31 Mars 2019
Descartes confia un jour à un ami proche : « larvatus prodeo », c'est-à-dire « je m'avance masqué ».
L'affaire Gallilée venait de se produire, Descartes venait d'achever un Traité du monde et de la lumière . Il en différa la publication, peu soucieux d'avoir à s'expliquer avec ces messieurs les doyens et docteurs de la sacrée faculté de théologie.
Mais derrière le masque demeurait l'homme secret, derrière le personnage demeurait l'être réel, la personne : Renatus Cartésius.
Or les gandins et gandines qui me suggèrent, par leur comportement, cet article, ceux qui ont contribué par leur comportement à l'annulation, hier, de la représentation d'une pièce théâtrale du grand Eschyle Les suppliantes, sont-ils réels, ou masqués ?
Avant d'en débattre, je voudrais renvoyer à un lien filmé sur le vif par ces messieurs eux-mêmes ( « zé » dames, évidemment). C'est un peu long. On peut se contenter des dix premières et des cinq dernière minutes.
Taxée de racisme, une tragédie antique est annulée à la Sorbonne
C'est la deuxième video qui est à voir, la première est insipide.
Vous avez maintenant lecteurs en tête l'objet du débat. Et je voudrais commenter sans colère, ni langue de bois, ce fait divers que les médias vont monter en épingle.
Ces garçons et ces filles parlent-ils en personne, ou jouent-ils les personnages d'une mauvaise pièce mais qui dispose d'un public potentiel et d'espoirs de gratifications au moins psychologiques grâce à la médiatisation ?
Personne ? Personnages ? On sait que ces mots ont une même étymologie le latin persona qui signifie le rôle joué soit par l'acteur sur les planches ( en l'occurrence, ici, les acteurs professionnels devant jouer la pièce d'Eschyle ), soit par l'individu dans la société.
Encore quelques lignes pour mieux comprendre mon propos.
Les philosophes ont tendance à distinguer la personne et le personnage qui ont pourtant la même étymologie.
Le personnage porte toujours un masque en société, et parfois même face à lui-même. Nous sommes tous des personnages. Nous jouons tous des personnages celui du patron, de l'ouvrier, du révolté, de l'intellectuel, etc. Parfois plusieurs comme celui de chef de service, d'autant plus petit chef au bureau, qu'à la maison … sa femme le bat.
J'ai fait remarquer un jour à mes élèves d'une classe terminale, parce que l'occasion s'y prêtait, que les adolescents en groupes jouent toujours les décontractés, les marioles, alors que leur intériorité est en réalité presque toujours à leur âge de recherche et d'affirmation de soi dans un monde difficile, empreinte d'inquiétude, de doute, et parfois même d'angoisse. Ces jeunes cherchent leur moi profond, l'être personnel, par un jeu de rôles (et donc de masques) et d'identifications à des modèles que les éducateurs, et leurs parents quand ils en ont, doivent les aider à connaître, à juger, pour les intégrer même partiellement à un moi profond qui sera, s'ils l'atteignent, leur personne.
Cette découverte de soi et cette assomption du moi en une personne, par delà le dialogue des personnages, rend possible ce qu'on appelle la réussite humaine (bien des formes de réussites, par exemple dans les affaires ou la politique ne sont pas des réussites humaines). Celle-ci n'est pas le repli hautain sur un quelconque Aventin, dans le splendide isolement de l'égoïsme individuel, ou de classe sociale, ou de race.
La réussite est toujours difficile et provisoire, instable. Même dans les sociétés relativement équilibrées. Or nos sociétés actuelles sont profondément instables, déséquilibrées. S'y affrontent toutes sortes de visions d'enfermement dans les « clubs » fermés de la classe, de la race, des religions, des egos bien clos. Les individualismes tendent à se séparer, à se distinguer. Alors que la personne se veut solidaire. Elle sait qu'elle ne peut accomplir son JE que dans un nous.
Dans notre société française actuelle la vision du nous tend à se scinder en une multitude de groupes séparés et de plus en plus antagonistes : les femmes contre les hommes, les jeunes contre les aînés, les catholiques contre les musulmans ( et vice versa), les noirs contre les blancs (ou réciproquement), etc, etc.
Ainsi notre société en voie d'éclatement d'individualisme forcenés, où règnent le soupçon et la haine de l'autre, attisés par les modes de communication exacerbés qui contribuent comme nuls autres à la dialectisation des rapports humains et la création de mini sociétés qui sont des minorités de la méfiance et de la haine.
