24 Mai 2019
Très belle interview de F-X Bellamy, que je vous laisse découvrir. J'insiste seulement sur ce paragraphe tellement évident : « Si on regarde les sondages, en prenant en compte l’abstention, moins de 20 % des Français se reconnaissent dans l’un ou l’autre de ces camps. Mais Emmanuel Macron sait que la seule personne qui pourra le sauver, dans trois ans, c’est Marine Le Pen. Il l’installe donc en unique opposante, parce que son seul but est d’empêcher que se reconstruise une alternative crédible à droite, la seule qui pourrait réellement l’empêcher d’être réélu en 2022 ».
Bon vote chers lecteurs. (Le Scrutateur).
François-Xavier Bellamy aura traversé la campagne comme un ovni, déclamant du Bernanos et du Péguy dans ses meetings, plaçant la droite devant les enjeux de civilisation qui lui incombent. Dans un entretien au ton très personnel, il revient sur cette nouvelle vie et sur ce monde prisonnier du totem du progrès.
Dans un entretien récent avec Valeurs actuelles , Nicolas Dupont-Aignan vous accuse d’être « un rabatteur de voix » pour Emmanuel Macron et le énième représentant de « la droite qui trahit ». Comment réinstaurer la confiance ?
La cohérence de M. Dupont-Aignan est difficile à cerner : il n’a cessé de changer de discours au fil des ans. Jean-Frédéric Poisson, qui a fait campagne avec lui, dit que le cœur de son système repose sur le mensonge : je le crois, en effet, au rythme des calomnies qu’il ne cesse de répandre sur nous. Cela étant dit, je comprends le ressort de cet argument. La droite a souvent déçu et beaucoup se demandent si elle saura se relever de ses incohérences passées. Je sais que les déceptions ont été fortes et qu’il faudra reconstruire la confiance patiemment, humblement, par un travail de fond. Je ne vois pas d’autre option : qu’est-ce que les à-coups individuels de M. Dupont-Aignan ont apporté à notre pays ? Pour moi, je suis trop libre pour servir d’alibi, d’autant plus que je ne suis pas attaché à une carrière politique et que je n’ai pas sollicité cette investiture. J’ai accepté la mission qui m’était proposée parce qu’on ne peut pas déplorer la crise où nous sommes et refuser ensuite de contribuer à reconstruire.
Édouard Philippe a raillé, dans le Figaro, précisément « la droite Trocadéro » qui avait choisi François Fillon. Vous vous en revendiquez, au contraire ?
Cette sortie du Premier ministre est symptomatique d’un vieux réflexe du politiquement correct, qui consiste à insulter la droite quand elle ose être fidèle à ses convictions et à ses électeurs. Édouard Philippe applique aujourd’hui une politique qui correspond à tout ce à quoi il s’était supposément opposé durant sa carrière. Je préfère être de la droite qui reste constante que de celle qui s’enorgueillit de se dissoudre dans la gauche. Aujourd’hui, Édouard Philippe soutient une liste dont le numéro 2, Pascal Canfin, a refusé d’embarquer dans un avion quand il était ministre de François Hollande, sous prétexte qu’un Malien condamné pour viol s’y trouvait pour être extradé. Une liste dont le projet est de dépenser toujours plus d’argent public et de créer de nouveaux impôts… Une liste parrainée par Daniel Cohn-Bendit, Élisabeth Guigou et Ségolène Royal. Cela n’a plus rien à voir avec la droite !
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De ce point de vue, le politiquement correct est une machine qui ne cesse de s’étendre. Le sentiment qu’il est de plus en plus difficile d’exprimer un désaccord sans être voué aux gémonies alimente une frustration politique indéniable. C’est pourquoi le politiquement correct me semble être l’un des carburants qui alimentent ce qu’on s’obstine à appeler le populisme sans jamais vraiment le définir.
À quoi peut concrètement servir un député européen qui s’engage à préserver notre civilisation ?
