1 Octobre 2018
Sur facebook, hier 1er octobre, j'incitais à plus de modération dans les commentaires sur la personne du président de la République. Par tempérament je déteste la vulgarité et les jugements sans nuances.
Hier encore mais dans la soirée je découvrais cette visite d'Emmanuel Macron à une famille saint-martinoise où réside deux jeunes-gens récemment encore emprisonnés pour des délits graves, et leurs surprenantes pantomines, en caleçons, enlaçant un président hilare et complice. Choqué, par cet étrange spectacle, mais soucieux de ne pas réagir à froid en fulminant, je me contentai de regretter que M. Maçron se soit pris pour l'abbé Pierre, ou quelque éducateur de rue, soucieux d'insuffler à ces « djeuns » un peu de la confiance en soi nécessaire à leur réintégration dans la société.
Mais le président n'est pas un éducateur de rue, il est le chef de l'Etat. Il y a dans cette fonction quelque chose de sacré qui, hier, semble bien avoir été profané. Emmanuel Macron, si soucieux il y a un an de rendre à la fonction présidentielle si abîmée par François Hollande son indispensable grandeur aurait dû se rappeler le général de Gaulle, dans Le fil de l'épée rappelant que le pouvoir ne pas sans dignité, et que sa pratique impose au titulaire : distance et mystère.
En vérité le président est trop jeune, il manque d'expérience et s'abandonne trop facilement à l'exaltation théâtrale, nourrie aussi de cette idéologie qui imprègne trop de gens de sa génération le libéralisme libertaire incarné en 1968 par le grossier Daniel Cohn-Bendit qui est devenu un de ses plus chauds partisans. Voilà qui m'inquiète, et qui émeut jusqu'à l'un de ses plus chauds partisans du début et qui le dit dans un article, sans hystérie, ce qui m'agrée : Le président m'inquiète.
Le Scrutateur.
(http://www.philippebilger.com/ )
Je me souviens de mon dialogue avec mon ami Ivan Rioufol sur l'interrogation suivante : Macron, sauveur ou hypnotiseur ? Il était très hostile au président de la République quand je le défendais sans aller jusqu'à le traiter de "sauveur".
Nos échanges, dans Valeurs actuelles, datent du 8 février 2018.
Mais depuis du temps a passé et comme Emmanuel Macron a changé !
Aujourd'hui il m'inquiète.
Je discute moins le fond de sa politique puisqu'il a mené à bien deux réformes capitales pour le droit du travail et la rénovation de la SNCF et que ce n'est pas rien. Je n'exclus pas qu'il soit sincère quand il affirme que son gouvernement et lui vont continuer à réformer mais ce qui pouvait apparaître hier comme une chance est imprégné, à cause de sa personnalité révélée sous un jour nouveau depuis quelques mois, d'une sorte de menace diffuse. On est moins sûr de sa lucidité, on lui fait moins confiance. Cet être qualifié, dans ses débuts, d'exceptionnel est atteint depuis quelque temps par le poison de la banalisation et, classiquement, par le danger de la solitude impérieuse.
Il ne s'agit pas de revenir sur l'affaire Benalla qui n'est que le symptôme éclatant d'une complicité étrangement amicale ayant uni le président à peu ou prou son garde du corps capable d'accomplir de multiples tâches sans lien avec son statut officiel.
L'extravagance ayant propulsé Philippe Besson a été suffisamment dénoncée.
Une Fête de la musique à l'Elysée d'un genre très particulier et c'est un euphémisme !
Un parfum suspect d'abus régaliens.
Je perçois surtout dans les attitudes d'Emmanuel Macron des pratiques de rupture et aussi des fluctuations, évolutions ou contradictions d'un caractère qui durant plus d'un an avait su tenir une ligne et faire preuve d'une maîtrise dont on a la nostalgie.
Mais quelle dérive qui fait surgir un Emmanuel Macron si peu conforme à l'image positive qu'il avait pourtant cultivée avec talent et obstination au début de son quinquennat !
Cet être qu'on imaginait solide, calme, méthodique, ancré dans un dessein à long terme pour la France, se révèle tout de culbutes, d'un pragmatisme adapté au fil du temps et aux récriminations, démagogique dans la mesure où il répond à l'humeur des citoyens. Les voltes brutales se multiplient et elles ne sont inspirées que par l'écoute au jour le jour des doléances et des adhésions. Une présidence à la godille plus qu'à la corbeille !
La parole rare avec les journalistes est devenue profuse. Confronté aux sondages en berne qui ne démontrent pourtant pas de manière infaillible l'imperfection de sa politique, il en tient compte, affirme qu'il va écouter les citoyens et son arrogance peut-être prétendue se métamorphose en une navrante promiscuité démocratique.
Il passe d'une page à l'autre et c'est si vite fait, si ostensible, que cela ne renvoie jamais à l'idée d'un projet global qui se traduirait avec résolution et cohérence. On tape sur les retraités puis on les flatte. On favorise les riches puis on se souvient des pauvres. On célèbre la mémoire du communiste Maurice Audin ayant servi la cause du FLN puis on se penche sur les Harkis. On oscille d'une erreur à un rattrapage mais sans que la société soit assurée de la pertinence de ces contrastes plus improvisés que réfléchis. Le discours de la méthode est bien loin qui promettait méthode pour le discours et pour l'action.
On accomplit, sur le plan judiciaire, des inquisitions qui révèlent une indifférence totale à l'égard d'une conception classique de l'état de droit et des légitimes limites du pouvoir régalien.
On a eu parfois des paroles rudes mais signifiantes pour dire la vérité aux Français mais on tombe de plus en plus souvent dans une vulgarité insupportable chez une personnalité comme la sienne qui laissait tout espérer sauf ce verbe et ces comportements.
Est-il inconcevable, pour fuir l'accusation d'arrogance et de distance, de ne pas passer d'un seul coup de ces séquences que pour ma part j'ai souvent défendues à une hystérisation du contact populaire qui de manière inquiétante nous montre un président hors de lui-même encadré par deux torses nus et, si j'ose dire, par un doigt d'honneur ? Adressé à qui ? A la France, aux Français, au président ?
Serait-il impossible qu'Emmanuel Macron pourtant si inventif et argumenté quand il s'en donne la peine sorte d'un propos monomaniaque sur les progressistes confortablement opposés aux populistes - le Bien contre le Mal sans l'ombre d'une démonstration et malgré l'aval des peuples concernés - et sur le RN qui ne serait pas le "peuple" alors que lui aimerait tous les enfants de la République ? Je me demande si à la longue beaucoup de citoyens n'en auront pas assez de ces pétitions de principe qui proclament acquises des évidences jamais prouvées.
On n'attend pas du président qu'il soit un prix de vertu, sauf transgressions pénales à condamner, mais une personnalité qui nous rassure, nous fasse honneur, tienne avec constance, énergie et stabilité un cap. Qu'Emmanuel Macron revienne vite aux sources !
Je ne voudrais pas, à cause de ce qu'il a laissé apparaître depuis quelques mois sur beaucoup de registres, qu'on soit incité à regretter Nicolas Sarkozy dont la délicatesse n'était pas le fort et à pardonner à François Hollande qui a osé se prétendre "à la hauteur" .
Le président m'inquiète.
Philippe Bilger.