2 Janvier 2019
Une assemblée nombreuse et fervente entourait le cercueil et la famille de monsieur Roger Bellon le samedi 31 décembre à l'occasion de ses obsèques. Nous partagions l'un et l'autre nombre de convictions importantes , et nos rencontres étaient l'occasion d'échanges interminables et précieux, dont je tirai le plus grand profit. Roger était une encyclopédie vivante, et certaines de ses admirations, notamment pour le général de Gaulle, étaient proches de la ferveur, dépassant d'ailleurs la mienne sur ce point particulier . Un jour où nous avions parlé de son grand homme, (en pleine rue de Nozières, devant son domicile, pendant plus d'une heure) et que j'osai émettre quelques réserves, mon ami qui était aussi un humoriste de talent me répondit en éclatant de rire, parodiant le philosophe Aristote : « il n'est de science que du général ».
Nous communiions aussi dans une prédilection pour la musique classique et pour l'opéra. Un jour de ces dernières années où il ne sortait plus guère, j'eus le plaisir de recevoir par paquet postal deux cassettes video de l'opéra André Chénier de Giordano. Je le remerciai en lui rendant visite en son auditorium privé de la rue de Nozières, où nous échangeâmes longuement.
La communauté guadeloupéenne tout entière perd avec lui une personnalité très enrichissante et noble.
J'adresse à sa famille, à ses fils mes condoléances et mon respect.
Edouard Boulogne.
(I) Hommage d'un de ses fils : C-H Bellon
Je m’exprimerai ici également au nom de mes frères
’’ Dans la vie tout peut arriver, y compris que l’honneur et l’honnêteté s’avèrent être un bon placement. ’’
Il s’agit d’une citation ’’transformée’’ du général de Gaulle que répétait souvent notre père et qui pourrait résumer sa vie. Tout ceux qui l’ont connu savent à quel point le général de Gaulle constituait un des socles de ses pensées.
Il associait cette citation à la ’’ transparence ’’, dans laquelle il n’y a aucune différence entre la lumière que l’on reçoit et celle que l’on réfléchit ; pas d’autre réfraction que celle de son indice personnel : la volonté d’être vrai.
Roger BELLON est né le 3 avril 1928 à Cayenne dans des circonstances très particulières de la vie de son père, Henri BELLON, originaire de Marseille. Celui-ci avait été ’’ injustement ’’ condamné à la détention perpétuelle dans une enceinte fortifiée au cours de la 1ere guerre mondiale par un tribunal militaire… tout comme le capitaine Dreyfus.
Emprisonné en 1915, c’est après 10 années d’incarcération, notamment à l’île dite du Diable , que des faits nouveaux permirent une liberté conditionnelle l’assignant à résidence à Cayenne où il pu exercer sa profession de coiffeur.
Dans ce contexte Henri BELLON rencontra notre grand-mère, Paulette MASSE, qu’il épousa en avril 1927 tandis qu’un arrêt de la Cour de Cassation le réhabilitait en lui rendant son entière liberté en juin 1927.
Roger fut le 1er fruit de cette union, suivi de son 1er frère, Henri en 1929. La famille BELLON séjourna ensuite quelques années à Aix-en-Provence au cours desquelles naquit le 2e frère de Roger, Maurice, en 1932. En 1934, Henri BELLON s’installa avec sa famille à Pointe-à-Pitre, lieu de naissance de son épouse, y ouvrit son salon de coiffure au 40 rue de Nozières, adresse où Roger BELLON résidera jusqu’à aujourd’hui.
Notre père devient donc citoyen de Pointe-à-Pitre à partir de l’âge de 6 ans, il effectue l’essentiel de sa scolarité au Lycée Carnot puis entreprend ses études au sein des facultés de Pharmacie et de Médecine de Paris entre 1947 et 1953 pour aboutir à un diplôme de pharmacien-biologiste.
En tant que Pharmacien-Biologiste, il inaugure le premier laboratoire d’analyses médicales privé de la Guadeloupe, à Pointe-à-Pitre en 1955. Il exercera son métier jusqu’au 29 septembre 1990.
Au cours de ses études il se rapproche de Carmen HUC, étudiante en pharmacie. la sœur de son ami Pierre HUC, qu’il connaissait depuis la Guadeloupe. Ils se marient le 18 juin 1955 à la mairie de Pointe à Pitre , date symbolique …. pourtant selon lui, accidentelle… ,. Outre une sœur qui ne vécut que quelques heures, mes trois frères et moi naîtrons de cette union.
