3 Février 2019
Le monde change. Philippe Val est un homme de gauche, un ancien directeur de Charlie Hebdo. Une source où je ne m'abreuvais guère, et qui n'est toujours pas ma référence préférée. Mais cet homme a souffert, et la souffrance est souvent un révélateur, ou l'équivalent de ces sages femmes qui aident à mettre au monde les petits enfants, ou comme on disait de Socrate qui se voulait, avec sa méthode dialectique, un accoucheur d'âmes.
Cet entretien que publie le Figaro de ce 03 février 1019, m'a plu. Je ne souscris pas à chacune de ses prises de position, mais je publie sans être plus long, un texte rafraîchissant. (Le Scrutateur).
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Dans son dernier livre, Tu finiras clochard comme ton Zola (Éditions de l’Observatoire, janvier 2019), le journaliste écrivain Philippe Val évoque à travers le personnage d’un narrateur qui lui ressemble beaucoup le roman du XXe siècle. Un plaidoyer pour la liberté adressé à son fils de 4 ans et aux générations qui viennent.
LE FIGARO. - Votre dernier livre est dédié aux gendarmes mobiles et aux officiers de sécurité du SDLP. Venant d’un ex-libertaire qui fut directeur de Charlie Hebdo, cela va en faire sourire certains…
Philippe VAL. - Oui, bien sûr, mais la société a beaucoup changé depuis ! En 1968-1970, pour certains d’entre nous, la police n’était que le bras armé du pouvoir, et non pas le défenseur des libertés. Mais étant sous protection policière depuis des années, je suis bien placé pour savoir qu’aujourd’hui, et parfois au péril de sa vie, la police protège des gens pour qu’ils puissent s’exprimer librement. C’est un véritable bouleversement.
Pourquoi ce drôle de titre, Tu finiras clochard comme ton Zola ?
C’est en référence à une phrase que mon père, qui se méfiait de tout ce qui était littéraire et artistique, m’a lancée alors que je refusais de faire une terminale scientifique pour faire de la philo. Je le revois, il lisait Le Figaro, a remis ses lunettes, plongé dans le journal et, excédé, m’a lancé : « Eh bien, fais ce que tu veux, tu finiras clochard comme ton Zola ! » Et la discussion était terminée. Il faut dire que quand j’étais gosse, j’ai aimé Zola - son œuvre et sa vie - comme on aime un chanteur de rock. Je suis devenu une groupie. Et l’affaire Dreyfus a été ma première idée politique. Elle m’a déterminé.
Vous êtes devenu plus connu depuis Charlie Hebdo et France Inter, mais on tend à oublier que vous avez eu une autre vie, artistique notamment, qui fonde votre attachement à la liberté…
J’ai tout supporté parce que, dans les jours les plus noirs de ma vie, je vivais dans ma maison, et je savais que le soir, de toute façon, il y avait un livre qui m’attendait et que j’aurais un moment de bonheur en ouvrant ce livre. Je savais que je serais heureux un moment dans la journée. Je n’aime pas le XXe siècle, même si j’aime certains auteurs qui ont échappé à la machine à broyer - comme Camus, Aron, Gary, Giono ou Colette -, c’est-à-dire aux deux grandes idéologies, le communisme et le fascisme, qui ont rendu ce siècle dégueulasse. Des artistes et des intellectuels ont menti, trahi, parce qu’ils devaient obéir à une idéologie débile. Ils ont formé les élites, les journalistes, les politiques, les mentalités. Néanmoins, il reste de bonnes choses aussi : l’égalité hommes-femmes, la dépénalisation de l’homosexualité, la pénalisation du racisme. Quelques rayons de soleil. ( En URSS, En Chine, A Cuba, les homosexuels étaient tués ou envoyés en camps de concentration, Goulag, Laogaî, et autres camps de redressement. Le communisme n'est pas à l'origine des dépénalisations de l'homosexualité. Note du Scrutateur).
Derrière, il y a le constat d’échec de la gauche ?
