15 Septembre 2018
« Je crains l'homme d'un seul livre » écrivait BOSSUET. Il avait raison. Tant en philosophie, dans les sciences, en matière juridique, et a priori en histoire, il est nécessaire qu'une thèse soit passée au crible du doute méthodique, confrontée à des thèses adverses. Particulièrement en histoire surtout sur l'histoire contemporaine, tant il est vrai que nombre d'historiens ont moins le souci de la vérité (toujours complexe), que celui de « prouver » la vérité de leur parti-pris idéologique.
L'affaire dite AUDIN en est un exemple éminent, remise à l'ordre du jour, pour des raisons politiciennes, par ce petit déconneur d'Emmanuel Macron.
Je vous propose, pour y réfléchir, cet article plein de mesure et de circonspection de monsieur Jean Monneret. (Le Scrutateur).
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Vérités et propagandes sur l’Affaire Audin
(1957-2012)
Jean MONNERET
(http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2014/12/16/31077000.html )
La Bataille d’Alger
En quoi consiste l’affaire Audin ? Il s’agit d’une disparition. Celle d’un jeune mathématicien, assistant à la Faculté d’Alger. Membre du Parti Communiste Algérien (P.C.A.) et favorable à l’Indépendance, il était soupçonné d’avoir hébergé des militants clandestins de son parti, lequel était dissous depuis le 13 septembre 1955. Ceci se produisit en pleine Guerre d’Algérie, durant un épisode appelé la Bataille d’Alger.
Maurice Audin fut arrêté dans la nuit du 11 au 12 juin 1957 par les paras de la 10e D.P. Le bruit courut assez vite qu’il avait été torturé. Il fut assigné à résidence et, le 1er juillet, on apprit qu’il s’était évadé et n’avait pas reparu. Au début du même mois, son épouse Josette et ses avocats (communistes) très sceptiques quant à l'évasion, portèrent plainte contre X pour homicide volontaire. Le bruit se répandit cette fois qu’il était mort sous la torture. L’affaire Audin commençait.
Que s’était-il passé ? Ou plutôt peut-on savoir ce qui s’est passé ? Essayons de répondre.
Le 20 juin 1956, le Front de Libération Nationale[i] (FLN) avait déclenché dans les rues d’Alger une vague d’attentats aveugles contre les Européens. Deux rebelles, pris les armes à la main, venaient d’être exécutés à la prison Barberousse. En représailles, Ouamrane, le chef de l’insurrection dans l’Algérois avait ordonné d’abattre tout pied-noir âgé de 18 à 60 ans. Ces attentats contre des civils innocents s’étaient multipliés ; femmes et enfants n’étant pas épargnés.
À l’automne, l’horreur des agressions à la bombe commises dans des établissements du centre-ville, au Milk Bar, à la Cafétéria, au Coq-Hardi et en bien d’autres lieux bouleversa l’opinion en Algérie et en France, comme d’ailleurs, l’opinion internationale, car, les correspondants de presse rapportaient et filmaient quotidiennement ces événements. Le 10 août 1956 un attentat contre-terroriste dans la Casbah fit de nombreux morts
Devant la gravité de la situation, le ministre résidant, le socialiste Robert Lacoste, avait décidé le 7 janvier 1957, de remettre les pouvoirs de police du Préfet Baret au général Massu. Les parachutistes qu’il commandait investirent la capitale. Ils entreprirent d’y démanteler sans mollesse les réseaux du FLN.
Le 9 juin 1957, un nouvel attentat de ce dernier au Casino de la Corniche, à Saint-Eugène, fit 8 morts et une dizaine de blessés, surtout parmi les jeunes israélites qui, nombreux, fréquentaient cet établissement. Des femmes, des jeunes filles figurèrent en nombre parmi les victimes.
L’arrestation d’Audin se produisit trois jours plus tard. Elle ne découlait pas des activités du FLN que nous venons de décrire. Le parti communiste algérien auquel avait appartenu le jeune mathématicien était certes favorable à l’indépendance de l’Algérie, mais son interpellation n’était pas en lien direct avec les bombes déposées dans Alger par les réseaux nationalistes[ii].