A ce jour sa descendance se compose également de 7 petits-enfants et de 2 arrières petitsenfants.
Distingué dans sa vie professionnelle il le fut également dans sa vie civile en étant nommé Chevalier puis Officier de l’Ordre National du Mérite
Notre père était connu pour son érudition quasi encyclopédique et sa générosité exprimée par un rôle très actif dans le monde associatif notamment patriotique et par un parcours extra professionnel varié tant que son état de santé le lui permettait. Toujours dans le but de servir, il fût - Membre actif du Rotary Club Doyen de Pointe-à-Pitre depuis son origine - Président de la SA HLM de Guadeloupe - Membre fondateur de la section départementale des membres de l’Ordre National du Mérite - Coordonnateur des actions de l’AGAJ au Tribunal d’Instance de Pointe-à-Pitre pour la réinsertion d’anciens détenus - Trésorier du Comité Guadeloupéen du Souvenir du Gouverneur Félix EBOUE - Apprécié des militaires il intègre l’association des anciens des Troupes d’Infanterie de Marine ; l’Ancre d’Or, quoiqu’il n’ait jamais été militaire
S’il était sensible aux signes de reconnaissance, notre père nourrissait cependant d’autres valeurs ; Il affectionnait notamment : - Notre très grande famille qui le lui rendait bien - Les relations humaines - Sa patrie, la France - La beauté des arts,. Féru de musique classique il nous a appris à connaître les plus grands compositeurs, les plus grands opéras dont celui qui était pour lui la quintessence :« Carmen »
Sur la question de sa relation avec Dieu, il disait qu’il n’avait pas la foi mais qu’il était possédé par la foi.
Instruit par ses parents, il vénérait aussi la Vierge Marie qu’il appelait Notre Mère du Ciel.
Tout comme notre mère, il a vécu sa chrétienté surtout en dehors de l’Eglise, en faisant le bien autour de lui chaque foi que l’occasion se présentait, avec discrétion : le bruit fait peu de bien, le bien fait peu de bruit, répétait t’il.
Sa rencontre avec les Pères Blaise SURGAND et Hervé AUTRET en 1967 quand ils professaient dans cette paroisse fut le point de départ d’une relation amicale profonde interrompue seulement par le rappel à Dieu de ces derniers. Chacune de leurs rencontres renforçait sa confiance dans notre Seigneur.
C’est pourquoi il restait optimiste malgré les épreuves de sa vie comme la disparition de notre mère en 2001 et l’altération progressive de sa santé.
C’est pourquoi il ne craignait pas non plus la mort. Il s’est éteint le 28 décembre 2018, le jour de la fête des Innocents. Pour celui qui était très sensible à la signification des dates ce n’est certainement pas un fait du hasard.
Pour citer SAINT AUGUSTIN : ’’ Vous qui l’aurez connu dans ces quelques lignes priez Pour lui.
(II) Hommage de monsieur J-C Degras :
Né entre-deux-guerres, et faisant mémoire de cette tragédie, il disait « la mémoire se transmet, la gloire se donne » : affirmant que de la mémoire à l’espoir : « tout être pour réussir, doit avoir un guide. »
Le premier, son père, qui lui fit partager sa passion de la musique au point que concertos, opéras, requiem, symphonies n’ont plus de secret pour lui. « La musique, disait-il, est amitié, et dans Amitié il y a Amour. Bach c’est Dieu, Mozart est divin, Wagner c’est le héros et Debussy c’est le Français »
Le second fut sa famille, son épouse Carmen dont il évoquait le souvenir avec affection et nostalgie, et ses quatre enfants, Charles-Henri, Pascal-Eric, Pierre-Christian, et Jean-Jacques, pour lesquels il se conduisit en père attentif.
Le troisième fut monsieur le Maire, votre père Henri Bangou, dont il parlait avec reconnaissance, comme le fruit d’un attelage précieux, maître-élève, qui fut son précepteur et conforta au collège, ses règles de grammaire latine et grecque, matrices nourricières de son savoir encyclopédique.