L’Europe, ce ne sont pas seulement des traités ou une organisation administrative, mais d’abord un héritage à transmettre et à sauver de tout ce qui nous fragilise aujourd’hui. Le défile plus important, c’est la fracturation de notre société : nous devenons une juxtaposition de communautés qui ne se reconnaissent plus de liens, une addition d’individus qui poursuivent leurs propres calculs. Nous avons su construire un marché commun, qui peut être un atout décisif dans la mondialisation ; mais l’Europe ne peut pas se réduire à un marché. La réduction de la politique à l’économie nous piège dans le consumérisme et nous empêche d’agir pour préserver notre modèle de civilisation : il faut pourtant le redire, nous ne sommes pas que des consommateurs préoccupés de leur seul intérêt.
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N’est-il pas plus facile de lutter contre cela en tant que candidat, à l’heure des discours, que durant le mandat, à l’heure de l’action ?
Non, cela se traduit très concrètement. Je m’engagerai personnellement en allant dans les capitales européennes pour défendre une initiative commune contre la GPA et contre l’eugénisme. Ce qui est en jeu, ce sont les nouveaux modèles contre lesquels l’Europe doit peser : celui du tout-marchand américain, qui fait que l’on peut, en contournant la loi européenne, choisir des bébés sur catalogue dans des cliniques aux États-Unis ; celui de la Chine, qui a annoncé, il y a quelques semaines, que pour la première fois des enfants génétiquement modifiés étaient nés. Réussir cette course contre la montre pour interdire la marchandisation du corps, empêcher l’eugénisme, faire comprendre que le transhumain ouvrirait un monde inhumain, voilà un enjeu de civilisation absolument décisif. La voix de la France est malheureusement sans doute trop isolée, trop faible et trop passive aujourd’hui, pour pouvoir faire contrepoids à ces grandes forces.
Vous prendrez donc votre bâton de pèlerin pour vous rendre au Portugal, en Suède, en Espagne, ou en Hongrie ?
Oui, il est temps de parler d’une seule voix. On doit, dans notre droit français, continuer à interdire la GPA. Mais cette interdiction est fragilisée si, dans l’espace européen, nous avons des législations différentes sur cette question. Notre droit est sans arrêt contourné et violé. Il faut donc qu’on arrive à se mettre d’accord entre nous.
L’enjeu est essentiel. Nous sommes la première génération dans l’histoire qui devra décider de l’avenir de la condition humaine. C’est fascinant et vertigineux. Tout cela se joue aujourd’hui : les grandes entreprises américaines investissent massivement dans la recherche pour dépasser les limites de la condition humaine. En Chine, une stratégie d’État voudrait mettre l’homme au service d’une course à la performance qui le détruira de l’intérieur. Si nous sommes les héritiers des Grecs, qui répondaient à la tentation de l’hubris par la juste mesure d’Aristote ; si nous sommes les enfants de l’école du droit naturel que les Romains ont développée ; si nous sommes à la hauteur de cet effort de la pensée chrétienne qui a mûri le caractère inaliénable de la dignité humaine, alors il faut faire de la voix de l’Europe le contrepoids indispensable à ces forces de destruction de l’homme. Si on croit à la politique, c’est l’enjeu le plus important des années qui viendront.
Parmi les périls qui nous guettent, celui de l’islamisme se développe-t-il en raison de la passivité du progressisme ?
Je l’ai dit durant tous nos meetings : on ne peut pas regarder nos malheurs comme s’ils venaient uniquement de l’extérieur. L’islamisme ne fait que remplir le vide que le consumérisme individualiste a laissé derrière nous. On a expliqué aux jeunes qu’il n’y avait pas de culture française, que l’Europe n’avait pas de racines, que notre seule identité était la diversité. Que les grandes conquêtes sociales de demain consistaient à pouvoir pousser son Caddie au supermarché même le dimanche. Et à la fin, on s’étonne qu’ils cherchent une transcendance de substitution… Le plus grand besoin d’un jeune n’est pas de trouver une raison de vivre, mais une raison de donner sa vie. L’émotion provoquée par le don absolu des commandos Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, comme celui d’Arnaud Beltrame, dit tout de la soif qui habite les cœurs. Si l’on s’en tenait aux critères que notre société individualiste se fixe, cela n’aurait aucun sens ! Emmanuel Macron avait dit : « Il faut que les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires. » En réalité, ce sont des jeunes capables de défier tous les calculs, de se donner jusqu’au bout qui font notre plus grande reconnaissance, en sauvant notre pays de ce repli individualiste. L’histoire de ces vies, ce n’est pas l’émancipation de l’individu, c’est au contraire la force du lien qu’elles se reconnaissent avec les inconnus qu’il s’agissait de sauver.
