ENTRETIEN - Un demandeur d’asile afghan a tué un jeune homme et blessé
plusieurs personnes à Villeurbanne. Les agressions contre des inconnus
se banalisent, s’inquiète Thibault de Montbrial, président du Centre
de réflexion sur la sécurité intérieure.
Thibault de Montbrial. - Crédits photo : Fabien Clairefond
LE FIGARO.- Ce week-end à Villeurbanne, un Afghan demandeur d’asile a
tué un jeune homme et blessé plusieurs autres personnes, d’après
l’enquête en cours. Que vous inspire cet acte?
Thibault DE MONTBRIAL. - Après chaque agression de ce type, la seule
question soulevée est de savoir si celle-ci peut être qualifiée de
«terroriste» par la justice. Dans le cas contraire, la plupart des
observateurs paraissent soulagés et rangent l’acte dans la catégorie
des faits divers imputables à des déséquilibrés. Or, ce genre
d’agressions est tout sauf un banal fait divers, si l’on entend par là
un fait isolé dont on ne peut tirer aucune analyse. Depuis environ
cinq ans, les attaques contre des inconnus - à l’arme blanche, à
l’arme à feu ou à la voiture bélier — se banalisent. Il y en a eu
beaucoup en Allemagne comme en France. Voilà un an à Paris, une
agression similaire à celle de Villeurbanne avait eu lieu près du
canal de l’Ourcq: un Afghan avait blessé sept personnes au couteau. Et
dans plusieurs villes de France de tels drames ont été évités de
justesse par l’intervention des forces de l’ordre. Ces évènements sont
malheureusement en train de connaître une forme de récurrence
tragique.
La crainte de paraître jeter le soupçon sur tous les étrangers ne
justifie-t-elle pas la prudence des commentateurs?
Le souci de rigueur est légitime, mais pas l’autocensure. La grande
majorité des auteurs de ce qu’on appelle «les périples meurtriers» -
c’est-à-dire le fait d’agresser un ou plusieurs inconnus croisés par
hasard - sont entrés, ces dernières années, sur le territoire
français. C’est ce qui s’est passé à Villeurbanne. Une fraction de la
criminalité que nous connaissons revêt désormais une dimension
culturelle. Dans un autre domaine, on observe l’apparition
d’agressions sexuelles commises par des personnes qui, lorsqu’elles
sont poursuivies, font plaider au tribunal la différence culturelle du
rapport à la femme. Par ailleurs, le choc culturel est un puissant
facteur de déstabilisation psychologique qu’on retrouve dans le profil
de certains agresseurs «déséquilibrés». Pour résumer, si la majorité
des étrangers en situation irrégulière n’ont certes rien de commun
avec ces actes criminels, ce n’est pas une raison pour passer sous
silence certaines réalités.
«La vérité, c’est que nous sommes débordés sur tous les plans, y
compris administratif. Nous ne contrôlons pas nos frontières»
Thibault de Montbrial
Le tueur présumé était connu sous deux noms et trois dates de
naissance, et disposait d’une carte de séjour. Son profil ne
révèle-t-il pas des défaillances dans la gestion des flux migratoires?
Bien sûr cela révèle une défaillance administrative consternante,
qu’on avait déjà pu constater lors du double égorgement commis à la
gare Saint-Charles début octobre 2017. Le tueur, un Algérien en
situation irrégulière, avait donné huit identités différentes, et
avait été relâché deux jours plus tôt, après avoir commis un vol à
l’étalage. La vérité, c’est que nous sommes débordés sur tous les
plans, y compris administratif. Nous ne contrôlons pas nos frontières.
Un policier travaillant à la frontière espagnole me confiait que,
cette année, du fait de la mobilisation des forces de l’ordre chaque
samedi dans les grandes villes pour gérer les «gilets jaunes», cette
frontière était moins surveillée. Les passeurs en profitaient
allégrement, organisant des entrées massives à pied sur le territoire
français entre le vendredi soir et le samedi. Autre exemple: à
Montpellier, des mineurs isolés, de plus en plus nombreux, multiplient
les violences face à une police débordée.
Y a-t-il une impuissance des pouvoirs publics?
Certes, mais aussi une double autocensure. Autocensure des magistrats,
souvent réticents à utiliser les outils disponibles, puisque seulement
un tiers environ des infractions commises par des étrangers conduisent
à une peine d’éloignement du territoire lorsqu’elle est possible.
Autocensure des pouvoirs publics, puisqu’une infime minorité des
mesures d’éloignement sont effectivement appliquées: en Europe, seuls
3 %, en moyenne, des déboutés du droit d’asile sont reconduits dans
leur pays. Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit d’asile,
mais de le concilier de façon beaucoup plus ferme avec l’exigence de
sécurité et d’ordre public que l’État doit à ses citoyens.