Les communistes et les nationalistes algériens avaient des relations aussi tendues que complexes. Leur hostilité remontait au moins aux années 1930 et, à l’époque du Front Populaire, la presse du parti appelait les nationalistes, des nazionalistes. En 1945, au moment des événements de Sétif, les communistes étaient de ceux qui réclamaient la répression la plus ferme contre les fauteurs de trouble[iii].
Quelques mois après le déclenchement de l’insurrection du 1er novembre 1954, le PCA, initialement très réservé, avait créé sa propre organisation de lutte armée, les Combattants de la Libération (C.D.L.). Ces derniers avaient eu la prétention de mener un combat autonome. La désertion de l’aspirant communiste Maillot avec emport d’armes, les avait incités à créer leur propre maquis.
Le FLN ne l’entendait pas de cette oreille et il avait imposé aux CDL de remettre les armes de Maillot et de se dissoudre pour rejoindre, individuellement, les maquis nationalistes. Le PCA officiellement interdit, continuait d’exister clandestinement en distribuant des tracts et en diffusant des journaux. En revanche, il avait dû abandonner toute velléité de diriger, ou même simplement d’influencer, le déroulement de la lutte armée. C’était le monopole du FLN.
Des militants communistes organisaient secrètement des filières d’accueil pour leurs propres dirigeants traqués. Ils les cachaient ou les exfiltraient[iv], selon le cas. Maurice Audin était un important hébergeur. Les parachutistes l’accusaient d’avoir abrité chez lui le nommé Caballero, chef communiste en cavale.
Les militaires arrêtèrent Audin (11/12 juin 1957) et ayant organisé une souricière dans son appartement, ils y appréhendèrent, trois jours après, le nommé Henri Alleg, ex-directeur du journal communiste interdit Alger-Républicain. Les deux hommes furent conduits au centre de tri d’El Biar. Ils y furent interrogés sans ménagement et Alleg détailla plus tard, les épreuves endurées dans un livre publié en France et, intitulé La Question.
Dès le début du conflit algérien, les milieux intellectuels métropolitains s’étaient émus de la brutalité des interrogatoires menés par certains groupes de militaires français. Une véritable campagne s’étant engagée en ce sens, alimentée par des journaux comme L’Express, France Observateur et L’Humanité.
Atténuée par l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement socialiste en janvier 1956, elle reprit de plus belle lorsqu’il devint évident que le nouveau gouvernement allait amplifier les opérations militaires. Et non pas faire la paix comme il l’avait laissé entendre.
Dans les milieux opposés à la Guerre d’Algérie et plus ou moins favorables à l’indépendance, la torture fut souvent présentée comme une activité systématique et généralisée des militaires français (ce qui était inexact mais la désinformation sur ce point n’a jamais cessé). La dénonciation de la torture se centra vite sur le cas du mathématicien et un Comité Audin fut créé en novembre 1957.
Les disparitions durant la Guerre d’Algérie furent assez fréquentes : plusieurs milliers de civils en furent victimes tant du fait de l’activité des forces de l’ordre, que du fait des rebelles du FLN. Pourquoi la victime Audin a-t-elle connu ce traitement médiatique «privilégié» ? Pourquoi ce disparu-là fut-il élevé au rang de symbole de la lutte menée par des intellectuels (de gauche pour l’essentiel) contre la torture ?
Un premier élément de réponse nous est fourni par le fait que le problème de la torture mobilisait bien au-delà du milieu communiste. Ce fut l’habileté de ceux qui soutinrent le Comité. Ils débordaient largement les cercles communistes, même si ceux-ci jouèrent un rôle important.
Pierre Vidal-Naquet, le secrétaire du Comité Audin et sa cheville ouvrière, était représentatif de ce genre de personne, hostile à la torture certes mais peu favorable au communisme stalinien. Il était même de sensibilité trotskyste, ce qui dans ce contexte ne pouvait pas tomber plus mal, car l’antagonisme était alors très vif entre ce courant et les communistes «orthodoxes».
