12 Octobre 2018
Je remercie mon ami André Quidal d'avoir confié au Scrutateur son sentiment sur Maryse Condé qui vient d'obtenir le prix Nobel alternatif de cette année. Sa famille et la Guadeloupe peuvent être fiers, surtout quand on songe qu'Aimé Césaire lui-même n'avait pas obtenu ce prix, ni même Patrick Chamoiseau. (Le Scrutateur).
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Maryse CONDE est sans conteste notre meilleur écrivain guadeloupéen et sans doute de la Caraïbe de langue française, bien sûr. A moins de compter André Schwarz-Bart, l’auteur du « Dernier des Justes » prix Goncourt 1959, décédé depuis, comme un enfant de la Guadeloupe, ce pays, qu’il a si tellement aimé – à commencer par Simone, sa femme. Et pour cela elle mérite le Prix Nobel, pour l’ensemble de son œuvre.
Mon premier et merveilleux contact avec cette œuvre fut « Ségou », une saga en deux volumes, « Les Murailles de terre » et « La terre en miettes ». J’avalai le premier volume, empressé d’attaquer le second. Je le regrettai d’ailleurs, puisque je le finis aussi vite. Je fus tout de suite conquis par cette écriture exigeante et fluide, résultat du travail de son institutrice de mère, de ces enseignants guadeloupéens d’antan qui ne transigeaient pas avec des règles de grammaire et d’orthographe apprises par cœur et appliquées avec la rigueur qui permet après toutes les libertés stylistiques, comme les gammes d’une partition de musique classique.
Sous le charme de « Ségou », je fus époustouflé par « La vie scélérate » par cette longue phrase, qui gambade sur trois pages et qu’on ne finit pas de relire, non pas que l’on s’y perd mais parce qu’on est heureux, comme dans « A l’ombre des Jeunes filles en fleurs » de Proust, de se sentir si bon lecteur et aussi pour ne rater aucune subtilité. La clarté du style vous y aide merveilleusement.
J’ai beaucoup moins aimé, pour des raisons personnelles, « Le cœur à rire et à pleurer ». C’est pourquoi, je me suis fait un devoir de lire tous ses romans et surtout le dernier, « La vie sans fards », où elle revient sur son aventure africaine, de ses amours du début. Ah ! elle est sans fards, sans faux artifices, l’Afrique qu’elle nous décrit. Mais toujours cette beauté du style. On peut tout dire. « Mais pourvu qu’en termes galants ces choses-là soient dites » recommandait Philinte à Orante dans le Misanthrope de Molière. Et Maryse Condé a l’art et la manière de parler parfois cru sans pourtant choquer, sauf quelque Tartuffe, toujours en référence à Molière :
« ….. Ah ! mon Dieu ! je vous prie,
« Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir
«….. Couvrez ce sein que je ne saurais voir
« Par de pareils objets les âmes sont blessées
« Et cela fait venir de coupables pensées. »
Mon âme fut ravie et sans coupables pensées. Je vais relire encore les deux tomes de « Ségou » pour me « rémerveiller » si celui ou celle à qui je les avais prêtés et non donnés veut bien me les rendre.
André Quidal.