25 Juillet 2019
Mgr Éric de Moulins-Beaufort
Archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France
Quel regard portez-vous sur le projet de loi de révision des lois de bioéthique présenté mercredi 24 juillet devant le conseil des ministres ?
La Croix vous explique, avec lumière et clarté, le monde qui vous entoure, afin que vous puissiez bâtir votre opinion.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort : Ce projet de loi avait été annoncé depuis son élection par le président de la République. Il ne constitue donc pas une surprise. À mes yeux, il confirme l’impuissance des politiques à résister à une espèce de pression qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer. Il me remplit donc d’une grande tristesse car, pour répondre à des manques, on modifie les conditions d’engendrement, de filiation, notre rapport au corps, alors qu’il serait possible de vivre tout cela autrement.
Toutes les dispositions de ce texte vous semblent-elles dangereuses ?
Mgr É. de M.-B. : Non, je pense que la greffe et l’intelligence artificielle en médecine sont des sujets qui méritent un examen approfondi et sur lesquels il faut avancer. Je suis inquiet en revanche de l’extension de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et surtout sur les conditions dans lesquelles les chercheurs se les procureront. Cela impliquera-t-il la mort d’un embryon ?
Et je m’inquiète bien sûr de l’invention d’une forme de « procréation sans corps », dans laquelle le géniteur ne serait qu’un fournisseur de matériel génétique. On veut répondre au désir compréhensible de certaines femmes d’avoir un enfant en organisant une procréation sans père. Et d’un autre côté, on veut prendre en compte le désir des enfants nés ainsi de rencontrer leur père qui n’est pas qu’un fournisseur de gamètes.
Avez-vous, comme certains, le sentiment que notre pays est, en matière de bioéthique, sur « une pente glissante » ?
Mgr É. de M.-B. : Il semble en effet qu’à chaque révision de la loi, les encadrements sautent, que les précautions qui avaient été prises la fois précédente sont rabotées. Il n’y a pas si longtemps, certains – dont le premier ministre – étaient contre la PMA pour les femmes seules et ont changé d’avis. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, affirme que la GPA est « aujourd’hui contraire à nos principes fondamentaux ». Les politiques peuvent dire beaucoup de belles choses à ce sujet : en restant dans leur logique, ils finiront par l’autoriser. Je comprends la douleur des gens qui n’ont pas d’enfants. Mais doit-on bricoler le système de la filiation pour répondre à ce désir ? Derrière ce désir se cache sans doute une peur de la mort, de la solitude, sans doute aussi un désir d’aimer et d’être aimé de manière inconditionnelle. Ce désir complexe doit être clarifié. Mais nous, catholiques, pouvons affirmer que ce double désir peut être assumé autrement, à l’intérieur de la famille ou dans des engagements sociaux.
La Manif pour tous et d’autres associations appellent à manifester contre ce projet de loi le 6 octobre. Appelez-vous, personnellement, les catholiques à manifester ?
Mgr É. de M.-B. : Personnellement, j’ai beaucoup aimé la formule qu’avait employée le cardinal André Vingt-Trois en 2012 (alors président de la Conférence des évêques de France, NDLR) lorsqu’il avait appelé les catholiques à « se manifester ». Les catholiques sont des citoyens comme les autres. Nous, évêques, avons beaucoup parlé, écrit, envoyé des argumentaires aux parlementaires et aux membres du gouvernement et nous continuerons pendant la discussion du projet de loi, car tout ce qui peut être amélioré mérite de l’être. Des pères, des mères, des enfants, tous les citoyens doivent se faire entendre auprès de leurs députés et sénateurs.
Pour ma part, je pense qu’il n’est pas dans le rôle des évêques ou des prêtres de prescrire les moyens politiques avec lesquels les catholiques doivent travailler comme citoyens. Si certains pensent que manifester peut être utile, et parce que cela peut avoir un certain poids pour aider les parlementaires à avoir un débat complet, qu’ils le fassent. Mais cela ne peut être le dernier mot, ou le seul marqueur, d’une attitude chrétienne.