Quand j’étais patron de Charlie et que j’écrivais certaines choses sur l’Europe ou le conflit israélo-palestinien, cela produisait des réactions d’une violence que vous n’imaginez pas dans le milieu dans lequel j’évoluais. Je me suis alors souvent senti très seul en dehors de deux-trois compagnons de route très fidèles, comme Élisabeth Badinter, Pascal Bruckner. On s’est retrouvés confrontés à une « doriotisation » de la gauche qui nous a laissés tout seuls. Ce n’est pas nous qui avons quitté la gauche, c’est elle qui s’est retirée et a renié des valeurs que l’on ne peut pourtant pas négocier. Le fait que Valls soit parti en Espagne dit tout de cette désertification.
Depuis une pétition « Contre le nouvel antisémitisme » que vous avez signée dans Le Parisien, en avril 2018, al-Qaida a mis votre tête à prix. Et vous n’êtes pas le seul à vivre ainsi sous la menace à cause de propos tenus. Qu’est-ce que cela dit de la France d’aujourd’hui ?
Ceux qui comme moi vivent sous protection policière le sont le plus souvent pour des propos ayant à voir avec l’islam radical et le nouvel antisémitisme que cela entraîne. À un moment, bien qu’étant concerné au premier chef, on m’a demandé de ne plus parler à la télé, à la radio, on m’a même proposé de partir à l’étranger, ce que j’ai refusé… Il faut pouvoir parler et ouvrir un débat, crucial, car il touche à toutes les libertés - liberté de débattre, liberté des journalistes, liberté des artistes -, en un mot à la liberté d’expression au sens large. Il y a aujourd’hui des territoires d’expression qui sont occupés par la Terreur et dans lesquels on ne peut plus rentrer. C’est une atteinte à la souveraineté nationale, et le président de la République devrait dénoncer cette situation. Je me bats pour un monde où l’on peut encore écrire des livres, faire des journaux, s’exprimer librement en étant complètement dans la critique des idées et respectueux des gens. Critiquer une religion, c’est critiquer un dogme, pas ceux qui croient.
Et quel est votre sentiment sur le retour des djihadistes ?
Tout dépend de leur âge. Concernant les plus âgés, je ne crois guère à la rédemption. Après la Seconde Guerre mondiale et la découverte des camps d’extermination, on n’a pas dit aux nazis : « On va vous déradicaliser et vous allez avoir une vie tranquille et redevenir postier ou animateur socio-culturel en banlieue. » Non, les nazis, on les a chopés, jugés au procès de Nuremberg et traqués jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Je pense qu’à ce niveau d’horreur et de crimes commis - et à de très rares exceptions près - ces gens-là sont perdus pour l’humanité, mais je n’ai pas de solution.
Que pensez-vous du mouvement des « gilets jaune s» ?
Je suis frappé, malgré les propositions qui ont été faites, par la cristallisation de la haine sur la personne du président de la République. On peut s’opposer à un président, le critiquer, s’opposer à ses idées, mais pas le haïr. D’ailleurs, il n’est pas haïssable. Il est critiquable, ce n’est pas pareil. La haine exprimée n’est pas acceptable. Il s’est peut-être trompé, mais il n’y a pas eu d’ignominie. On voit une extrême droite et une extrême gauche résiduelles qui tiennent des propos hallucinants et ont des agissements inexcusables. Ce sont des gens radicalisés. Que des députés soient traqués dans leur circonscription, leur maison menacée, leur permanence attaquée - certains parce qu’ils sont noirs, d’autres parce que ce sont des femmes… -, c’est ahurissant. Ce n’est pas acceptable. C’est la tyrannie des minorités. C’est vraiment là encore le robespierrisme, c’est la Montagne, c’est la Révolution française après les massacres de septembre 1792. On ne peut pas accepter ça. Comme pour le radicalisme religieux, beaucoup de responsables politiques, de peur de se mettre à dos les « gilets jaunes », n’osent rien dire. Ils ont peur.
La peur est notamment véhiculée sur les réseaux sociaux que certains considèrent aujourd’hui comme l’expression du peuple.
Oui, c’est une foule qui terrorise. Les patrons de Facebook, Twitter et Instagram publient des informations fausses, diffamatoires, antisémites, des appels au meurtre de flics, de Juifs, de politiques… Ils doivent être éditorialement responsables, être comme les directeurs de journaux, qui sont directeurs de publications, pénalement responsables. Ils ont créé un monstre hors sol et se comportent comme des patrons de secte, des gourous qui sont en train de véroler l’État de droit, de ronger, comme des termites, toute la charpente des États de droit. Il faut changer cela.