16 Octobre 2018
Très belle interview de Philippe de Villiers dans le dernier numéro de Valeurs Actuelles. Trop longue pour être intégralement reproduite ici. En voici des extraits superbes. (Le Scrutateur).
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(…..) Une multiplication de Puy du Fou pourrait-elle suffire à contrebalancer ce déficit de pietas dont nous souffrons et dont est mort, pour partie, l’Empire romain?
À chacun d’imaginer sa manière d’accrocher à contre-pente son piolet. Ce sont les minorités et les idées qui mènent le monde: il faut avoir les bonnes minorités et les bonnes idées. Or, il se trouve que les idées, celles du bon sens et de la survie, c’est nous qui les avons. La postmondialisation ouvre les bras à ceux qui croient à l’homme enraciné, sexué et aux patries chamelles...
Pour moi, la mondialisation est finie et nous sommes passés à la postmondialisation sans que les élites s’en soient rendu compte. On va vers l’“orbanisation” des esprits, à savoir le retour des choses simples: une frontière est une frontière, un État est un État, une souveraineté est une souveraineté et le peuple est le peuple — on ne peut pas décider sans lui. Toutes notions qui étaient données perdantes lorsque j’étais encore en politique sont en train de triompher. Il y a donc un vent de panique chez les élites, qui les pousse à l’anathème parce qu’il “faut sauver l'Aquarius” — c’est-à-dire sauver le radeau des élites immigrationnistes. Nous autres Français de la “start-up nation” avons du mal à comprendre ce mouvement inverse qui gagne le monde entier, parce que nous sommes les derniers à croire encore à l’utopie mondialiste. C’est pour ça que nous avons élu un président qui est un parangon du mondialisme finissant. Mais partout ailleurs, les choses bougent de manière incroyable.
Les deux mondialismes vont se manger entre eux. Le mondialisme hédoniste, celui de l’homme, nomade, et le mondialisme islamiste, celui de l’homme du djihad, se détestent, mais s’appellent l’un l’autre et se nourrissent mutuellement. Ils sont incompatibles et les deux sont stériles. Viendra un moment où le mondialisme hédoniste fera une fixation sur le mondialisme islamiste, malgré les islamo-gauchistes. Quand l’islam imposera sa censure aux LGBT et imposera le halal aux sushis des beaux quartiers.
À propos de clivage, dans quel camp vous situez-vous entre les populistes et les progressistes?
Dans celui des populistes. J’ai entendu notre président dénoncer « la lèpre populiste ». Je lui réponds: “Emmanuel, je porte ma crécelle, je suis lépreux.” Être progressiste, aujourd’hui, c’est être pour l’enfant sans père, pour l’abolition de toute frontière, de tout État, de toute souveraineté, pour le glyphosate, le multiculturalisme qui conduit à des sociétés multidéculturées? C’est voir l’Europe se désagréger, se disloquer et vouloir continuer à mettre de la chaux vive sur la plaie? C’est être pour le transhumanisme, pour l’eugénisme, c’est-à-dire réinventer Hitler? Je pense que le progressisme est mort.
Ce qui revit en revanche dans le coeur des gens, c’est le populisme, c’est-à-dire des valeurs simples, les terroirs, les pérennités, les ferveurs, la filiation, l’histoire qui fait l’histoire. Nous sommes à nouveau dans un monde de nations. Et je trouve d’ailleurs que tout ce que dit Salvini, notamment qu’il faudrait faire; ( A une question que lui avait posé Macron, avant son élection, il avait répondu je lui ai répondu) : «Il faut aller chercher partout l’écho de la France de l’intime.» Il a noté la formule et l’a approuvée. Puis il m’a posé la question de la fonction présidentielle; je lui ai dit: «Il faut un président anormal qui incarne enfin la fonction symbolique; il faut que le président habite le corps du roi au sens des légistes de l’Ancien Régime », et il a repris cette formule à son compte. J’ai même pensé, dans les premiers temps, au Louvre, puis avec Trump sur les Champs- Élysées et Poutine à Versailles, que le nouveau président allait pratiquer la verticalité régalienne et déposer sur son chemin les petits cailloux symboliques des grandeurs françaises...
Et aujourd’hui?
Je pense hélas qu’il n’habite pas la fonction et se trompe d’urgence. Pour moi, le président a aujourd’hui une mission vitale : sauver la civilisation française ; et, pour la sauver, il faut rétablir l’identité, c’est-à-dire l’idée de la frontière. D’abord de la frontière géographique, sans laquelle le citoyen est appelé à se dégrader en consommateur compulsif sur un marché planétaire de masse, ce qui est l’utopie des libéraux-libertaires post-soixante-huitards, ensuite de la frontière anthropologique, puisque, aujourd’hui, nous vivons une décivilisation qui ne reconnaît plus la hiérarchie des valeurs distinctives: la barrière des espèces — aujourd’hui il vaut mieux être un petit panda au zoo de Beauval, visité par Brigitte Macron, plutôt qu’un embryon expérimental, visité par les blouses blanches, qui n’est pas sûr de survivre dans le ventre de sa mère face à l’avortement laïque et obligatoire; la barrière entre la vie et la mort — il ne fait pas bon être un vieillard, on ne sait pas trop ce qui va nous arriver, on guette la première seringue qui entre dans la chambre; et enfin la barrière entre les sexes, puisque la théorie du genre veut tous nous appeler à devenir des hermaphrodites.
J’avais l’espoir naïf, comme tant d’autres, qu’Emmanuel Macron aurait compris cette mission métapolitique; or, quand j’ai vu la fête de la Musique à l’Élysée, avec les transsexuels en résille, et le doigt d’honneur des Antilles, j’ai compris qu’il n’avait pas compris... Je pense, aujourd’hui, qu’il est peut-être le phénomène ultime de l’accomplissement de cette hybridation, unique dans l’histoire, de l’extrême centre, caractérisé par le rejet de la politique, et du mar-keting, qui est son effacement au profit de l’image.
De ce point de vue, Macron s’est “sarkoïsé” à , vitesse grand V, il est devenu la caricature de Sarkozy — ce qui n’est pas rien...
La dernière fois que nous nous étions vus, vous nous aviez expliqué comment vous conceviez votre engagement, de façon métapolitique. Est-ce que vous êtes toujours aussi heureux dans ce rôle?
J’ai changé de vie, j’ai une vie trépidante, plus active qu’avant ; elle est aussi beaucoup plus agréable, parce que c’est une vie créative. Quand on est dans la création perpétuelle, comme au Puy du Fou, en France et à l’étranger, ou dans l’écriture, on n’est jamais dans le regret, le remords, on est dans une tension permanente... Cependant, depuis mon Aventin — qui n’en est pas vraiment un, c’est plutôt un promontoire qui me permet de regarder loin vers les nuages chargés de soufre, je vois le pays qui se défait et cela me navre; je ne peux pas dire que je suis heureux, je suis consterné de voir le décalage entre le pays qui coule et la vanité, la bêtise, la légèreté de nos élites, des histrions qui sifflotent sur le Titanic. Il n’y a plus d’hommes d’État; là où on attendrait des hommes lucides en proie à la souffrance et doués d’une volonté de fer pour rétablir les choses, on a des translucides qui ne pensent qu’à leur grimage. Dieu merci, Clovis nous rappelle que l’histoire n’est pas logique, que l’homme n’est pas logique, que les sursauts viennent toujours de nulle part. Et que tout est toujours possible.
Propos recueillis par la rédaction de Valeurs Actuelles du 11 octobre 2018.