Je ne veux désigner ainsi aucun groupe de sociétés qui auraient le monopole de l'exclusion, car nous sommes tous concernés.
La manifestation des membres du CRAN dont nous avons vu in concreto ci-dessus, l'une des manifestations, fait partie de ces grandes manœuvres de la création des groupes sensés être la manifestation du racisme, de ce racisme dont les blancs seraient les représentants symboliques exclusifs. Ce qui, du moins dans le cas d'espèce est pour le moins discutable.
Les instances politiques, religieuses, philosophiques qui, tant bien que mal assuraient l'harmonisation des groupes et des individus semblent usés et inefficaces.
Il apparient à chacun de réfléchir et d'intervenir de façons et d'autres dans la vie quotidienne pour rétablir le sens civique, et cette harmonie sociale qu'Aristote appelait l'amitié, sans laquelle le monde sombre dans la haine et la guerre civile.
Je crois qu'il faut lutter contre les balbutiements, et les baragoins des hommes et des femmes qui de façon paranoïaque voient la haine, et le racisme, même là où ils n'existent pas.
Ces incidents de la Sorbonne ne seraient pas bien graves, s'ils étaient isolés. Or ils ponctuent notre vie quotidienne.
Et comme la haine suscite la haine, le racisme, un racisme d'un autre ordre, si des hommes de bonne volonté ne réagissent pas, nous accélérons l'avènement de la société invivable. (E. Boulogne).
Je transcris ici un article de M. Philippe Bilger, haut magistrat à la retraite sur le même sujet. Article que je trouve remarquable :
"Des étudiants et des militants de la cause noire ont empêché par la force la tenue d'une pièce d'Eschyle, Les Suppliantes, au motif que des acteurs blancs portaient des masques sombres ou étaient grimés en noir" (Le Monde).
Ces étudiants appuyés et soutenus par le CRAN jamais en retard d'un combat absurde dénonçaient le "blackface", un procédé qui consistait à exhiber et à ridiculiser des Noirs pour amuser les Blancs.
Pour le metteur en scène Philippe Brunet, helléniste passionné, il s'agit "d'une forme d'ordre moral imposé de force". Il récuse à juste titre l'accusation d'avoir voulu tourner en dérision les Noirs alors que dans le théâtre antique, le masque est constamment utilisé et que faute de budget et de temps, il n'a pu faire porter aux comédiens les masques dorés initialement prévus.
Par ailleurs, la tragédie d'Eschyle est aux antipodes du sarcasme et de la discrimination : elle se contente d'être une grande oeuvre universelle.
Philippe Brunet, la pièce ayant dû être annulée, s'interroge sur un dépôt de plainte ou non. Cescenseurs se rengorgeant face au succès de leur intervention, la plainte marquerait un coup d'arrêt et l'expression du refus de céder à cette scandaleuse intimidation (Le Figaro).
Que tirer de cette lamentable péripétie ?
D'abord l'absence de culture, radicale, de ces étudiants et militants. Ils ignorent tout et ont remplacé le savoir par un esprit vindicatif compulsif mettant sur le même plan des démarches douteuses et racistes qui ont existé et des manifestations honorant le théâtre et n'offensant en aucun cas ce qu'ils sont.
C'est de la bêtise dans sa quintessence.
Mais, comme ce groupuscule et le CRAN sont prétendus progressistes, de gauche et forcément admirables puisqu'ils mettent en cause un racisme, aussi imaginaire soit-il, ils ne sont pas traités comme ils le mériteraient : pour des ignares que l'idéologie a rendu délirants. Il y a encore un zeste de révérence pour ces obsessionnels de la race. Au point de faire ressembler leur antiracisme à une lamentable pantalonnade tristement contre-productive.
Tentons de deviner quelles seraient les réactions si l'extrême droite ou le catholicisme conservateur, face à d'authentiques indignités, se révoltaient et faisaient annuler une pièce emplie de toutes les nauséabondes audaces que l'air du temps adore : la prévision est facile, ce serait un lynchage politique et médiatique contre ces rustres incapables d'apprécier les vrais, les grands spectacles.
Deux poids deux mesures à l'évidence.
Cessons de gratifier en l'occurrence ces étudiants et le CRAN de quoi que ce soit d'autre que de bêtise !
Il faudrait inventer ce délit pour eux. (Philippe Bilger).
(III) [Vidéo] Antiracisme : pour Blanquer, l'extrême gauche “joue avec le feu”