11 Juillet 2019
A un ethnologue qui le questionnait sur les mœurs de sa civilisation, un Shaman (prêtre-sorcier de sociétés archaïques) répondait : « nous ne pensons pas, nous ne croyons pas, nous avons peur ». Il voulait dire qu'aux problèmes complexes, souvent redoutables qui se posaient à ces hommes, ceux-ci ne répondaient pas par des décisions pensées après un examen rationnel, mais par des actes ou rites d'inspiration magique destinés à conjurer le malheur, à diminuer la peur. Un peu comme le décrivait J-H Rosny dans son livre La guerre du feu (dont on a tiré un film), à propos d'une tribu archaïque : « Les Oulhamr fuyaient dans la nuit épouvantable. Fous de douleur et de fatigue, tout leur semblait vain devant la calamité suprême », car le feu était mort, ils avaient perdu le feu.
Depuis ces temps très anciens l'homme a appris à faire du feu, et bien d'autres choses encore, n'est-ce pas ?
La science que nous avons développée en occident et qui s'est répandue dans le monde entier, nous a délivré de l'ancienne peur archaïque. C'est du moins ce que l'on dit.
Car la science (« la », comme on disait « la » religion) a créée de nouvelles craintes et de nouveaux problèmes qui inquiètent l'homme contemporain. R. Aron parlait des « désillusions du progrès ».
Bref, les causes ne sont plus tout-à-fait les mêmes, mais plus que jamais nous avons peur. Et nous cherchons à conjurer cette peur en nous réfugiant, sans trop réfléchir sur les « prêtres » de la nouvelle religion, éminences télévisuelles, gourous de clubs laïcs, et ces prêtres de l'administration des choses auxquelles, sans nous en douter souvent nous avons tendance à nous assimiler, et à nous livrer.
J'ai peur aussi, lecteur, comme tout le monde. Non de savoir que je vais mourir, savoir abstrait. Mais de la façon dont je vais mourir. J'écoutais, ce midi, sur LCI un débat sur l'inévitable tragédie de Vincent Lambert. J'ai été frappé par le ton inhabituellement tendu des interlocuteurs, instruits et généralement polis et posés. Et même par l'agressivité de l'un d'eux à l'égard d'une jeune interlocutrice, catholique. Agressivité, oui. Pourquoi? parce que « ce sage » subitement avait peur, peur de l'agonie, à laquelle il voudrait absolument échapper.
Comme un Oulramr, il ne pensait plus, il avait peur. Et se révélait soudain, peut-être à son insu, comme un partisan inavoué de l'euthanasie.
Ces hommes-là ont renoncé au christianisme, qu'ils connaissent généralement fort mal, ou pas du tout (résultat de deux siècles et demi d'antichristianisme virulent, ou hypocrite) au nom de la science. Mais la science ne nourrit pas vraiment l'âme humaine. Elle est essentiellement pratique et utilitariste, du moins chez le citoyen moyen, et sa préoccupation est « à quoi ça sert » ?
A quoi cela aurait-il servi de « prolonger » Vincent ?
Les deux articles cités plus bas évoquent sa situation de personne qui ne souffrait pas vraiment dans l'état qui était le sien. Donc il ne souffrait plus vraiment.
Mais beaucoup se projettent en lui, se polarisent sur « l'agonie » fantasmée. Horreur, horreur, horreur !
Ceux-ci vont militer pour l'euthanasie de « ceux qui ne servent à rien », "qui ne sont rien" (croient-ils). A quoi ça sert, tous ces retraités qui ne produisent plus, mais coûtent à la collectivité (nos impôts!), et ces enfants qui naissent handicapés physiquement ou mentalement ?
Beaucoup ne veulent pas y penser, se réfugient dans leurs feuilleton du soir, en guise de Bible, et « comptent sur le gouvernement » pour régler ces problèmes. Or dans le monde désacralisé, déchristianisé, qui est le nôtre nos gouvernements sur ces questions ont des idées, que je dirai, excusez moi, pas toujours très catholiques.
Il y a eu l'euthanasie froide et criminelle du nazisme. J'en rappelle la formulation signée Adolph Hitler : « Le Reich-professeur Bühler et le docteur en médecine Brandt sont, sous leur responsabilité, chargés d'étendre et l'autorité de certains médecin, à distinguer personnellement, à l'effet d'accorder la délivrance ( souligné par LS) par la mort, les personnes qui, dans les limites du jugement humain et à la suite d'un examen médcal approfondi, auront été déclarés incurables »
Il ne faut pas se relâcher sur ces questions essentielles. Les difficultés de la vie, la souffrance, la nôtre, et celle des autres, ne doivent pas être évacuées sous peine de choisir un monde de bétise et d'irresponsabilité ( et de cruautés légales).
Il y a un usage positif de la souffrance, qui n'a rien à voir avec le dolorisme. Mais tout cela suppose une éducation qui devient de plus en plus rare, avec la crise de l'Eglise, celle aussi de la famille, qui subit actuellement des attaques profondes.
Nietzsche, qui n'était pas spécialement chrétien, a souligné cette positivité : « créer, voilà la grande délivrance de la souffrance ».
Tout n'est pas perdu cependant pour la civilisation humaine. Nous ne sommes pas tous encore décidés à répondre, passivement, aux questions des nouveaux prêtres de la soumission vile, qui, comme à la fin du roman de Georghiu, La vingt-cinquième heure, attendant sur le port de New York un grand rescapé des camps de concentration nazis, l'adjurent d'adopter pour les lecteurs des journaux la position conforme à leur yeux : « Keep smiling ! Keep smiling !