Vous êtes donc étonné que cette société finisse par reconnaître leur valeur ?
Je ne suis pas étonné, je suis émerveillé. Cela montre qu’au cœur du cœur humain, il y a cette soif de se donner, pourtant si méprisée par le monde contemporain. L’époque d’Adopte un mec et de Tinder n’empêchera pas qu’on admire plus que tout le don total de soi. Et cela prouve que l’espoir est possible. Les progressistes ne nous comprennent pas. Dire que la société contemporaine est individualiste, ce n’est pas un jugement moral : il n’y a sans doute pas plus d’égoïsme ou moins de générosité aujourd’hui qu’hier. L’individualisme est une métaphysique du calcul solitaire. Mais avec le drame de Notre-Dame, quelque chose fait échec à cette logique : le général de la brigade des sapeurs pompiers de Paris, avec qui j’ai discuté deux jours après l’incendie, m’a confié qu’aucun de ses hommes n’avait posé de question ou eu de mouvement de recul au moment de monter dans les tours de la cathédrale, alors même que celles-ci pouvaient s’écrouler. Ces hommes ne montaient pas pour sauver des vies mais des pierres, qui sont le signe de cet héritage qui nous précède et nous relie.
Cet incendie a-t-il agi comme un signe dans votre campagne, vous qui vous voulez le candidat de la mémoire ?
Cela nous a rappelé de façon sensible la raison même de notre engagement. En voyant Notre-Dame brûler, nous avons tous eu l’impression de voir brûler une part de notre culture commune, de ce patrimoine matériel mais aussi immatériel que nous savons à la fois magnifique et vulnérable. J’ai toujours été touché par cette confession d’Alain Finkielkraut, qui affirme avoir appris à mieux aimer la France non plus seulement pour sa grandeur, mais de l’amour qu’on porte à ce qui est fragile et menacé.
Êtes-vous surpris de constater qu’après les polémiques soulevées lors de votre entrée en politique, les critiques se soient taries ?
J’ai d’abord été un peu stupéfait de la disproportion des polémiques. Et, je le dis très simplement, je regarde maintenant avec un peu d’étonnement l’excès d’éloges dont je suis parfois l’objet. La démesure dans ces jugements si rapides ne doit pas faire oublier l’essentiel. Le plus important reste à venir : reconstruire la confiance qui a été profondément érodée dans la politique et dans notre famille politique. Bien au-delà d’une personne, l’enjeu est immense. Dans cette société atomisée, nous avons besoin de retrouver du lien. Dans cette société matérialiste, nous avons besoin de retrouver des idées.
Vous arrivez avec votre bienveillance, à rebours des postures habituelles… Est-ce une nouvelle manière de faire de la politique ?
Je n’ai pas cherché à jouer un rôle ou à calculer une attitude, je suis resté moi-même. Mais c’est intéressant de voir les témoignages des gens à la fin des réunions publiques, les courriers qu’ils écrivent… Beaucoup expriment leur désir de prendre de la hauteur, de retrouver de la sérénité. Ce qui me frappe le plus, c’est de voir des gens qui pleurent à la fin des réunions publiques. Beaucoup de Français se sentent perdus, désespérés, ont le sentiment de ne plus être entendus et de ne plus maîtriser leur avenir. Il y a une immense inquiétude collective.