Dans la France de 1957, ceux-ci étaient à peine informés de la déstalinisation et étroitement formatés pour un appui inconditionnel à leurs chefs Maurice Thorez et Jacques Duclos. Ils connaissaient mal le rapport Khrouchtchev de 1956 contre Staline et le bureau politique du PCF cachait à peine son hostilité à ce texte (invariablement désigné dans sa presse comme «le rapport attribué au camarade Khrouchtchev»).
Mais Vidal-Naquet et les animateurs du Comité surent faire taire leurs divergences qui n’étaient pas minces. Ils collaborèrent très longtemps sur ce dossier précis en mettant entre parenthèses leurs désaccords[v]. La chose, à cette époque, était des plus rares.
Son livre L’affaire Audin[vi], contient d’autres éléments qui éclairent les raisons pour lesquelles le cas du jeune mathématicien devint emblématique. Citons la page 30 :
«Nous étions quelques-uns à penser que cette bataille [contre la torture] avait besoin d’un nom et d’un symbole comme l’avait été autrefois Alfred Dreyfus et ce fut le nom de Maurice Audin qui fut choisi.
Le nom, et la référence à l’affaire Dreyfus, étaient bien et mal choisis. Ils étaient bien choisis parce que Maurice Audin était à la fois un Européen, ce qui évitait les réactions racistes contre les SNP (sans nom patronymique). Mohammed, un communiste ce qui lui attirait la sympathie d’une fraction alors importante de l’opinion – et, de fait la presse communiste ne cessa jamais de mettre en avant le nom de celui qu’elle appelait «le jeune savant» - avec, il est vrai, en contrepartie, l’hostilité d’autres secteurs. Il était, enfin un universitaire, un mathématicien de niveau honorable[vii], dont la thèse venait d’être achevée sous la direction de Laurent Schwartz, très jeune de surcroît – il avait vingt-cinq ans -, ce qui provoquait des solidarités corporatives, et d’abord celle de ses collègues assistants, dont j’étais.»
En résumé, à la question : pourquoi Maurice Audin, disparu de la Bataille d’Alger, fut-il été au centre d’une campagne de soutien à son épouse et de dénonciation des pratiques des militaires français qui l’ont arrêté, nous répondrons, - avec son défenseur principal Pierre Vidal-Naquet -,
- parce que Maurice Audin était européen,
- parce qu’il était communiste,
- parce qu’il était universitaire.
Ajoutons enfin que Madame Josette Audin, épouse du disparu, joua un rôle-clé. Disposant de contacts universitaires, juridiques et administratifs, elle connaissait les codes et les ressorts de la société européenne. Bien conseillée, elle put agir sans délai lorsqu’elle apprit que son mari s’était évadé (l’évasion n’étant qu’une des thèses, aujourd’hui battue en brèche, expliquant la disparition d’Audin).
Il faut reconnaître aussi que tout au long des décennies écoulées, cette dame fit preuve d’une ténacité hors du commun. La mobilisation de l’appareil communiste ne faiblira pas davantage. Elle se manifesta en particulier par l’inlassable activité d’avocats dévoués et compétents.
un double problème
Au cours de la Bataille d’Alger, des instances militaires locales chargées d’interroger les suspects utilisèrent la torture pour obtenir des renseignements. Ce point est établi et aucun historien ne le conteste, d’autant moins que le général commandant ces opérations, Jacques Massu l’a indiqué dans ses mémoires : «Le procédé le plus couramment utilisé, en sus des gifles, était l’électricité par usage des génératrices des postes de radio (la gégène : première syllabe du mot génératrice) et application d’électrodes sur différents points du corps. Je l’ai expérimenté sur moi-même dans mon bureau d’Hydra au début de 1957, et la plupart de mes officiers en ont fait autant» (J. Massu La vraie bataille d’Alger Ed. Plon p. 165).
Les responsables militaires de cette époque aujourd’hui décédés comme Massu ont déclaré non moins régulièrement avoir reçu des instructions des dirigeants politiques auxquels ils obéissaient. Ceux-ci leur ont toujours assuré qu’ils seraient «couverts» pour ce qui adviendrait. Ces personnages appartenant à la sphère politique étaient, pratiquement toujours, des hommes de gauche. Certains commentateurs aujourd’hui ont tendance à gommer leurs responsabilités. Celles-ci doivent être rappelées et non pas exclusivement attribuées à des militaires.
