16 Février 2019
Monsieur l'académicien,
J'apprends la nouvelle de la sauvage agression dont vous avez été la victime aujourd'hui, à Paris, de la part de gilets jaunes », si j'en crois les médias. Mais s'agit-il de gilets jaunes ? Depuis le début de cette affaire j'avais averti mes amis de garder des distances avec ce mouvement, m'étonnant de l'engouement de certains d'entre eux. J'avais pourtant une certaine sympathie pour ces Français trop méprisés par l'établissement. Je craignais que ces « innocents » en matière politique ne soient vite récupérés par les spécialistes de la subversion, que sont ceux qu'on appelle les « les gauchistes » en simplifiant un peu. J'ai connu, et vu de près cette engeance qu'est le trotskysme, pour l'avoir cotoyé (en observateur) dans les amphis, et les salles de cours de la Sorbonne où j'étudiais avant 1968. Il n'y a rien à espérer de bon de cette racaille dont l'un des actuels « maître à penser est l'ignoble Edwy Plennel. Tout laisse à penser que les gilets jaunes ne signifient plus rien. N'importe qui peut revêtir cet uniforme, et les brutes l'ont fait. Leurs insultes à votre égard, leur phrasé qui n'a rien de la gouaillerie française porte la marque de la bête immonde.
Mais monsieur l'académicien, que diable faisiez vous là où ils vous ont traqué ?
Ou bien vous étiez proche de votre domicile que vous regagniez, et tout s'explique. Votre « péché » serait donc d'imprudence.
Ou bien c'est la curiosité qui vous a inspiré, ou même l'illusion de pouvoir dialoguer avec ces militants fanatisés. Et là c'est une faute. Imaginons-nous le père Kolbe, ou même Jésus dialoguant avec Hitler pour le convaincre de renoncer à la Shoah. Vous savez ce que Jésus a subi il y a deux mille ans du fait d'une foule fanatisée ?
Dans cette deuxième hypothèse vous n'avez pas commis certes de « crime », mais une erreur qui aurait pu vous coûter cher.
Mais je suis étonné que le philosophe éminent que vous êtes ait oublié que vous alliez au-devant d'une foule, et le témoignage de l'illustre Sénèque qui disait qu'en vérité : « La foule est le critère du pire ».
Pour ma part, je me répète sans cesse, comme un mantra, le mot d'Horace : Odi profanum vulgus, et arceo », je hais le profane vulgaire, et je m'en écarte.
Le grand Aldous Huxley a penché comme moi, dans le même sens, disant que l'individu le plus noble immergé dans la foule sombre corps et bien : « Du fait qu'il est une unité dans la foule, l'individu est libéré des bornes de sa personnalité, il obtient accès au monde infra-personnel, infra-humain, du sentiment sans retenue, et de la croyance sans critique. Faire partie d'une foule est une expérience qui s'apparente de près à l'ivresse alcoolique ».
Par chance, monsieur, ou par intervention providentielle, vous n'aviez pas revêtu le damné gilet, et n'avez pu, de ce fait, engager le dialogue perdu d'avance avec la meute, et revêtu bientôt de ce fait la tunique grotesque de l'ilote ivre.
En même temps que je m'en réjouis, je vous adresse mes remerciements pour vos sages propos en ces nos temps de détresse, et mon admiration pour ce maître-livre que vous avez commis : La défaite de la pensée, (Gallimard) bréviaire du combattant dans notre crépuscule, ouvrage que, avec tant d'autres, je considère comme un témoignage de votre charité.
Le Scrutateur.
Le philosophe qui a croisé le cortège des manifestants avait exprimé une certaine sympathie pour les « gilets jaunes ». Dans un entretien au « Figaro », il déplorait la tournure prise par le mouvement.