Le quatrième fut sa foi, inamovible en Dieu. « A force de douter de tout, on finit, disait-il, par ne croire en rien…. J’ai plus que la foi, Je suis inspiré par la foi. »
Le cinquième fut son métier de biologiste. Son amour sacré des médecins, des savants, ceux qui humbles et modestes, expriment dans le silence de leur laboratoires, leur modestie face à la détresse et à la mort, furent pour lui les signatures d’une intelligence du cœur. Cette soif d’amour à répandre était si fort qu’il disait que « le hasard porte en avant ceux que la modestie retient en arrière. » ou « Le bruit fait peu de bien ; le bien fait peu de bruit. »
Homme de culture, il considérait que « le plus beau mot de notre langue, était le mot ENTHOUSIASME du Grec (Anthénos) qui signifie Dieu Intérieur ; Heureux disait-il, celui qui porte un Dieu en soi, un idéal de beauté et qui lui obéit – Idéal de l’Art, de la Science, de la Patrie, des vertus de l’Evangile. Ce sont là les sources des grandes pensées et des grandes actions humaines. Toutes s‘éclairent des reflets de l’Infini. »
Puisant ses sources relatives aux grandes préoccupations, de l’Antiquité à nos jours, il faisait souvent référence à Ernest Renan « Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent. Avoir fait de grandes choses ensemble et vouloir en faire d‘autres encore. Telles sont les conditions essentielles pour faire un peuple, un seul peuple. »
Opposé à la rancune de l’histoire, il s’inscrit entre le rejet systématique d’un passé honteux et la célébration d’une histoire glorieuse. Selon lui, la France ne peut en aucun cas être réduite à quelque entité politique, démographique ou économique. Elle est pour lui, l’héritage d‘une tradition, de penseurs, (écrivains, poètes, artistes, philosophes, médecins, mathématiciens de génie), qui contribuèrent tous par leurs connaissances au rayonnement de notre pays, servi par une langue merveilleusement dessinée par les formes généreuses de l’esprit, dans lesquelles il exaltait toute la pétulance et l’exubérance de son intelligence.
La France, Sa France terre de liberté est pour lui plus qu’une idée, elle est une vocation, une histoire, un destin qu’incarnait notamment la figure historique du Général de Gaulle, associée à celle d’un Guyanais comme lui, le Gouverneur Général Félix Eboué. La providence de l’Homme du 18 juin et celle de celui du ralliement du Tchad, lui faisait souvent dire qu’ils étaient l’un et l’autre, d’authentiques Français, des Rois sans couronne qui sauvèrent la France en 1940. « On ne se trompe jamais à terme, disait-il, quand on veut croire en la France, on ne regrette finalement jamais de l’avoir aidée et de l’avoir aimée. »
Servir était son crédo… Membre d’Honneur du Rotary club de Pointe-à-Pitre Doyen, tous ont encore le souvenir de ses discours mémorables sur l’origine linguistique et historique des prénoms, des noms, et de tous les Saints du calendrier.
Fidèle parmi les fidèles, soldat de l’Absolu, il ne fit aucune concession, à ses croyances et à ses certitudes, persuadé que l’ignorance est le terreau de l’arbitraire dans le droit sacré des consciences.
Face à l‘adversité, il avait cette retenue pudique qui suscite respect, indulgence et clémence. Grâce à l’acuité de sa pensée et de sa foi il considérait que rien n’était jamais perdu, parce que constamment dans la transcendance, le dépassement de soi, le Beau, le Sublime et le Sacré, tel le musicien qui cherche à atteindre la pointe de l’extase divine.
A la hauteur de son humilité, il était intimement persuadé qu’au moment de la mort, l’affranchissement de l’esprit, était le point de convergence ultime de l’Être ; celui qui précède le réveil éternel avant de vivre Dieu en pleine lumière.
« Quand on porte la foi, disait-il, on peut être assuré que Dieu ne capitule jamais, car Dieu n’a jamais capitulé son amour des autres » ; et, dans sa prière à Marie », joignant le geste à la parole, il disait avec ferveur à son auditoire : « Sainte Marie priez pour nous pauvres pêcheurs et MAIN-TENANT et à l’heure de notre mort, ainsi-soit-il. » comme un passage de témoin de pur amour vers Dieu.
Sa famille, sa musique, ses amis, ses maîtres à penser, Dieu et sa foi, furent pour lui, des passeurs de vie ; derniers héritiers d’une époque, d’une tradition noble et précieuse qu’il nous faut, préserver à l’aune de ce qu’il répétait souvent : « Il n’ y a de science que du général. Et pour que la sortie soit parfaite ; qu’il nous soit permis cette paraphrase de Saint-Augustin : Vous qui l’aurez connu dans ces quelques lignes, priez pour lui. »