Parmi les officiers français, certains de tout premier plan, étaient hostiles à la torture et le firent savoir : le colonel Yves Godard alors placé à la tête du secteur Alger-Sahel, le colonel Trinquier chargé d’assurer la collecte des renseignements, le commandant Helie Denoix de Saint-Marc et de nombreux autres officiers moins connus[viii]. Un autre officier Jacques Parîs de Bollardière s’est opposé à la torture. Il l’a fait dans des conditions spéciales, en approuvant publiquement le livre de Jean-Jacques Servan-Schreiber Lieutenant en Algérie et en se plaçant en opposition déclarée à la politique gouvernementale. Sa manière d’agir ne pouvait avoir le soutien de ses collègues dans l’Armée.
Dans cette étude, nous ne dirons pas que l’armée française en Algérie a utilisé la torture. Cette formulation par trop générale est celle de milieux antimilitaristes ou favorables au FLN. La réalité est infiniment plus complexe ; la torture fut utilisée, mais, ni systématiquement ni partout.
Un officier du 3e RPC qui participa à la Bataille d’Alger, le général Maurice Schmitt devenu ultérieurement Chef d’État-Major des Armées, entre 1987 et 1991, écrivit deux livres concernant l’épisode algérois de sa carrière, car, il fut mis en cause par d’anciens terroristes. Après avoir rappelé le côté atroce des activités de ceux-ci, le général (alors lieutenant) a indiqué que dans de nombreux cas, la destruction des filières du FLN n’avait pas nécessité la torture.
La confession des terroristes s’est souvent produite sans pression physique. Nombre de réseaux purent être détruits parce que des terroristes eux-mêmes, leurs chefs parfois, les livrèrent pour obtenir de sauver leur vie. Le général Schmitt affirme ceci : «…..Je maintiens que grâce à M. Moulay (Un terroriste ayant avoué sans contrainte), les interrogatoires durs qui, je l’ai écrit, nous répugnaient ont pu être très limités voire évités. » Alger-Eté 1957, éd L’Harmattan, 2002, p. 24.
Un autre soldat français de grande classe et de grand courage, le lieutenant-colonel Allaire arrêta Larbi Ben M’Hidi, très important chef du FLN. Jacques Allaire nous a expliqué que l’interpellation de celui-ci se fit sans violence. Uniquement par astuce en recourant à la manipulation et à l’infiltration. Son témoignage est enregistré et déposé au CDHA à Aix en-Provence, 29 avenue de Tubingen). Remis à l’équipe d’Aussaresses (voir 2e partie ) Ben M ’Hidi fut ensuite exécuté.
Le problème moral que pose l’usage de la torture ne saurait être traité à la légère. Il en est tout particulièrement ainsi dans un pays de civilisation chrétienne comme la France.
L’écriture sainte[ix] enseigne en effet que l’homme fut créé par Dieu «à son image, selon sa ressemblance». En d’autres termes, la personne humaine a une valeur intrinsèque car elle comporte un élément divin ; elle est donc d’une certaine façon, sacrée. Le catholicisme enseigne en outre que le corps humain est le temple du Saint Esprit.
En Occident, les non-croyants et les agnostiques admettent généralement que toute personne humaine revêt une dignité propre, ne serait-ce que parce qu’ils vivent dans une société profondément marquée par le christianisme. Ils peuvent aussi se référer à des valeurs de caractère humaniste ou à des traditions gréco-latines.
Albert Camus, qui était agnostique, a souvent déploré l’usage de la torture qu’il jugeait contre-productif. En revanche, il a toujours eu soin de le faire sans tapage afin de ne pas fournir d’aliment ou de justification à l’emploi de la violence terroriste contre les civils.
