: une récompense pour Roman Polanski serait un « symbole mauvais », selon Franck Riester - ministre de la Culture, paraît-il. Bref ! Au plus haut sommet de la culture officielle, la théorie du genre ne peut mener qu’à la confusion des genres. Hé oui ! Il y a la culture officielle - qui procède de la dictée - et la culture tout court qui procède de l’infusion de l’intelligence, laquelle fait ce qu’elle peut, et du temps.
Le problème n’est pas simple. « On » nous explique que les petites griveautés du candidat officiel du Président de la République à la mairie de Paris relèvent de la vie privée et n’ont rien à voir avec son art et ses œuvres dont chacun sait qu’elles sont entièrement dédiées au bien commun. S’essayer à avoir un avis différent serait s’exposer à l’accusation hautement... culturelle... d’obscurantisme. Ce serait s’enfermer dans un moralisme carrément asocial et même acitoyen, pour anticiper sur le vocabulaire de demain.
En gros, il ne faut pas tout mélanger. Sur le registre des valeurs familiales, de la fidélité et des bonnes mœurs dont on a fait son cheval de bataille dans cette de guerre de Troie qu’est la conquête de l’espace municipal parisien, on peut très bien être un virtuose et - ma main droite ignorant ce que fait ma main gauche, comme dirait l’oncle Eusèbe - avoir de réelles ambitions artistiques, sachant qu’il y a longtemps que l’art et le sacré ne font plus route ensemble. Dans le domaine de l’image, tout est permis. L’important, c’est d’apprivoiser, de séduire, de conquérir. En d’autres mots de cosmonautiser l’éther de la création dans toute l’apesanteur de l’indiscipline comme l’exigent les canons de la discipline.
Si tel ou tel artiste choisit d’illustrer le thème de la galanterie dont l’amour courtois fut l’une des grandes pages dans l’histoire de la culture par une interprétation très personnelle du célèbre adage « Dites-le avec des fleurs », c’est après tout une simple affaire de sensibilité artistique. La sève artistique n’est-elle pas celle qui invite l’artiste à rendre son jus ? Le reste, n’est qu’une affaire d’appréciation, teintée, il est vrai d’académisme. Toujours ce besoin de tout formater qui est à l’origine, parfois, de ce que l’on appelle totalitarisme même si le totalitarisme en question n’a pratiquement aucun rapport avec le fameux principe de totalité aussi cher à Aristote qu’à Saint Thomas... d’Aquin.
Ainsi, quand il s’agit de M. Griveaux et de ses penchants, c’est un peu comme la tour de Pise. Le fil à plomb n’a rien à voir avec l’affaire. Toute la palabre politico-médiatique se mobilise autour de la bienséance et la séance est levée sur l’air du circulez il n’y a rien à voir, parce que la vie privée de l’intéressant n’a précisément rien à voir avec son engagement personnel et ce qui concerne l’objet du débat.
Mais quand il s’agit de M. Polanski, dont - à l’inverse de M. Griveaux - le ou les présumés corpus delicti (en dehors d’une histoire vieille d’au moins 40 ans aux États-Unis et dont M. Polanski ne nie pas la réalité) n’est ou ne sont assortis d’aucun commencement de preuve en tous cas palpable, si l’on peut dire. Or il s’agit chaque fois de vieilles histoires dont la réalité n’est ni attestée ni attestable. Alors, pourquoi l’intelligentsia médiapotente ne reserve-t-elle pas à M. Polanski le même traitement qu’à M. Griveaux ? Et pourquoi a-t-elle tant laissé monter autour de M. Polanski une hostilité qu’elle s’est affairée à étouffer quand il s’est agi de M. Griveaux ?
Quant à ce qu’en dit le ministre de la Présumée culture, il y a de la bipolarité dans un propos qui illustre parfaitement le célèbre Et en même temps qui fait si bien les affaires de l’actuel Président de la République. D’un côté récompenser une œuvre que tout le monde salue comme un chef d’œuvre serait... un symbole mauvais et de l’autre il serait mauvais de pénaliser une équipe. Quand au film, point n’en est question. Comme d’habitude, la tolérance il y a des maisons pour ça et, la pour la concentration, des camps, sans doute. En tout cas on se disperse sans le moindre ajustement du discours au sujet... du film.
Autrement dit, pas d’amalgame. Cependant lorsqu’il s’agit d’une œuvre et du sort qui lui est réservé par les donneurs de bons points, il n’est question, comme dirait Francois-le-Fécal au cimetière de Nevers, que de l’honneur d’un homme livré aux chiens histoire d’empêcher la caravane de passer.
L’ennui avec M. Polanski, c’est qu’il déjoue toutes les partitions convenues à propos de l’art et des désordres de l’artiste (en général). D’une société qui a tout toléré, tout encouragé, tout prescrit, voici que les mêmes versent dans la contradiction sélective en choisissant leurs cibles selon la manière dont la « ferveur » populaire aura été entretenue. De cette mécanique citoyenne, Louis XVI, Marie-Antoinette, la princesse de Lambale ont fait les frais dès lors qu’il s’est agi d’exciter les gueux et les sots qui, d’un même appétit ont toujours réclamé leur part de sang chaque fois qu’il eut été question d’ambiance.
À propos de ces vieilles histoires, vraies ou fausses, qui prétendent remonter de la vase du temps, comme il est dommage que soient prise à témoin une opinion publique qui n’a aucune prise sur la réalité des choses. Il eût mieux valu que le rôti soit sorti du four à l’heure d’être servi, faute de quoi on a envie de dire comme autrefois à l’église : « si quelqu’un sait quelque raison d’empêcher ce mariage, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais ». Car c’est bien d’un mariage dont il est question ici : le mariage du sensible et de l’intelligible. Autrement dit, celui d’une perception et d’une réalité.
Évidemment, au cas où M. Polanski aurait des pulsions inavouables, il serait toujours possible de lui prescrire d’imiter M. Griveaux. Histoire de réconcilier vie privée et 7e art, tout en considérant qu’il est toujours envisageable - c’est même l’option la plus communément admise du côté de l’Académie - de dissocier ces deux occupations, à tout le moins ces deux champs de réalisation personnelle. Autrement dit, s’il y a un temps pour la vie privée et un temps pour la caméra, le temps des César est celui de la caméra. Ou alors l’Académie doit revoir tout son discours, d’habitude plus positiviste que moralinomoraliste. Il est vrai que le propre du positivisme, c’est qu’il est évolutionniste. Mais, comme dirait l’oncle Eusèbe, pour ce qui est de l’évolution, j’ai des doutes.