2 Novembre 2019
En Guadeloupe le traitement des affaires judiciaires est plus compliqué qu'en métropole. Le procureur de Pointe-à-Pitre, Xavier Bonhomme, en instance de départ, explique pourquoi dans France-Antilles de ce jour. Pour beaucoup de gens qui ne lisent pas ce quotidien la lecture des propos du Procureur est peut-être utile.
« Le lien social s'est bien souvent rompu entre élus et citoyens »
Au terme d'un peu plus de 4 années passées à la tête du parquet de Pointe-à-Pitre, Xavier Bonhomme quittera la Guadeloupe en fin de semaine prochaine pour succéder à Jean-Michel Prêtre et devenir le nouveau procureur de Nice. Avant ce départ pour le Sud-Est de la France, le magistrat a accepté de revenir sur sa vision de la justice, la multiplication des procès mettant en cause des élus ou encore sur le sens de peines pas toujours comprises du grand public.
Être procureur en Outre-mer, est-ce plus difficile que de diriger un parquet installé dans l'Hexagone ?
C'est différent. En premier lieu parce que nous sommes sur une île. Certes, il en existe d'autres. Et qui sont plus proches du continent. Je pense notamment à la Corse, où j'étais précédemment en poste, mais où les modes de fonctionnement et les caractéristiques étaient un peu similaires à la Guadeloupe. Notamment dans le traitement des dossiers et la façon de voir les choses. L'insularité peut créer des situations totalement différentes par rapport à notre exercice en Métropole, sur un territoire beaucoup plus large. Après, la Guadeloupe, c'est aussi différent parce qu'il y a une histoire particulière qu'il est impossible d'occulter. Et beaucoup de choses nous ramènent à ça.
Autre caractéristique : c'est que cette île est marquée par beaucoup de violences, même si de gros progrès ont été faits en 4 ans. Les services de police, de gendarmerie et de justice obtiennent, me semble-t-il, de bons résultats. Même s'il n'est pas dans mon propos de crier victoire, lorsque je suis arrivé, nous avions à déplorer pratiquement 50 homicides par an. Aujourd'hui, nous sommes plutôt autour de la quinzaine. C'est encore bien trop, mais cela montre le chemin qui a été parcouru.
Il s'agit peut-être du hasard du calendrier judiciaire, mais ces derniers mois, les procès mettant en cause des élus locaux ont tendance à se télescoper. Ces affaires de détournements de fonds et de manque de probité sont-elles devenues la priorité des priorités pour les parquets ?
Tout cela est le résultat d'une volonté qui s'est manifestée voici quelques années. Dans ces dossiers, les résultats ne peuvent que se concrétiser plusieurs mois ou plusieurs années après. Tout simplement parce qu'il faut mettre en place des process. Déjà pour que l'information arrive à la justice. Ça, c'est le travail de renseignement. Il faut également impulser un travail de concertation avec les autres juridictions, notamment de l'ordre administratif, la Chambre régionale des comptes ainsi que toutes les administrations intervenant dans ce domaine, comme la DGFIP.
Je glisse que nous avons aussi mis en place, avec le préfet, des relations multi-latérales et régulières de travail ainsi que d'échanges d'informations. Tout cela permet effectivement de monter des dossiers. En la matière, je ne dirai pas que la Guadeloupe se distingue. En tout cas, il y a certains faits qui sont éligibles pour se retrouver devant un tribunal correctionnel. Tous ces dossiers de probité auxquels vous faites allusion doivent véritablement constituer une priorité pour un procureur dont le rôle est de préserver l'ordre public. N'oublions pas que l'ordre public, ce n'est pas seulement les violences dans la rue. Il y a aussi l'ordre public économique. Et ça, c'est important de le préserver car ça permet de maintenir le lien social. Je constate que bien souvent, ce lien est rompu entre les élus et les citoyens parce que, à tort ou à raison, trop de personnes se trouvant à des postes à responsabilité s'affranchissent des règles qu'ils devraient normalement respecter.
Malgré tout, certains de nos concitoyens ont le sentiment qu'il existe une justice à deux vitesses. Avec d'un côté des élus échappant bien souvent à l'incarcération et, de l'autre, le reste de la population qui peut finir derrière les barreaux pour un vol ou un cambriolage. Comprenez-vous ce sentiment ?
Ce n'est pas le cas. Il n'existe pas de justice à deux vitesses. Mais je peux comprendre que certains de nos concitoyens aient cette vision. Il faut tout d'abord savoir qu'une enquête en matière économique et financière ne se traite pas de la même façon et avec la même rapidité qu'une enquête concernant un vol ou un cambriolage. C'est une évidence. Nous ne sommes pas dans le même temps judiciaire, parce que la complexité de ces enquêtes n'est pas du tout la même. Ensuite, en matière économique et financière, la nécessité de ramener des preuves qui sont systématiquement combattues exige un travail de fond très important. Cela explique la lenteur de ce type d'investigations.
Et sur la sévérité des sanctions ?
Je n'ai pas le sentiment que la justice soit plus laxiste lorsqu'elle est en mesure d'évoquer un dossier de nature financière que dans le domaine du droit pénal commun. Mais nécessairement, quand vous jugez un dossier financier plusieurs années après la commission des faits, je ne dirais pas que la répression se délite. Néanmoins, nous avons toujours à l'esprit que c'est quelque chose qui s'est passé il y a longtemps.
À titre personnel, c'est quelque chose que j'essaie de combattre parce que si le dossier a mis du temps avant d'être jugé, c'est justement en raison d'investigations longues et complexes. Et aussi parce que les mis en cause, très bien conseillés, ont usé de toutes les voies de recours possibles. C'est le jeu et c'est le respect de la procédure.
En revanche, ce qui est un peu gênant dans ce domaine, c'est que les moyens manquent. Pas sur un plan judiciaire, parce qu'au tribunal, nous sommes en capacité de traiter les dossiers et de les juger. Mais en termes d'effectifs d'enquête. En Guadeloupe, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie, nous avons à peine dix enquêteurs spécialisés. Cela exige de déterminer des priorités et non pas de faire des cibles, comme je l'ai entendu récemment. En fait, l'idée est de définir des axes d'enquête dès le début et de s'y tenir en suivant le dossier. Dans le cas contraire, ce type de dossier financier va prendre 10 ou 15 ans, ce qui n'est pas l'objectif. Il faut donc parfois rester modeste et prendre ce type d'affaires par le petit bout de la lorgnette pour être certain de pouvoir les renvoyer devant un tribunal correctionnel.
La politique, en matière de délinquance financière, est donc de se concentrer sur des délits pouvant rapidement être jugés plutôt que de multiplier les angles d'attaque sur un même dossier ?
Mieux vaut effectivement se concentrer sur la face émergée de l'iceberg et sur les faits susceptibles de tenir le mieux. En matière économique et financière, le but est d'être efficace. Il s'agit d'une pratique nationale, qui n'est pas propre à la Guadeloupe. J'ai dirigé la section économique et financière du parquet de Marseille de 2004 à 2009, avec des moyens qui étaient autrement plus conséquents, et c'était déjà comme ça que nous traitions ce type de dossiers. Sinon, nous ne les jugerions jamais. L'objectif est de s'intéresser aux flux financiers les plus visibles et les plus caractéristiques afin de constituer une infraction.