Il n’est pas étonnant, par conséquent, qu’une fois révélée, l’affaire Audin ait suscité une émotion considérable dans les milieux intellectuels français. Toutefois, il est déplorable que ces mêmes milieux sensibles à ce cas Audin, soient demeurés largement indifférents au sort de plus de 3 000 Européens[x] enlevés par le FLN, notamment après le 19 mars 1962. N’oublions pas également celui de plusieurs de harkis torturés, emprisonnés et parfois massacrés après l’Indépendance.
Qu’un homme civilisé s’interroge sur la torture est parfaitement dans l’ordre des choses. On peut donc comprendre que l'intelligentsia soit troublée. Mais la dignité de la personne humaine est indivisible. Elle ne saurait dépendre des étiquettes politiques dont on affuble les victimes ou les bourreaux.
Rappeler la dignité de la personne est une chose et l’on ne saurait s’étonner si certains, jadis, s’émurent du sort de Maurice Audin. On peut cependant leur reprocher un manquement grave : leur silence en 1962 quand les victimes cessèrent de se trouver dans le camp des indépendantistes et se situèrent dans celui des partisans de l’Algérie française.
Pierre Vidal-Naquet écrivit, il est vrai, dans le Monde pour dénoncer les tortures infligées à des militants de l’OAS, et le traitement indigne des harkis. Mais il se tut ensuite. Sauf erreur, il n’a pas évoqué le problème des Européens enlevés aveuglément par le FLN après le 19 mars 1962, ou encore le massacre d’Oran, le 5 juillet 1962 (évalué à 671 victimes, disparues et décédées).
Le deuxième manquement grave de ces intellectuels français fut le suivant : ils n'ont jamais dit comment il fallait lutter contre le massacre des civils innocents. Chacun comprend que la torture est un moyen déplaisant. Mais comment obtenir des renseignements ?
À vrai dire nombre des intellectuels que bouleversait la torture ne s'en souciaient pas. Pour beaucoup d'entre eux, la rébellion était légitime les victimes civiles du terrorisme étaient des victimes collatérales. Pour beaucoup, l'objectif était d'aider le peuple algérien «à se libérer». D'où l'effrayant silence des mêmes lorsqu'en 1962, les Pieds Noirs déjà martyrisés pendant huit ans de guerre durent subir un surcroit d'enlèvements et de contraintes. Cela ne les intéressait pas.
Pour la plupart d’entre eux, le peuple algérien était globalement dressé pour sa liberté. Ce qui était faux. Mais pour ces intellectuels, combattre la torture ce n’était pas seulement combattre pour un principe, c’était aussi contribuer à l’émancipation d’un peuple opprimé.
Cette vision des choses, jamais remise en question, a nui à leur objectivité. Citons par exemple Vidal-Naquet : «...Reste qu’un peuple, le peuple algérien, était écrasé par une force considérable, issue d’un grand pays industriel moderne qui s’appuyait sur une minorité raciste de colons. » Affaire Audin , p. 32, op. cit. En 3 lignes, 3 erreurs au minimum.
un engrenage
L’affaire Audin soulève un autre problème : il a été affirmé que le jeune universitaire s’est évadé et il est porté disparu depuis 1957, or, il n’a jamais reparu. Le TGI de la Seine l’a déclaré décédé en mai 1966 (P. Vidal-Naquet, op. cit. p. 180). Que lui est-il donc arrivé ? Peut-on éclaircir son sort final ?
À Alger en juin 1957, l’atmosphère était tendue au plus haut point. Le 2 du mois, des bombes avaient explosé au carrefour de l’Agha et à la Grande Poste à l’heure de la sortie du travail faisant de nombreux morts et blessés parmi les travailleurs européens et musulmans qui rentraient chez eux. Le 9, Yacef Saadi chef des commandos FLN la capitale commettait un attentat antisémite en faisant sauter le Casino de la Corniche (comme évoqué plus haut).
Aux exactions du FLN répondirent la recherche accrue du renseignement et les arrestations de militants clandestins. Les parachutistes investis de pouvoirs de police, démantelaient jour après jour les réseaux de poseurs de bombes. Usant des méthodes que nous avons rappelées, les «léopards» portèrent des coups sévères à la rébellion.