L’orateur rompu aux meetings politiques agite des stimuli pour enflammer les foules. Vous, vous laissez une large place au silence…
J’avoue que j’ai toujours du mal à entendre scander mon nom. Ce que je trouve le plus beau dans les réunions publiques, c’est de tenter d’emmener les gens avec soi pour mieux comprendre avec eux nos échecs et nos espoirs. Hier soir, nous étions à côté d’Angers. Nous avons parlé du défi économique et commercial devant lequel l’Europe se trouve, de la manière de retrouver notre place dans la mondialisation, des moyens de sortir de la crise et de redonner de l’oxygène à ceux qui travaillent… Nous vivons une crise profonde du travail. C’est un sujet technique, économique ; mais c’est aussi parce que nous avons perdu le sens du travail, en faisant systématiquement le choix de la consommation. Et j’ai repris un passage de Péguy que j’avais déjà risqué dans un meeting un peu plus tôt. C’est une vraie joie de sentir la densité du silence, l’attention des gens qui trouvent dans ces lignes des mots pour comprendre ce qu’ils veulent retrouver. [Il récite] « J’ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales. Il fallait qu’un bâton de chaise fût bien fait… »
Lorsque le Monde, après des semaines de campagne, vous met en une et titre sur « les habits neufs du conservatisme », cela infirme l’idée qu’il n’y aurait en France que des populistes ou des progressistes…
Oui, ce faux débat entre progressistes et populistes est scandaleux. Si on regarde les sondages, en prenant en compte l’abstention, moins de 20 % des Français se reconnaissent dans l’un ou l’autre de ces camps. Mais Emmanuel Macron sait que la seule personne qui pourra le sauver, dans trois ans, c’est Marine Le Pen. Il l’installe donc en unique opposante, parce que son seul but est d’empêcher que se reconstruise une alternative crédible à droite, la seule qui pourrait réellement l’empêcher d’être réélu en 2022.
Est-ce la raison pour laquelle Nathalie Loiseau a refusé de débattre avec vous ?
Son seul but est de faire exister Jordan Bardella. Elle prétend que son engagement est de battre le Rassemblement national et, en même temps, le considère comme le seul interlocuteur démocratique valide. Ne parler que d’un combat contre le populisme, c’est une manière pour elle de s’exonérer du bilan dramatique de son parti ou d’éviter de parler des sujets de fond, alors que nous sommes face aux défis les plus importants de notre temps. C’est vrai aussi du RN, qui a totalement changé de discours sur l’Europe… Le seul débat en est réduit à battre Marine Le Pen ou à battre Emmanuel Macron. Les Français n’en peuvent plus de ces élections tristes.
À la fin du mois de février, une dépêche de l’agence Reuters relatant un échange dans lequel vous auriez affirmé pencher pour Jean-Claude Juncker plutôt que Viktor Orbán, Emmanuel Macron plutôt que Marine Le Pen. Dans un long texte sur Facebook, vous avez rétabli votre version, puis dénoncé le mirage d’une souveraineté européenne et accusé les populistes et les progressistes de « s’alimenter mutuellement ». Que vous a enseigné cet épisode sur le rapport à la vérité de la société de l’information ?
Il m’a enseigné qu’au fond nous vivons dans un univers d’artifices, où manque souvent l’exigence intellectuelle de rendre compte de la réalité d’un propos. Ce qui compte, c’est de chercher la petite phrase qui enfermera, quand bien même elle ne dit pas du tout ce que vous cherchiez à exprimer. J’ai éprouvé à cette occasion beaucoup de compassion pour des responsables politiques qu’on a parfois vigoureusement critiqués parce qu’un de leur propos avait été réduit à trois mots… Je comprends que beaucoup aient cédé à la dictature des « éléments de langage » pour se protéger. Mais cela pose une vraie question : quel espace laisse-t-on à la réflexion, au temps qu’elle exige, au sens de la complexité ? Sommes-nous prêts à un dialogue qui cherche à comprendre plutôt qu’à étiqueter ? Quand Jordan Bardella prend une phrase de quarante secondes prononcée sur une radio et qu’il en ressort un extrait de neuf secondes qui me fait dire exactement le contraire de ce que j’exprimais, j’y vois le signe que le débat politique va mal. Je crois au pluralisme : j’ai de vrais désaccords avec lui, mais ça ne m’empêche pas de respecter tous ceux qui s’engagent pour défendre leurs idées. Un enjeu essentiel pour nos démocraties, c’est de sauver la possibilité du désaccord intelligent. Je suis sûr que les Français en sont capables, beaucoup plus que leurs responsables politiques.
À quoi jugeriez-vous que votre campagne a été réussie ? Avez-vous des regrets ?
Les plus beaux moments ont été les rencontres, comme ce matin dans un centre pour enfants autistes, ou pendant les réunions publiques. Une campagne est une occasion rare de mieux connaître la réalité de la France ; mais c’est surtout éprouvant et intense. Je m’accroche au fait qu’il ne reste que quelques jours de campagne… [Rires] J’estimerai que cette campagne aura été réussie quand, dans cinq ans, on aura pu avancer sur les objectifs concrets que nous nous sommes donnés.