(Le Scrutateur)
Dans la France Catholique.
En état pauci-relationnel depuis 2008, Vincent Lambert est décédé ce jeudi 11 juillet à 08H24. Neuf jours après l’arrêt de son alimentation et de son hydratation, décidé par le CHU de Reims.
C’est le neveu de Vincent Lambert, François, favorable à l’interruption des soins apportés à son oncle, qui annoncé son décès jeudi matin à France Télévisions. Le processus avait été enclenché le 2 juillet dernier, suite à une décision de la Cour de Cassation qui avait annulé une décision de la cour d’appel"de Paris, saisie par le gouvernement.
Une veillée de prière s’est tenue mercredi soir à Paris devant l’église Saint-Sulpice, alors que les parents de Vincent Lambert avaient annoncé que le décès de leur fils étaient devenu inexorable, faute de recours possible. Sur Twitter, le pape François avaient appelé à prier "pour les malades abandonnés et qu’on laisse mourir".
L’écrivain Michel Houellebecq a été l’un des premiers à réagir dans une tribune publiée sur le site du quotidien Le Monde, probablement rédigée avant l’annonce du décès. "Le CHU de Reims n’a pas relâché sa proie, ce qui peut surprendre. Vincent Lambert n’était nullement en proie à des souffrances insoutenables, il n’était en proie à aucune souffrance du tout. Il n’était même pas en fin de vie. Il vivait dans un état mental particulier, dont le plus honnête serait de dire qu’on ne connaît à peu près rien" y souligne l’auteur de La Carte et le Territoire
L’écrivain Michel Houellebecq a été l’un des premiers à réagir dans une tribune publiée sur le site du quotidien Le Monde, probablement rédigée avant l’annonce du décès. "Le CHU de Reims n’a pas relâché sa proie, ce qui peut surprendre. Vincent Lambert n’était nullement en proie à des souffrances insoutenables, il n’était en proie à aucune souffrance du tout. Il n’était même pas en fin de vie. Il vivait dans un état mental particulier, dont le plus honnête serait de dire qu’on ne connaît à peu près rien" y souligne l’auteur de La Carte et le Territoire.
II) Michel Houellebecq, écrivain, dans Le Monde.
Pour l’écrivain, rien ne justifiait l’arrêt des soins de l’ex-infirmier, mort jeudi après onze ans d’état végétatif. Vincent Lambert aurait été victime d’une surmédiatisation et d’une forme d’ingérence de l’Etat.
Publié aujourd’hui à 08h52, mis à jour à 14h49 Temps de Lecture 12 min.
[Cette tribune a été écrite avant le décès de Vincent Lambert, annoncé par sa famille jeudi 11 juillet]
A lire en contre-point de cette tribune : Jean Leonetti : « Vincent Lambert est devenu, malgré lui, le symbole de la fin de vie »
Ainsi, l’Etat français a réussi à faire ce à quoi s’acharnait, depuis des années, la plus grande partie de sa famille : tuer Vincent Lambert. J’avoue que lorsque la ministre « des solidarités et de la santé » (j’aime bien, en l’occurrence, les solidarités) s’est pourvue en cassation, j’en suis resté sidéré. J’étais persuadé que le gouvernement, dans cette affaire, resterait neutre. Après tout, Emmanuel Macron avait déclaré, peu de temps auparavant, qu’il ne souhaitait surtout pas s’en mêler ; je pensais, bêtement, que ses ministres seraient sur la même ligne.
J’aurais dû me méfier d’Agnès Buzyn. Je m’en méfiais un peu, à vrai dire, depuis que je l’avais entendu déclarer que la conclusion à tirer de ces tristes événements, c’est qu’il ne fallait pas oublier de rédiger ses directives anticipées (elle en parlait vraiment comme on rappelle un devoir à faire à ses enfants ; elle n’a même pas précisé dans quel sens devaient aller les directives, tant ça lui paraissait aller de soi).
Vincent Lambert n’avait rédigé aucune directive. Circonstance aggravante, il était infirmier. Il aurait dû savoir, mieux que tout autre, que l’hôpital public avait autre chose à foutre que de maintenir en vie des handicapés (aimablement requalifiés de « légumes »). L’hôpital public est sur-char-gé, s’il commence à y avoir trop de Vincent Lambert ça va coûter un pognon de dingue (on se demande pourquoi d’ailleurs : une sonde pour l’eau, une autre pour les aliments, ça ne paraît pas mettre en œuvre une technologie considérable, ça peut même se
faire à domicile, c’est ce qui se pratique le plus souvent, et c’est ce que demandaient, à cor et à cri, ses parents).
Il n’était pas en état de communiquer avec son entourage, ou très peu (ce qui n’a
rien de franchement original ; cela se produit, pour chacun d’entre nous, à peu
près toutes les nuits). Cet état (chose plus rare) semblait irréversible. J’écris « semblait » parce que j’ai rencontré pas mal de médecins, pour moi ou pour d’autres personnes (dont plusieurs agonisants) ; jamais, à aucun moment, un médecin ne m’a affirmé qu’il était certain, à 100 % certain, de ce qui allait se produire. Cela arrive peut-être ; il arrive peut-être aussi que tous les médecins consultés, sans exception, formulent un pronostic identique ; mais je n’ai jamais rencontré le cas.
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