Or, depuis quelque temps déjà les militants communistes étaient dans leur collimateur. Depuis l’accord de juin 1956 conclu entre le PCA et le FLN, un certain nombre de militants communistes dont quelques Européens appartenant aux CDL avaient rejoint les rangs du FLN[xi]. À en croire le général Aussaresses dont nous reparlerons ultérieurement, le général Massu soupçonnait les communistes d’être partie prenante aux attentats meurtriers des réseaux de Yacef Saadi[xii]. Les militaires français étaient donc très désireux d’arrêter et d’interroger des communistes.
En réalité, à cette époque et depuis les accords, le PCA avait renoncé à diriger des groupes de lutte armée. Le CDL avait été dissous et ceux qui participaient aux activités du FLN le faisaient à titre individuel. Le Parti continua néanmoins d’exister sur le plan politique. Difficilement, car il était interdit et ses chefs traqués. L’un d’eux, André Moine fut particulièrement visé par les paras qui le soupçonnaient de diffuser un journal communiste clandestin Liberté ainsi qu'un autre destiné aux militaires du contingent venus servir en Algérie, La voix du soldat.
Un militant du PCA le docteur Hadjadj, avait donné le nom et l’adresse d’Audin comme celui d’un hébergeur important. Le jeune universitaire était donc impliqué dans cette activité parfaitement illégale puisque le parti était dissous. Mais il n’avait rien à voir avec les anciens CDL et il n’était pas lié à l’activité des poseurs de bombes.
Les militaires français ont-ils sincèrement cru qu’Audin était un «gros poisson» et qu’ils devaient le faire parler impérativement ? Dans le contexte de l’époque ce n’est pas impossible, d’autant que nombre d’entre eux avaient vécu l’expérience indochinoise qui les avait convaincus de la puissance et de la perversité du communisme. Ceci n’éclaire pas pour autant le sort exact d’Audin.
Est-il mort sous la torture du fait d’un accident cardiaque ? (hypothèse envisagée par Vidal-Naquet).
Fut-il exécuté secrètement par les hommes de l’adjoint de Massu, Paul Aussaresses comme celui-ci le dira au journaliste Jean-Charles Deniau avant de mourir ?
Nous reviendrons sur ces points dans la deuxième partie de cette étude.
Toutefois une troisième explication toute différente fut, sur le moment, officiellement fournie : le mathématicien s’était évadé. Un rapport du colonel Mayer qui commandait le 1er RCP dont faisait partie les parachutistes interrogeant le mathématicien établissait qu’Audin s’était enfui le 21 juin vers 21h 40. Une jeep le conduisait à la PJ. Le détenu n’étant pas enchaîné en aurait profité pour détaler. Le sergent Misiri chargé du transfert fut sanctionné (certains ont mis en doute la réalité de cette sanction).
Le général Jacques Allard, alors à la tête de la Xe région militaire diligenta une enquête de gendarmerie qui confirma l’évasion[xiii]. Malgré ces éléments importants, ces circonstances de la disparition d’Audin n’ont guère convaincu. Elles furent en tout cas, immédiatement mises en doute par son épouse et ses avocats. Les uns et les autres accusèrent un certain lieutenant Ch….. d’avoir assassiné l’universitaire.
Vidal-Naquet émit une hypothèse distincte : Maurice Audin n’avait pas quitté le centre de tri et il était mort sous la torture.
De longues joutes judiciaires allaient s’ouvrir marquées par un déplacement de l’affaire à Rennes (comme pour Dreyfus), des rejets par la Cour de Cassation et une loi supplémentaire d’amnistie du 22 décembre 1966 qui aboutit à la déclaration que l’action judiciaire était éteinte.
La guérilla juridique menée par les partisans d’Audin se poursuivit durant de longues années. Des campagnes de presse occasionnelles s’efforcèrent de relancer l’affaire avec un succès limité. Elle connut un nouvel essor en 2001, avec des déclarations du commandant, devenu général, Paul Aussaresses, ce que nous allons examiner ci-après.
Jean Monneret
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Chronologie succinte de l’Affaire Audin
20 juin 1956 : Le FLN déclenche une vague d’attentats aveugles contre les Européens dans Alger.