En quoi la philosophie vous a-t-elle aidé ?
Marc Aurèle m’a bien aidé… Il faut être un bon stoïcien pour faire de la politique, avec le détachement, la distance et l’engagement que cela impose. Par ailleurs, le fait de rentrer dans la réalité des sujets me tenait vraiment à cœur. Nous avons consacré des réunions publiques à approfondir des questions précises, avec des spécialistes de notre liste, par exemple avec Arnaud Danjean et Frédéric Péchenard sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous continuerons d’ailleurs pendant le mandat.
Avez-vous aussi appris sur les rapports humains ?
C’est vrai, la politique est un terrain favorable pour mieux appréhender le cœur humain… On voit tout ce qu’il y a de plus médiocre et de plus décevant parfois, mais je peux vous promettre qu’on y trouve aussi ce qu’il y a de plus noble. J’ai été très marqué par la bienveillance de beaucoup, et par le dévouement et la générosité de tant d’élus. Ce pays tient par l’engagement discret de tant de Français, sur le terrain. Il nous manque un cap qui puisse nous unir de nouveau, mais nous avons tout pour retrouver l’espérance.
Dans votre discours au meeting parisien de la porte Maillot, le 15 mai dernier, vous avez défendu une conception de la vie prenant en compte ses faiblesses plutôt que les seules performances. Que dit le cas de Vincent Lambert du glissement de notre société ?
Je crois que ce qui fait la force d’une société, c’est le soin qu’elle apporte aux plus fragiles. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le soin que nous pouvons apporter à la fragilité de quelques personnes parmi nous, c’est la définition même de la société et la vision que l’on a de la personne humaine. Ce qui me frappe, c’est de voir la violence qui s’exprime dans l’affaire de Vincent Lambert, cette instrumentalisation écœurante qui est faite de cette vie blessée et fragile par ceux qui militent pour l’euthanasie et qui défendent « le droit à mourir dans la dignité ». Ceux-là même qui déclarent indignes tous ceux qui ne correspondent pas au standard de performance et de réussite qu’on voudrait voir appliquer à une existence humaine légitime pour être vécue. Là, il y a une violence insoutenable. Il y a une violence aussi dans cette décision qui consiste à annoncer à une mère que son fils ne sera plus alimenté.
Le médecin a parlé de fin des traitements…
Il faut pouvoir dire que l’alimentation n’est pas un traitement, ou alors nous sommes dans un état de maladie avancée. On est devant le grand point de bifurcation qui nous attend : soit on définit la vie comme la force, la force poussée à son paroxysme, soit on reconnaît que la vie, c’est d’abord l’expérience de la faiblesse. Aujourd’hui, nous nous définissons comme des individus consommateurs qui rentrent dans leur vie comme un client devant un catalogue, en voulant avoir toutes les options. Pour ma part, je crois que la vie commence par l’extrême dépendance qu’est l’état d’enfance et qu’elle se termine dans l’extrême dépendance qu’est la vieillesse. Ces deux termes de l’existence nous enseignent que c’est par les brèches de notre capacité d’agir que passe la rencontre avec l’autre et le lien qui nous rattache à lui.
Au-delà du cas Vincent Lambert, que signifie pour vous cette affaire ?
Nous sommes tous les débiteurs de ceux qui nous ont fait grandir et nous n’étions pas malades parce que nous étions enfants. Le regard que l’on porte sur Vincent Lambert aujourd’hui, qui effectivement avait besoin d’aide pour pouvoir simplement se nourrir, c’est le regard que nous portons sur notre humanité. Oui, je crois que dans ce débat, on n’a pas concrètement le droit d’exploiter une pareille situation pour propager son idéologie. On devrait même se l’interdire ! Par ailleurs, on a aujourd’hui un équilibre défini par la loi Léonetti qui a été votée à l’unanimité du parlement - ce qui est déjà très rare, et sur un sujet comme celui-ci, encore plus exceptionnel. Il y a des vies humaines dont je ne crois pas qu’on puisse dire, sauf à renoncer au sens même de ce qu’est la condition humaine, qu’elles ne sont pas dignes d’être vécues.