7 janvier 1956 : Les pouvoirs de police du préfet Baret sont transmis au général Massu. La campagne contre la torture s’intensifie en métropole.
2 juin 1957 : Attentats de l’Agha et du Carrefour de la Grande Poste. Des bombes placées dans les socles en fonte des lampadaires les transforment en obus qui fauchent des dizaines de travailleurs européens et musulmans.
9 juin 1957 : Attentat au Casino de la Corniche : de nombreux jeunes israélites, habitués des lieux sont touchés.
11/12 juin : Maurice Audin est arrêté par des paras du 3ème RPC.
15 juin : Henri Alleg, important dirigeant communiste, est arrêté au domicile d’Audin où une souricière a été tendue.
22juin : Mme Audin apprend que son mari est assigné à résidence. Le bruit court qu’il a été torturé.
1er juillet : Elle est informée que son mari s’est évadé.
4 juillet : Assistée par ses avocats communistes, elle porte plainte contre X pour homicide.
Début décembre 1957 : Création à Paris du comité Maurice Audin.
13 mai 1958 : Parution du livre de son secrétaire, Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire Audin.
23 juin 1960 : Le procès concernant Audin a lieu à Rennes.
10 août 1960 : La Cour de cassation rejette le pourvoi de Mme Audin.
24 août 1961 : Le Comité Audin proteste contre la torture qui vise des militants OAS. Un des avocats communistes de Mme Audin démissionne.
Juillet 1961 : Les avocats du comité déposent un long mémoire.
20 avril 1962 : Ordonnance de non lieu.
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[i] Organisation dirigeant la rébellion indépendantiste en Algérie.
[ii] Contrairement à ce qu’une partie de la presse de l’époque laissait entendre car, elle avait tendance à parler d’une collusion du FLN avec les communistes, les choses étaient plus compliquées.
[iii] D’inspiration nationaliste et là aussi accusés d’être des agents hitlériens.
[iv] Ainsi le Secrétaire Général du PCA, Larbi Bouhali avait-il été expédié dans les pays de l’Est dès le début des troubles en Algérie. Il passa toute la Guerre d’Algérie en URSS.
[v] Il est à noter cependant qu’à la fin de la Guerre d’Algérie, en 1962, Vidal-Naquet condamna les tortures infligées à certains militants de l’OAS. Ceci entraînera l’opposition d’un avocat communiste du Comité, Maître Jules Borker.
[vi] Les Éditions de Minuit, 1958 et 1959.
[vii] On remarquera que Vidal-Naquet ne reprend pas à son compte l’expression Le jeune savant que le parti communiste, expert en désinformation, accolait souvent au nom d’Audin.
[viii] Voir l’ouvrage du professeur Jauffret Ces officiers qui ont dit non à la torture, Ed. Autrement. Pour Denoix de Saint-Marc et le colonel Trinquier on peut consulter des vidéos provenant de INA.fr. Pour Godard Le livre blanc de l’armée française en Algérie. Ed. Contretemps 2002 p. 117.
[ix] Genèse 1, 26.
[x] Le chiffre de 3 018 européens enlevés fut fourni au Sénat le 7 mai 1963 par M. Jean de Broglie. Les travaux récents de Jean-Jacques Jordi Un silence d’État, Ed. Soteca (p. 155) établissent que sur ce total 1 583 d’entre eux sont restés à ce jour portés disparus.
[xi] Le plus connu d’entre eux Ferdinand Iveton, accusé d’avoir déposé une bombe à l’usine à gaz où il travaillait fut arrêté et guillotiné.
[xii] Ce qui était vrai de quelques-uns d’entre eux comme le Dr Timsit ou Giorgio Arbib qui avaient participé à la confection d’explosifs mais ils étaient intégrés à l’organisation FLN ce qui n’était pas le cas de Maurice Audin.
[xiii] La thèse de l’évasion a été très affaiblie par le fait que la TGI de la Seine a déclaré Audin décédé, en mai 1966. En outre, le sergent Misiri interrogé par le journaliste a affirmé que l’évasion n’était qu’un simulacre. Voir l’ouvrage de J.-C.Deniau p. 212, La vérité sur la mort de M. Audin.